Comme dans Le Tailleur de la Grand-Rue, son premier livre, Bonaviri met en scène, dans ce récit écrit en 1955, un petit monde paysan de Sicile orientale où plantes, nuages et ruisseaux partagent les joies et les souffrances des person- nages. Faite de bonheurs simples autant que de disette, de maladie ou de guerre, l'humble épopée de Massaro Angelo, le métayer, et de sa famille, dialogue avec les espaces cosmiques dont Bonaviri, dans ses oeuvres ultérieures, se fera l'explorateur mélancolique et fantasque.
Cet équilibre entre le style primitif et la grâce, l'imagerie populaire et le rêve, qu'admirait tant cet autre grand Sicilien, Elio Vittorini, on le retrouvera dans les trois chapitres piémontais d'un roman inachevé que ce volume propose en complément.
« Comme tous les personnages de Bonaviri, comme l'auteur lui-même, Angelo est un poète. Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire qu'il conçoit les événements de sa vie comme l'expression de forces qui dépassent l'humanité. Les nuages, les grenouilles, les hiboux parlent le même langage que les soldats qui reviennent de la guerre, tous conduits par une fatalité dont les hommes sont les témoins éblouis et accablés.
La mort qui hante ces pages n'est jamais tout à fait un élément négatif ou extérieur. C'est une divinité noire, bien sûr, mais compagne de la vie quoti- dienne des paysans. » René de Ceccatty, Le Monde
Cet étrange récit fantastique est écrit dans la droite ligne des contes philosophiques (du XXVIIème siècle, mais aussi, plus proches de nous, de Welles ou Stevenson). On comprend que Federico Fellini ait beaucoup admiré Bonaviri et ait pensé à plusieurs reprises lui demander sa collaboration. Dans un centre de recherches scientifiques à l'Université de Harvard, de jeunes scientifiques d'origines et spécialités diverses travaillent sur le clonage. Parmi eux, en particulier, une Égyptienne, Iside, va entreprendre l'impossible : créer un bébé à partir de cellules humaines (les siennes), des cellules florales et quelques cheveux restant sur un crâne qu'elle a découvert dans l'oasis de Jaghbub, à la frontière entre la Libye et l'Égypte, où ont lieu des combats durant la Seconde Guerre mondiale. Le crâne qu'elle a retrouvé appartenait peut-être à un soldat italien. Iside, avec l'aide de plusieurs savants, parvient à ses fins et l'enfant, mi-humain mi-végétal va naître, pour un destin inconnu. Par ailleurs, le jeune Crétois Jehova s'éprend d'une Sicilienne, mais envoûté par de mystérieuses crises de nostalgie, il veut retourner dans une Crète dont il n'a qu'un souvenir fantasmatique et disparaîtra en mer par un curieux phénomène qui ressemble à un trou noir. Enfin, trois petits orphelins vont faire l'objet d'expériences démoniaques. Giuseppe Bonaviri a toujours écrit des contes fantastiques : ici se mêlent des passages poétiques d'une très grande intensité, sur sa Sicile natale qui réapparaît dans les souvenirs de ses personnages, mais aussi dans la description de la nature américaine, profondément sicilianisée. Le voyage final sur une Méditerranée intemporelle porte également la marque de l'enfance de l'écrivain. Tout le livre est écrit dans une langue à la fois précise scientifiquement et lyrique, sensuelle (avec plusieurs pages d'une grande liberté sexuelle).
Ce livre appartient à la veine strictement autobiographique de Bonaviri, dont l'oeuvre est parfois fantastique. Il s'agit de l'ouvrage, à mes yeux, le plus important depuis son premier (Le Tailleur de la grand-rue, qui est disponible en «Imaginaire» chez Gallimard). Il se rappelle ses toutes premières années, avec ses quatre frères et soeurs. Ils vivaient dans une petite ville, Minéo, au sud de Catane, entre Catane et Syracuse. Et ils allaient passer l'été à Camuti, dans une propriété que leurs parents avaient. Famille très pauvre : le père était tailleur. La «ruelle bleue» est le nom du petit quartier où ils habitaient. Les souvenirs d'enfance sont un prétexte d'une part à une analyse sociologique (mais légère) de la pauvreté sicilienne dans les petites villes (la famille n'est pas paysanne) et à une rêverie fantastique sur le monde de la petite enfance. Les saynètes, qui font réapparaître la culture médiévale des chansons de geste (les marionnettes siciliennes et l'histoire de Charlemagne et de Roland) et qui montrent la liberté sexuelle, fantaisiste, scatologique même parfois de l'enfance, recréent un monde disparu. L'auteur a un univers imaginaire d'une extrême précision (le vocabulaire de la flore est particulièrement riche), une grande générosité de regard (sur les petits métiers) et une dynamique poétique admirable (rêveries sur la mort, les états prénataux, la nuit, la lune, la création). Il ne s'agit pas du tout d'un texte naturaliste : on est dans le monde d'un poète, même s'il parle de l'école, du ramassage des escargots ou de la mort d'un enfant. Le chapitre final qui explique le titre est admirable.
On pense aux plus grands livres sur l'enfance. Henri Bosco, Jean Giono, Kenzaburo ?, Rabah Belamri.
C'est le meilleur livre d'un écrivain qui a débuté avec un chef-d'oeuvre et n'avait jamais réussi à se surpasser lui-même. Ici, le miracle s'est produit. C'est la raison pour laquelle j'ai voulu publier et traduire ce livre, en dépit de l'âge de l'auteur et bien qu'il ait la majorité de son oeuvre ailleurs.
«Il y a une grâce XVIIIe siècle dans cette histoire d'un tailleur et de sa famille qui nous vient d'un village des monts Erei en Sicile orientale de l'intérieur, province de Catane. Quelque chose d'un XVIIIe siècle populaire, bien entendu, et précisément d'un type entre le primitif et et l'arcadien, de coloration brute mais également mignarde. La valeur poétique du roman réside dans le sens délicatement cosmique avec lequel l'auteur représente le petit monde local dont il nous entretient.» Elio Vittorini.
Auteur d'une oeuvre unique, profondément originale, saluée par italo calvino, giuseppe bonaviri a bâti un univers empreint de réalisme magique qui puise ses sources dans une terre, la sicile, marquée par des siècles de tradition orale et populaire, de culture et de souffrances.
L'ensemble de son oeuvre vient de se voir décerner le prestigieux prix luigi-pirandello.
Giuseppe Bonaviri est par excellence un brasseur de temps, d'espaces et de styles. L'histoire qu'il nous conte dans La dormeveille relève à la fois du roman d'aventures, de la conjecture visionnaire et du traité scientifique. Le titre même du livre désigne le moment qui précède le sommeil : un état privilégié de la vie des sens et de l'âme. Les personnages de La dormeveille sont pour la plupart des spécialistes de cette phase intermédiaire entre les règnes du jour et de la nuit. L'Américain Joseph Cooper et son assistant Gutemberg, l'Italien Epaminondas et son disciple Mercoledi, le Chinois Li Po et la belle mulâtresse Zaïd vont accomplir ensemble un long voyage qui les mènera jusqu'en Chine, aux îles de la Sonde, sur la lune même, puis à New York... Mais il y a la Sicile aussi, toujours présente, où le vent berce les feuilles des oliviers, où les hommes parlent de la douleur de vivre à leurs ânes aux yeux tristes, où, dans l'aride sécheresse, des processions s'ébranlent pour demander au ciel la faveur d'un jour de pluie...