Du XIVe au XVIIe siècle, dans toute l'Europe, des femmes et des hommes accusés de sorcellerie ont raconté s'être rendus au sabbat : là, de nuit, en présence du diable, on se livrait à des orgies et à la profanation des rites chrétiens.
D'où vient le sabbat ? Les accusés se sont-ils laissé extorquer le récit que leurs juges attendaient d'eux ? Selon Carlo Ginzburg, pas toujours. Dans quelques cas, l'écart entre les questions des juges et les réponses des accusés laisse affleurer des éléments liés à un fond culturel plus enfoui. L'historien italien entreprend alors de recomposer les pièces dispersées de cette histoire nocturne.
L'enquête dessine à la fin du Moyen Âge la place du complot ourdi en son sein par les ennemis de la chrétienté et met au jour les traces d'une culture chamanique. Un programme ambitieux mais aussi une rigoureuse leçon d'historiographie.
Qu'est-ce qu'une île ? Quelles sont ses frontières ? Comment s'inscrivent-elles dans l'espace et dans le temps ? Nulle île n'est une île est une méditation historique sur l'insularité à partir de quatre regards croisés sur la littérature anglaise. Qu'il s'agisse de s'interroger sur l'invention de l'île d'Utopie par Thomas More, sur la Défense de la rime de Sir Philip Sidney, sur Tristram Shandy ou sur la figure de Tusitala - le pseudonyme que se choisit Stevenson, et qui signifie conteur en samoa -, l'île est prise comme un paradigme pour penser, dans l'histoire, les relations du même et de l'autre. Si les îles existaient vraiment, si leurs bords circonscrivaient un espace clos, alors l'insulaire serait condamné à l'identité, au cercle de l'identique. Certains peuples ont rêvé ce destin. Rêve circonscrit. Rêve sans marge ni rive. L'historien démonte cette croyance rassurante. Les bords des îles sont poreux et leurs membranes comme ouvertes à l'échange. La dialectique de l'appel et de la réponse rend impossible le rêve des rivages nus, de l'origine intacte, des débuts sans histoire. Dans ce livre singulier, tout entier concentré sur des textes et des problèmes littéraires, attaché à sonder l'imaginaire avec les outils de l'érudition, Carlo Ginzburg poursuit son archéologie de l'altérité. Chacun des chapitres qui composent l'enquête est un exemple de sa méthode et un argument de sa thèse.
Les images sont partout : à la télévision, sur l'écran de nos ordinateurs, dans les rues. Images de la publicité, images de la politique, images de la peur, images du désir : autant de noeuds historiques qu'il convient de démêler à l'aide d'outils appropriés.
Comment peut-on analyser les images ? Carlo Ginzburg, historien de l'art considéré comme l'un des plus importants de sa génération, répond à cette question en proposant quatre essais d'iconographie politique : le frontispice du Léviathan de Hobbes, Marat à son dernier soupir de David, l'affiche de propagande Your country needs you!, Guernica de Picasso. Mais toute image est une image politique.
Le débat sur les méthodes de l'histoire déborde aujourd'hui le cercle des spécialistes.
La réduction de l'historiographie à une rhétorique (ce que l'on a appelé aux états-unis un linguistic turn), nourrie par le scepticisme post-moderne, a rencontré les positions politiques des mouvements fondés sur l'identité d'une ethnie ou d'un genre. ceux qui ont revendiqué la partialité de la connaissance historique l'ont parfois fait en se réclamant des thèses de foucault sur les logiques de pouvoir à l'oeuvre dans les savoirs, ou en soumettant la valeur de la connaissance du passé à son efficacité.
Après a distance et à partir de la critique d'un fragment de nietzsche sur les rapports de la rhétorique et de la vérité, carlo ginzburg poursuit dans cette nouvelle série d'études la recherche des fondements d'un savoir historique construit sur la discussion de ses preuves. selon sa propre méthode, il n'interroge pas seulement le discours de l'histoire, mais aussi celui de la littérature ou de la peinture, non parce que l'histoire ne serait qu'un art, mais parce que l'art est, comme l'histoire, puissance de vérité.
Le Fromage et les vers a révélé, en 1980, Carlo Ginzburg qui présentait ainsi son travail : " le livre raconte l'histoire d'un meunier du Frioul (Italie), Domenico Scandella dit Menocchio, qui mourut brûlé sur l'ordre du Saint-Office.
