Lorsqu'en 1809 paraissent les Recherches sur l'essence de la liberté humaine, Schelling ne soupçonne pas qu'elles deviendront le plus fameux de tous ses livres.
Il mesure néanmoins que sa philosophie " se voue au devenir " (X.Tilliette). L'exigence qu'il s'impose d'explication du mal par une exploration de sa racine divine contribue en effet à rendre inévitable la refonte du système. Elle contribue en outre à faire de cet ouvrage un texte sans précédent et sans équivalent dans l'histoire tout entière de la philosophie. Le résultat en est une impressionnante fresque dont le motif central tient en ces quelques mots : la liberté humaine pour le bien et le mal.
Les études qu'on lira dans le présent volume témoignent diversement des fruits de cette audace. Elles proposent de relire le chef-d'oeuvre de Schelling à partir de ses sources (Luther, Leibniz, Bôhme, Kant), de ses interlocuteurs (Baader, Jacobi, Eschenmayer) et de ses grands lecteurs (Schelling lui-même, Schopenhauer, Kierkegaard, Tillich, Rosenzweig, Heidegger, Pareyson). Ces éclairages divers permettent d'en découvrir ou d'en redécouvrir les structures décisives : une logique du néant et de la dualité, une métaphysique de l'amour et de la séparation, une physique du retrait de la nature divine et de l'exclusion du mal, une ontologie de la liberté humaine, une théodicée où c'est l'homme qui dispose de la puissance du mal, une vision de l'histoire où il y va du tout et de sa disjonction.
Au tournant des années 1820-1830, Schelling découvre au sein de la philosophie deux grandes tendances à l'oeuvre : une tendance "négative" à rendre intelligible le réel en fonction de la nécessité des lois de la pensée, une tendance "positive" à y voir au contraire le fait d'un acte libre. Scrutant cette différence, il finit par montrer qu'elle implique de scinder la philosophie même en une philosophie qui fait intervenir uniquement la raison et une philosophie où la raison se laisse instruire par l'expérience.
Le présent livre propose une interprétation nouvelle de ce moment crucial mais méconnu de la pensée moderne où Schelling accomplit, tout en le dépassant, l'idéalisme allemand. On y montre qu'il suspend l'avenir de la raison à un dédoublement de la philosophie qui implique de confier la réalisation des deux philosophies à un rationalisme et à un empirisme totalement inédits. Dans le rationalisme, la raison opère seule jusqu'à produire l'idée d'un principe absolu libre de poser le monde ; dans l'empirisme, elle prouve l'existence du principe par ses oeuvres effectives que sont successivement les faits de la nature et ceux de la conscience comme conscience religieuse.
Ainsi, loin de produire le désespoir de la raison, Schelling montre au contraire que la raison se donne à elle-même un avenir en se différenciant.
On range généralement la pensée de Malebranche parmi celles qui incarnent ce moment de l'histoire de la philosophie qu'on nomme «rationalisme». En prenant son départ dans l'interprétation que Schelling a produite de la « Vision en Dieu », cet ouvrage se propose de l'aborder plutôt comme un idéalisme issu du dogmatisme et enclin à suspendre l'existence des corps : pour avoir élargi le cercle de la pensée humaine aux dimensions du cercle de l'idée divine, Malebranche ferait dépendre la perception sensible de l'action de Dieu seul, anticipant par-là la pensée de Berkeley. Sans doute une telle lecture dépend-elle de la manière dont Schelling a lui-même renouvelé l'idéalisme ; sans doute est-elle aussi tributaire d'une certaine réception de Malebranche. Pour autant, du point de vue qui fut celui de Malebranche, elle mérite qu'on la mette à l'épreuve de ses textes et de ses intentions. Aussi, après avoir montré comment Schelling se place devant Malebranche, on le fait comparaître devant ce que Malebranche pourrait lui opposer. Il apparaît alors que ce dernier s'attache à desserrer l'étreinte que le cercle de l'idée exerce sur son système : en faisant le pari de prouver l'existence d'un monde résolument distinct du monde intelligible, Malebranche oeuvre en effet pour un idéalisme ouvert au réalisme sans jamais renoncer à la « Vision en Dieu ».
