Christian Bobin
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Mon père mort me montre deux brins de muguet rouge. Il me dit qu'un jeune homme là-bas, dans une montagne du Jura, a inventé ce muguet et envisage de le répandre sur le monde. Il m'invite à aller le voir. L'homme tient une auberge au bord d'un lac. J'y mange une omelette, bois un vin de paille. Quand je lui parle des fleurs, mon hôte me conduit au-dessus d'un pré en pente : des dizaines de muguets rouges fraîchement poussés s'apprêtent à incendier la plaine. Je reviens vers mon père, lui demande qui est cet homme. Il me répond que c'est une partie de sa famille dont il ne m'avait encore jamais parlé. Va les voir, me dit-il, apprends à les reconnaître. C. B.
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«Je me moque de la peinture. Je me moque de la musique. Je me moque de la poésie. Je me moque de tout ce qui appartient à un genre et lentement s'étiole dans cette appartenance. Il m'aura fallu plus de soixante ans pour savoir ce que je cherchais en écrivant, en lisant, en tombant amoureux, en m'arrêtant net devant un liseron, un escargot ou un soleil couchant. Je cherche le surgissement d'une présence, l'excès du réel qui ruine toutes les définitions. Je cherche cette présence qui a traversé les enfers avant de nous atteindre pour nous combler en nous tuant.»
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Tout commence à Conques où l'auteur passe une nuit. Il reste fasciné par cette abbatiale du onzième siècle, dont les vitraux ont été réalisés par Pierre Soulages. Il croit voir ce que, aveuglés par le souci de nousmêmes et du temps, nous ne voyons pas. Tout ce que ses yeux touchent devient humain - vitraux bien sûr, mais aussi pavés, nuages, verre de vin. C'est la totalité de la vie qui est embrassée à partir d'un seul point de rayonnement. De retour dans sa forêt près du Creusot, le poète recense dans sa solitude toutes les merveilles «rapportées » : des visions, mais également le désir d'un grand et beau livre comme une lettre d'amour, La nuit du coeur. C'est ainsi, fragment après fragment, que s'écrit au présent, sous les yeux du lecteur, cette lettre dévorée par la beauté de la création comme une fugue de Jean-Sébastien Bach.
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Isolé du monde dans une cabane au fond des bois, Christian Bobin ne vit que d'écriture. Chez lui, nul portable, nul e-mail. Pour correspondre, il écrit à la main.
Pour la première fois, Christian Bobin livre un texte entièrement composé de lettres, dans un geste de résistance et d'attachement à la matérialité originaire de l'écriture. Rares et précieuses, ces lettres sont adressées tour à tour à sa mère, à un bol, à un nuage, à un ami, à une sonate.
Sous l'ombre de Ryokan, moine japonais du XIX e siècle, l'auteur compose une célébration du simple et du quotidien. La lettre est ici le lieu de l'intime, l'écrin des choses vues et aimées. Elle célèbre le miracle d'exister. Et d'une page à l'autre, nous invite au recueillement et à la méditation.
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« Écrire, c'est dessiner une porte sur un mur infranchissable, et puis l'ouvrir. »
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«C'est par incapacité de vivre que l'on écrit. C'est par nostalgie d'un Dieu que l'on aime. Un livre, c'est un échec. Un amour, c'est une fuite. Nous ne pouvons entreprendre que de biais, nous ne pouvons vivre que de profil. Nous ne sommes jamais où nous croyons être. Notre désir est voué à l'errance. Notre volonté est sans poids. Parfois quand même, on approche quelque chose. Parfois quand même on reçoit des nouvelles de l'éternel. Le battement des lumières sur un visage. La tombée de la foudre dans une encre.»
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«Les palais de la grande vie se dressent près de nous. Ils sont habités par des rois, là par des mendiants. Thérèse de Lisieux et Marilyn Monroe. Marceline Desbordes-Valmore et Kierkegaard. Un merle, un geai et quelques accidents lumineux. La grande vie prend soin de nous quand nous ne savons plus rien. Elle nous écrit des lettres.» Christian Bobin.
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Coeur de neige s'apparente au genre du conte animalier dont les protagonistes sont, comme on s'y attend, anthropologisés, mais dont rien dans le déroulement de l'histoire n'est invraisemblable, bien au contraire : le merveilleux réside au coeur de la réalité quotidienne. Il y est question d'un couple formé par Tacite, « un chat de gouttière au pelage noir et aux manières calmes » travaillant comme ingénieur dans une centrale nucléaire, et de Bruhle, « une chatte angora qui, à l'époque de leur mariage, suivait des études d'architecture et depuis s'était installée à son compte dans un commerce de lingerie fine ».
