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Carol Vanni
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Cinquante-six, c'est l'âge de Carol Vanni au début de ce texte ; ce sont les chiffres inversés de son année de naissance ; le numéro d'une carte routière de son grand-père. C'est également le nombre de ses amants, jusqu'à aujourd'hui.
Relations d'un soir ou de plusieurs années, l'autrice se souvient de chaque homme côtoyé et fait revenir le souvenir de ces rencontres, plus ou moins chronologiquement. Pied-de-nez aux stéréotypes et loin de se conformer aux assignations faites aux femmes - femme-objet, épouse, mère ou amante, femme mûre supposée sage, que la société aimerait voir reléguées au statut de spectatrices de leurs vies et de leurs rencontres - l'autrice prend un malin plaisir à nous montrer par l'exemple que la voie peut être autre. Toutes ces femmes existent en même temps dans son récit, y compris celle qui vieillit et reste multiple.
Ce texte nous rappelle que disposer librement de son corps, de son désir et de son temps peut s'avérer être un joyeux déroulé d'expériences, plus ou moins épanouissantes, plus ou moins heureuses. Il est question de danse et d'amour, de ce qu'un être peut et veut, d'un mouvement tel une lame de fond qui pousse à aller vers... l'inconnu, l'autre, l'homme.
Par l'écriture, en évitant tous les pièges qu'une telle exposition de sa vie pourraient entraîner, Carol Vanni explore le rapport à son corps et au temps qui passe. Elle fait la part belle aux matières, odeurs, couleurs, sensations et bruits, en fait, à tout ce qui nous rend vivants. -
Lors du premier confinement Edmond Baudoin a quitté Paris pour rendre visite à Carol Vanni en pleine campagne Tarnaise. La bâtisse est seule sur la colline, les portables ne passent pas vraiment. Plus de brebis que d'hommes. Les chouettes la nuit et l'aboiement déchirant des chevreuils.
Au fil de ces deux mois, ils se demandent ce que c'est que d'habiter quelque part, d'être en lien avec un endroit et ses voisins.
Pendant presque une année Carol a été, souvent à pied, entre les confinements, à la rencontre de ses voisins. Elle les interroge sur ce qu'est une bonne journée. Elle enregistre la réponse qu'elle réécrit plus tard puis Baudoin dessine les portraits et les paysages.
Chacun aura son portrait à l'encre de chine sur du beau papier et un texte issu de l'entretien.
Ensemble ils sont allés sur des territoires intimes : être voisin géographiquement et devenir voisin humainement. -
Le jardin des hommes : entretiens sur la colère
Carol Vanni, Edmond Baudoin
- Esperluete
- 13 Mai 2022
- 9782359841527
«?La plupart du temps, la colère, je ne l'appelle pas et je fais tout mon possible pour qu'elle n'arrive pas chez les autres. Cette zone de désaccord, de conflit, je l'évite. Pourtant dans ma vie privée comme au travail, je sais me mettre en colère, mais ça me coûte : ça me fait mal et ça m'épuise. Au boulot c'est souvent une injustice, une erreur qui pourrait déclencher la colère, je n'y ai pas recours, je gère autrement. Et personnellement, c'est un excès de tristesse, la colère c'est contre moi. Je ne l'oriente pas au-delà.?».
La colère, la colère des hommes, est l'axe pivot de ce texte de Carol Vanni. En questionnant des hommes, proches ou inconnus, elle s'attelle à interroger cette émotion, à tenter d'en saisir les contours, les formes, les ombres. En provoquant la rencontre, elle les écoute parler de leur colère??; sentiment ambivalent tantôt constructif tantôt destructeur. Elle collecte ces témoignages comme on collectionne des trésors, autant de parcelles intimes, de mises à nu.
Aux entretiens s'ajoutent des extraits de son journal intime et des récits du potager où elle travaille comme maraîchère. Les mains dans la terre, un refuge pour les jours trop noirs. Une invitation à plonger dans une intériorité, une vulnérabilité et sa propre colère. Le mélange des voix et des temps confère une nouvelle dimension au livre.
Délivrer la colère. Enjamber. Un pied, un pied et l'élan. Sauter au-delà de tout ce qui a trahi. Devenir fourmi ailée.
Ces portraits d'hommes façonnent un kaléidoscope de cette émotion brute. Ni thèse, ni constat, ces entretiens sur la colère posent, entre autre, la question du passage et du choix : que faire de sa colère, où la déposer, faut-il rester en retrait ou franchir le cap, est-ce douloureux?? Et plus largement, en filigrane, le contexte social affleure. Dans notre monde, la colère est-elle acceptable?? a-t-elle sa place??
Avec Carol Vanni, les questions restent entières, c'est cela que sous-tend son travail de collecte, c'est cela aussi qui nous laisse une place comme lecteur. Poser la question de la colère ne l'appauvrit pas. C'est au contraire la marque d'un texte fort. -
Femme morte à la théière
Carol Vanni, Anne Leloup
- Esperluete
- En Toutes Lettres
- 16 Mars 2018
- 9782359840926
Le récit s'ouvre sur les faits, bruts et violents, la grande cousine est retrouvée morte, lapidée dans un petit bois. Jamais on ne retrouvera les coupables. Il s'agira alors pour la jeune cousine de grandir et de se construire.
C'est le regard d'une femme mûre, accomplie mais bancale qui s'égrène dans le récit à la forme syncopée. « Femme Morte » est son nom, le nom qu'elle se donne pour interroger l'événement premier et ceux du quotidien. Comment peut-on vivre quand on se sent Femme Morte ? Comment peut-on s'autoriser un envol quand la vie aimée s'est arrêtée ? Comment fait-on pour jongler avec les mille et une sollicitations du monde extérieur portant cette part morte en soi ?
En faisant un pas de côté, en pariant sur le retrait, et la nature, Carol Vanni donne à son récit non pas un « sens » mais une dimension.
Ces questions, que le texte aborde en creux, laissent le lecteur progresser dans une histoire qui se construit lentement à la manière d'un lieu à soi. Se dessine alors une nature morte où chaque moment répond à un autre dans une forme de tissage, l'auteur tricote au-dessus du vide, les liens s'approfondissent.
Soigné par une écriture en fragments proche de l'incantation, le récit chemine vers une forme d'apaisement et un fil conducteur précis et minutieux apparaît. Séparer le vivant du mort en chacun de nous.