Dans l'Exposé de la philosophie rationnelle pure professé par Schelling dans les années 1847-1852, Malebranche est présenté comme un jalon majeur de l'histoire des conquêtes remportées graduellement par la raison moderne : pour avoir eu l'audace de désigner Dieu même par le seul mot de « l'Être », il aurait su donner son vrai nom au concept suprême de la raison. Schelling propose toutefois une critique perspicace de son ontologie, critique qu'on a voulu mettre ici à l'épreuve des textes de Malebranche. Elle engage en effet des questions décisives pour la compréhension de la métaphysique du philosophe français : 1) Que faut-il que soit Dieu pour que l'idée de « l'être » suffise à le penser ? 2) Si cette idée est celle de l'être « en général », l'ontologie de Malebranche ne prend-elle pas le risque de parler abstraitement de la Divinité, en outre d'être univoque ? 3) Comment Dieu peut-il bien être incompréhensible s'il est seulement celui qui comprend en lui-même tous les intelligibles ? 4) En quel sens sa substance est-elle participable par les êtres qu'il crée, et d'où lui vient au juste cette possibilité qu'elle a depuis toujours d'être participée ?
Ce volume est le premier ouvrage entièrement consacré à Clara, texte sans équivalent non seulement dans l'ensemble de la production de Schelling mais aussi dans l'histoire de l'idéalisme allemand. Après six contributions consacrées à cette oeuvre, ce volume présente la traduction française de Clara que l'on doit à Élisabeth Kessler, entièrement révisée par Pascal David et Alexandra Roux.
Avec un avant-propos de Bernard Mabille.
Avec le soutien de l'université de Poitiers.
Pour la connaissance, la mort constitue l'abîme le plus redoutable qui soit. Le poète, en la personne de Yeats, le sait fort bien qui écrit : " l'homme a créé la mort ". Parler de la mort, c'est une certaine manière pour l'homme de parler de lui-même. À première vue, cette question doit commencer par se poser pour le moi, mais pour parvenir au faîte et au fondement d'elle-même la question de la mort se pose inévitablement pour autrui.
En faisant librement son profit des traités de Descartes sur L'Homme et les Passions de l'âme, Malebranche est l'inventeur d'une conception nouvelle de l'imagination : sans elle point de passions, dans lesquelles en effet elle donne toute sa mesure, y compris en ce sens qu'elle permet aux passions de se communiquer.
Si l'imagination est bel et bien " cette folle qui se plaît à faire la folle ", c'est en vertu d'un jeu de la machine elle-même que la nature impose. Imaginer suscite toutes sortes d'habitudes : de là l'usage des langues, mais de là également cette facilité que donnent à la pensée les idées familières. Le brouillage des unions ayant serré les liens de l'âme avec le corps, libre cours est donné à l'imagination : de là tous ses désastres, depuis la transmission de la concupiscence jusqu'à celle des erreurs et des bizarreries.
Mais si elle est " cette folle qui se plaît à faire la folle ", notre imagination n'en demeure pas le lieu et l'instrument d'une porosité qui fait le lien social.
Bernard Mabille a été pour beaucoup de philosophes français un modèle. Plusieurs de ses collègues et disciples ont souhaité lui rendre hommage en éclairant certains aspects de son oeuvre ou en prolongeant les recherches qu'il menait. L'ouvrage propose ainsi une étude inédite de Bernard Mabille lui-même, puis deux grandes séries d'analyses. L'inédit est consacré à la question de la subjectivité : on y perçoit la capacité qu'il avait de réinventer certains aspects de la pensée hégélienne tout en se maintenant au même niveau d'exigence conceptuelle.
Avec le soutien de l'université de Poitiers.