Ce couple ressemble à tous les couples chez qui alternent, on ne le sait que trop bien, des périodes de lumière et d'ombre. Mais il se trouve que cette vie conjugale réserve à Tacite plus souvent l'ombre que la lumière. Tacite conçoit vite qu'il est devenu, aux yeux de celle dont il est censé partager la vie, totalement transparent si ce n'est parfaitement inexistant. Un souvenir d'enfance, où le portrait des parents de Tacite est brossé, précise la précarité financière de la famille dans laquelle il a grandi, et révèle que Tacite connaît d'expérience l'alternance de la lumière et de l'ombre - l'école lui a ainsi réservé des leçons d'écriture et de vie, ce qui est la même chose.
Au passage, en voici une : « On peut fort bien vivre une vie que l'on ne vit pas. On peut indéfiniment supporter ce que l'on ne supporte plus. » Puis Brulhe la négligente finit par disparaître et par plonger Tacite dans des ténèbres définitives. Le chat réalise alors que la seule lumière qui l'a illuminé émanait d'elle seule. La fin de l'histoire a lieu durant la nuit de Noël où Tacite vide une bouteille de champagne puis fait une expérience aussi innocente et fantaisiste que déterminante - elle nécessite seulement un coeur d'enfant. Vous demanderez sans doute : « Quel est l'enseignement de ce conte ? » Posez cette question aux flocons de neige. Il y a des chances que vous soyez - entretemps amusé, émerveillé mais aussi édifié - durablement éclairé par leur réponse. -
«Le sourire est la seule preuve de notre passage sur Terre.»
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«Derrière la porte fermée à clé de sa chambre, Emily écrit des textes dont la grâce saccadée n'a d'égale que celle des proses cristallines de Rimbaud. Comme une couturière céleste, elle regroupe ses poèmes par paquets de vingt, puis elle les coud et les rassemble en cahiers qu'elle enterre dans un tiroir. Disparaître est un mieux. À la même époque où elle revêt sa robe blanche, Rimbaud, avec la négligence furieuse de la jeunesse, abandonne son livre féerique dans la cave d'un imprimeur et fuit vers l'Orient hébété. Sous le soleil clouté d'Arabie et dans la chambre interdite d'Amherst, les deux ascétiques amants de la beauté travaillent à se faire oublier.» Christian Bobin.
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Christian Bobin est né en 1951 au Creusot. Il est l'auteur d'ouvrages dont les titres s'éclairent les uns les autres comme les fragments d'un seul puzzle. On peut citer entre autres : Souveraineté du vide, Le Très-Bas, La part manquante, La plus que vive, La présence pure et Une bibliothèque de nuages.
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«Je m'égare un peu, ce livre ressemble de plus en plus à ce que ma mère me disait en me voyant sortir : tu ressembles à l'orage. Ce livre ressemble à l'orage, mais, somme toute, une promenade sous la pluie n'est jamais mauvaise, la joie y vient avec la peur.»
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'L'encre fraîche de Rimbaud tache mes doigts. Ses proses font trembler l'air au-dessus de la page comme sur une route fondue au soleil d'été.
Je vais chercher mon pain, mes nuages et mes étoiles dans l'unique librairie du Creusot. L'acacia au bas de la rue du Guide surgit comme un donateur fou. Son haleine sent le miel et l'or.
Toutes les fleurs se ruent vers nous en nous léguant de leur vivant leur couleur et leur innocence. Les contempler mène à la vie parfaite.
Les anémones sont si crédules que même l'enfer leur donne raison.'
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" on est d'abord loin du livre, loin de la maison.
On est d'abord loin de tout. on est dans la rue. on passe souvent par cette rue-là. la maison est immense. les lumières y brûlent jour et nuit. on passe, on ne s'arrête pas. un jour on entre. dans la maison incendiée de lumière, dans le livre ébloui de silence, on entre. on va tout de suite au fond, tout au bout du couloir, tout à la fin de la phrase, tout de suite là. dans la chambre aux murs clairs, dans le coeur noir du livre.
On se penche au-dessus du berceau de merisier. on regarde, c'est difficile de regarder un nouveau-né, c'est comme un mort : on ne sait pas voir. on s'attarde, on se tait. on regarde la petite fille endormie dans le berceau de lumière.
Albe, c'est son nom. "
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L'enchantement simple et autres textes
Christian Bobin
- Gallimard
- Poesie Gallimard
- 6 Septembre 2001
- 9782070418107
« Poésie/Gallimard » est une collection au format poche de recueils poétiques français ou traduits. Chaque volume rassemble des textes déjà parus en édition courante - tantôt du catalogue Gallimard, tantôt du fonds d'autres éditeurs -, souvent enrichis d'une préface et d'un dossier documentaire inédits. Élégant viatique pour les amateurs de poésie, la collection offre des éditions de référence, pratiques et bon marché, pour les étudiants en lettres. Aujourd'hui dirigée par André Velter, poète, voyageur et animateur de plusieurs émissions sur France Culture, la collection reste fidèle à sa triple vocation : édition commentée des « classiques », sensibilité à la création francophone contemporaine (Guy Goffette, Ghérasim Luca, Gérard Macé, Gaston Miron, Valère Novarina...) et ouverture à de nombreux domaines linguistiques (le Palestinien Mahmoud Darwich, le Libanais d'origine syrienne Adonis, le Tchèque Vladimír Holan, le Finnois Pentti Holappa, le Suédois Tomas Tranströmer et récemment l'Italien Mario Luzi, deux mois seulement après sa disparition...).