Les dossiers des deux procès tenus contre lui à quinze ans de distance nous livrent un riche tableau de ses pensées et de ses sentiments, de ses rêveries et de ses aspirations. Nous disposons de pages écrites par lui et d'une liste partielle de ses lectures (car il savait lire et écrire). Nous voudrions en savoir beaucoup plus, mais tout cela permet déjà de reconstruire un fragment de ce qu'on appelle communément la " culture populaire ".
L'ouvrage est donc une enquête : documents, indices, traces et discours, mouvement de l'histoire. Le résultat est passionnant. Ginzburg montre la complexité d'un individu (un meunier est toujours un être assez marginal) qui s'était montré assez hérésiarque, en manipulant des croyances et en se construisant une vision du monde, voire une cosmologie personnelles. " J'ai dit que tout était un chaos - expliquait Menocchio à ses juges stupéfaits - terre, eau, feu ensemble, et ce volume fit une masse, comme le fromage dans le lait et les vers y apparurent et ce furent les anges...
". La première fois, il fut relâché; au second procès, l'Inquisition le jugea dangereux. On le brûla sur le bûcher. Carlo Ginzburg nous offre dans ce livre un fragment perdu du passé, dans ce qu'il a de compréhensible, mais aussi de définitivement obscur et opaque.
Cet ouvrage fait revivre l'étrange secte agraire des " benandanti ", confrérie de sorciers frioulans contemporains de nos guerres de religion.
Combattants du bien, ils luttent, armés de tiges de fenouil, contre les mauvais sorciers, qui brandissent des tiges de sorgho pour se défendre. ces combats qui se déroulent en rêve ont une issue déterminante pour les récoltes : si les bons magiciens ont le dessus, celles-ci seront prospères au cours de l'année qui vient. en revanche, si les méchants sorciers l'emportent, la famine menacera. l'eglise frioulane des années 1580-1650 est prise de court face à ces phénomènes : elle ne comprend pas ces pratiques à demi païennes, inspirées cependant, aux dires des benandanti, par des ordres célestes.
Les inquisiteurs, déconcertés, ne brûlent ni ne torturent les tenants de la secte, mais tentent de leur faire avouer que les " batailles nocturnes " sont une simple réédition du classique sabbat. le décalage entre l'image proposée par les juges au cours des interrogatoires et celle fournie par les accusés permet ainsi d'atteindre une " couche de croyances spécifiquement populaires, déformées puis effacées par l'imposition du schéma savant ", une religiosité non chrétienne liée à la fécondité agricole dont bien peu de témoignages subsistent.
On retrouve dans ces neuf essais les thèmes de prédilection de l'auteur : le rapport entre morphologie et histoire, le statut du témoignage et de la preuve, les relations, toujours reformulées, du mot et de l'image. Ainsi que ses héros culturels : Wartburg et Gombrich, Bloch, Auerbach et Spitzer, - mais aussi Tolstoï et Proust.
Quatrième de couverture Le lecteur Familier de Carlo Ginzburg retrouvera dans ces neuf essais ses thèmes de prédilection : le rapport entre morphologie et histoire, le statut du témoignage et de la preuve, les relations, toujours reformulées, du mot et de l'image. Il y retrouvera ses héros culturels : Warburg et Gombrich, Bloch, Anerbach et Spitzer, mais aussi Tolstoï et Proust. Mais comme l'auteur a l'art de varier ses effets, ses cadrages, ses échelles, ses formats, le dépaysement l'emporte sur le sentiment de familiarité d'autant que ce sont précisément les procédés de l' "estrangement" qui font l'objet du premier essai et les implications cognitives de l'éloignement qui courent à travers tous les autres, consacrés à la notion de mythe, à celle de représentation, à l'attitude à l'égard des images et à la distinction entre les images et les idoles, à la notion de style, aux métaphores de la distance et de la perspective. Le dernier essai, qui porte sur une équivoque d'un discours du pape actuel, peut paraître étranger à cet ensemble. Mettant en cause, de proche en proche, les rapports des chrétiens et des juifs avec, en arrière-plan, les effets meurtriers d'un excessif éloignement et d'une tout aussi excessive proximité, il suggère la clé de ces réflexions ou, pour mieux dire, de ces variations sur la distance.
Il s'agit de la préface du livre d'Adriano Sofri, intitulé De l'optimisme, et proposé en français sur manuscrit.com. Carlo Ginzburg connaît parfaitement l'affaire Sofri, dont il a fait le sujet de son livre Le juge et l'historien, publié chez Verdier.