Dans la Grèce d'avant Alexandre le Grand, l'art des jardins n'existe pas. Les reliefs accidentés, les rivages découpés et les îles aux climats rudes restent des espaces peu adaptés à l'émergence de parcs, tels qu'ils existent en Mésopotamie ou en Egypte. L'homme est marin autant que paysan ; ceci ne signifie pas l'absence de jardins, mais plutôt une forme particulière de relation à la nature. En marge de celui qui oeuvre physiquement, le philosophe, dans sa lente maturation des concepts, perçoit intimement les détails de la flore sauvage, des prairies spontanées et des arbres sacrés. Il s'inspire de la beauté de la nature comme symbole de l'oeuvre divine. L'aspect contemplatif est omniprésent, de même que la déambulation savante. Mais le philosophe n'est pas jardinier ; il n'évoque que rarement le travail de la terre. Aristote et Théophraste inaugurent la figure du scientifique voyageur, qui collecte, inventorie et rédige pour restituer les premières sommes de connaissances botaniques, reprises ensuite par les lettrés romains épris de botanique
comme Caton, Varron ou Columelle. Les vestiges archéologiques manquent pour mesurer concrètement l'ampleur des travaux liés aux jardins : un seul exemple pour la Grèce entière, mais combien de textes, chants et poèmes, de sanctuaires dans leurs écrins de verdure, d'offrandes de fleurs pour les autels, de parfums et d'huiles qui sont indissociables d'une pratique de l'horticulture.
Le jardin retrouve son statut et sa fonction de creuset culturel à Pompéi et à Rome, dont les collines se couvrent de villas et de parcs. Il y a un avant et un après Rome dans l'art des jardins, qui se fonde d'abord autour d'une passion pour la terre. Les travaux des champs sont au centre des préoccupations des habitants du Latium et leurs connaissances horticoles, mêlées à la fascination pour la culture grecque qu'ils découvrent déjà teintée d'Orient, introduisent un art nouveau dont nous pouvons mesurer l'ampleur en déambulant à travers les vestiges des villas de Néron ou de Tibère. Lentement, les domaines ruraux ébranlés à la fin de la Deuxième Guerre punique se regroupent en latifundia.
Une transformation du paysage et une éclosion des villas de plaisance tendent à éloigner le citoyen romain de sa terre. Désormais, il importe d'Orient ce qu'il produisait auparavant et pense avec nostalgie aux jardins de rapport qu'il cultivait jadis. L'éloignement de la terre est significatif, mais il ne doit pas occulter les connaissances des techniques horticoles. Ce n'est qu'après avoir maîtrisé l'ensemble de ces techniques et assimilé les influences des colonies orientales, que les Romains vont envisager le jardin comme un symbole ostentatoire du pouvoir politique.
En février 2011, alors que l'Égypte était en révolution contre l'oligarchie qui la dominait depuis si longtemps, Philippe Flandrin et Patrick Chapuis achevaient Le Labyrinthe des pyramides, un ouvrage consacré aux tombes royales de l'Ancien Empire (Actes Sud, 2011). En dépit de l'insécurité prévalant sur les sites, le Conseil Suprême des Antiquités de l'Égypte a souhaité dresser un état des lieux des nécropoles jouxtant Le Caire, et c'est ainsi que nos auteurs ont été conviés à étendre leur travail aux tombes civiles qui entourent les pyramides. De par les peintures, dessins, bas-reliefs et sculptures, elles révèlent l'histoire et la culture matérielle de l'Égypte au IIIe millénaire avant notre ère.
Les images des tombeaux de l'Ancien Empire témoignent d'un temps qui est également le nôtre. Les formes qu'elles proposent sont d'une diversité et souvent d'une inventivité telles qu'elles pourraient être l'oeuvre d'artistes contemporains : au classicisme des cortèges de porteurs d'offrandes répond le naturalisme de certaines compositions, le graphisme du dessin, l'abstraction des peintures murales. Sur les parois de ces sépultures, les choses, les êtres humains et les animaux sont sujets à d'incessantes transformations. Ce que nous voyons n'est pas simplement la représentation d'une époque et de son ordre, mais l'expression d'une volonté de changement, d'une nécessité d'évolution. Ainsi, comme la mort - loin d'être un échec - est le lieu où se prépare le futur, le tombeau, où l'on enterre dignitaires, vizirs, scribes, indigents et poètes, est le laboratoire de l'avenir. Sur ces images, on ne trouve qu'exceptionnellement - sauf dans la tombe d'Ankhmahor, vizir de la Ve dynastie - des scènes de lamentation, on ne voit nul cadavre, nulle dépouille mortelle ; bien au contraire, les scènes peintes ou gravées célèbrent chaudement la vie.
À côté de la personnalité du défunt - le «Maître du tombeau», expression empruntée à Pierre Montet -, on découvre aussi les témoignages de l'ensemble des acteurs de la société civile égyptienne : nobles, bourgeois, ouvriers, paysans, artisans. De même, la terre d'Égypte de cette époque lointaine est largement célébrée, avec sa faune, sa flore et ses richesses, au premier rang desquelles apparaît le Nil. Enfin, on comprend comment cette société complexe, supérieurement organisée, a pu évoluer et jeter les bases de trente-cinq siècles de civilisation et de rayonnement, en Égypte comme dans le monde antique. À travers cet ouvrage, c'est ce laboratoire que les auteurs ont voulu nous faire découvrir, à l'heure où la folie des hommes menace de le flétrir, car, outre les pillards, la foule des visiteurs qui se massent dans les tombes suffit hélas à mettre en péril tous ces chefs-d'oeuvre bien mortels.