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« J'ai été seul pendant deux mille ans - le temps de l'enfance. De cette solitude, personne n'est responsable. Je buvais du silence, je mangeais du ciel bleu. J'attendais. Entre le monde et moi il y avait un rempart sur lequel un ange montait la garde, tenant dans sa main gauche une fleur d'hortensia - une sorte de boule de neige bleue. Peut-on imaginer cela ? »
Christian Bobin.
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« Je devins fou et personne ne s'en aperçut:le visage de Louise Amour remplissait le monde à ras bord. Il n'y avait plus rien d'autre. J'étais moins que l'air qui baignait ce visage, moins que la lumière qui ricochait sur lui. Les yeux de Louise Amour étaient deux bijoux de flamme brune, dorée, semblables à deux noisettes, sertis dans l'ovale d'une chair pâle, enfantinement bombée aux joues comme les pétales d'un lys. »
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«Tu dis n'importe quoi, c'est tellement agréable, d'ailleurs n'importe quoi, ce n'est jamais n'importe quoi : tu es là, tu passes d'une chambre à l'autre, tu parles toute seule, et voilà ce que tu entends lorsque tu parles toute seule, de la chambre rouge à la chambre jaune, dans le passage : hier, j'étais heureuse. Aujourd'hui je suis amoureuse, et ce n'est pas pareil. Et c'est même tout le contraire.» Christian Bobin.
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Souveraineté du vide suivi de lettres d'or
Christian Bobin
- Folio
- Folio
- 24 Janvier 1995
- 9782070392728
«Un jour viendra où une main de lumière heurtera le bois du coeur, avec une telle insistance que je ne pourrai faire autrement que me lever, et ouvrir. À la question qui me sera alors posée, je ne saurai pas répondre, sinon par un sourire:je n'ai rien fait de ma vie. Je l'ai perdue le plus possible.»
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«Je m'appelle Manège, j'ai neuf mois et je pense quelque chose que je ne sais pas encore dire. Entrez dans ma tête. Mon cerveau est plié en huit comme une nappe de coton. En huit ou en seize. Dépliez la nappe, voilà ma pensée de neuf mois : d'une part, les coccinelles n'ont pas bon goût. D'autre part, les ronces brûlent. Enfin, les mères volent. Bref, rien que d'ordinaire. Il n'y a que du naturel dans ce monde. Ou si vous voulez, c'est pareil : il n'y a que des miracles dans ce monde.»
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Elevé en Angleterre, nourri au lait d'or des fanfares royales, le dessinateur grandit dans une famille à la pauvreté aristocrate. La meule de l'école broie l'enfant au coeur visionnaire. Le monde est une fourmilière, une trop grande sensibilité y signe votre arrêt de mort. «Trop vivant pour plaire» est le verdict. On fait garder les chefs d'oeuvre d'un musée par celui qui en dessine nuit et jour dans l'atelier en feu de son coeur.
Cela faisait vingt ans que nous n'avions pas édité de textes de Christian Bobin. Sa poésie n'en garde pas moins la fraîcheur des premiers volumes que nous avions publiés. Elle porte cette fois sur un peintre inconnu, ou «le peintre inconnu» pourrait-on dire, comme tant d'autres, gardien de musée, se cachant pour dessiner des portraits solitaires.
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Le Christ aux coquelicots est une lettre d'amour adressée à un Christ d'avant l'Église chrétienne, lavé de tout dogmatisme. Aux antipodes des poncifs religieux sur la puissance de Dieu, il nous fait toucher d'une manière miraculeuse à la fragilité du divin. Par son inspiration, par sa lumière, par l'extrême pureté de sa langue, Le Christ aux coquelicots restera un livre tout à fait unique dans l'oeuvre de Christian Bobin. À qui s'adresse ce livre ? Aux amoureux pour qu'ils ne perdent pas leur amour dans le monde, et à ceux qui ne croient plus en rien parce qu'on leur a dit qu'il n'y avait plus rien ni personne dans cette vie comme dans l'autre.
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«On ouvre des portes, une à une. La distance qui sépare une porte de la suivante, on met des mois à la franchir, parfois des années. On est sans impatience. On va d'un pas égal, ni trop lent, ni trop pressé. La main sur la poignée tremble à peine. Dans une pièce il y a un cerisier en fleur. Dans une autre trois flocons de neige. Dans une autre encore une chaise de lumière. On reste sur le seuil, on s'efface contre la porte. On laisse entrer ce qui est bien plus grand que soi - on laisse aller le ciel auprès du cerisier, l'enfance courir jusqu'à la neige, l'ombre s'asseoir sur la petite chaise. Et puis on repart ouvrir d'autres portes, un peu plus loin. C'est une activité somnambule, faussement calme, à peine consciente. On appelle ça : écrire.»Christian Bobin.