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Gil Jouanard
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Gaston Bachelard écrivit dans Le droit de rêver que « le monde veut être vu ». C'est partant de cette hardie personnalisation du réel « objectif » que, à propos de trois catégories de paysages (l'univers amphibie du marais ; celui de l'oasis ; celui enfin des gravures rupestres dont la frise s'étend de l'Atlantique au Fezzan, notamment dans le no man's land séparant l'Anti-Atlas du Sahara), une poétique du paysage, cette invention humaine (car avant l'homme le paysage n'existait pas plus que la campagne ; il y avait seulement le monde), tente de se constituer.
Au fil de ces trois textes et de la réflexion à propos justement de l'invention du paysage, l'on sent bien que la poésie serait par endroits tentée de mettre pied sur les sols instables de cet archipel, tandis que l'auteur de son côté, souvent grugé par les abus de langage du lyrisme, s'efforce de ne pas s'en laisser conter, quoique, si on y regarde bien, sa belle assurance n'est à maints endroits que candide voeu pieux...
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Du temps où vivait Chardin, l'art de la peinture était soumis aux lois d'une curieuse hiérarchie, qui comportait de supposés « grands genres » (scènes à caractère religieux ou historiques, portraits de « grands personnages »...). Le sujet l'emportait donc de loin sur le talent que pouvait avoir le peintre à traduire ou à transfigurer le réel.
C'est l'un des plus petits genres que choisit ce fils d'artisan ébéniste. Il se trouve que ce genre « mineur » était tout entier consacré à la figuration fidèle de la réalité du monde visible, dont les objets statiques sont les plus sûrs jalons. Formes, volumes, couleurs, consistances et textures s'y confrontaient sans prétention ni ambition symbolique ou métaphysique à la lumière, bien souvent produite par une bougie absente du tableau.
Ce « parti pris des choses », loin des allégories, des évocations bibliques et mythologiques ou des récits de batailles, loin de ces galeries de portraits où venaient parader les altesses, nous est devenu un inépuisable gisement de rêverie (celle qu'exaltèrent avec la fausse modestie qui caractérise leur génie un Reverdy, un Ponge ou un Follain).
Gil Jouanard se place dans la situation qu'avait adoptée Jean Siméon Chardin pour considérer et portraiturer les choses dont sa cuisine et sa salle à manger, plus rarement son salon, avaient fait leurs intimes familiers. Et son modèle, c'est Chardin lui-même, Chardin face à son motif. Chardin confronté aux transparences, aux reflets, aux matières dont étaient faites, et dont sont faites, ces « natures silencieuses ».
Il scrute à son tour la nature silencieuse du peintre, en adepte consciencieux de l'effet Ripolin.
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L'image récurrente du Connemara est une immense prairie glissant vers la mer.
Et tout ce vert est quadrillé d'un réseau de murets, ponctué de moutons... mais pour moi, c'est une route bleutée qui s'enfonce dans le brouillard. Et sur cette route déserte, le silence et la solitude sont nécessairement estampillés d'une silhouette lointaine plus sombre que la tourbe, celle d'un homme à pied qui va dans la direction de nulle part. L'homme du Connemara est brun noir et vert criard, avec du gris au-dessus de la tête, par endroits tachetés de bleu transparent.
Le bout du monde est aussi le bout de nous-même. C'est le pays des légendes, donc celui des origines.
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À présent, voici le cuivre d'un ustensile de cuisine, le bois du lit et, même mortes, les anémones dans ce vase ; voici la justesse d'un pas dans l'autre monde d'à-côté ; et puis les mots qui nous entraînent à leur suite comme si tout allait de soi.
Puis enfin, à côté de la langue, voici, lui échappant d'un souple mouvement de mots, le poème, qui vient nous parler d'autre chose et nous fait vibrer jusqu'aux racines, jusqu'à ce que, de la mémoire, s'envolent d'un sec coup d'aile les oiseaux bariolés qui viennent inonder d'enfance la forêt de nos yeux. -
Que l'héroïne de ce roman vrai, nommée Marie, ait été désignée Juliette dès sa plus tendre enfance, n'est que de peu d'importance pour la suite du récit. Le fait témoigne néanmoins de l'étrangeté des moeurs de la région archaïque de sa naissance : le Gévaudan du début du xxe siècle, un des endroits les plus reculés de la galaxie européenne. Cela n'empêchera pas celle qui fut bergère à huit ans de s'inviter une décennie plus tard à la fête du Front Populaire. Puis, au fil de ses mariages, à l'idyllique Far East Américain et à l'Allemagne profonde de l'après-guerre. Une existence singulière, picaresque et pathétique, constituée d'à-pic vertigineux et plus souvent de bas que de hauts. Ou comment la rage de vivre de Juliette lui ouvrit toutes les portes, sauf la seule qui sauve, celle qui mène à soi-même.
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De la Baltique aux Balkans ; journal poétique d'un écrivain-voyageur
Gil Jouanard
- Tertium
- Pays D'encre
- 28 Février 2013
- 9782916132594
Rien n'est plus émouvant, aux abords des villes recrues d'Histoire, que ces échappées vers l'arrière-pays de l'intemporel et du hors sujet. Sur les pavés de Novy Svet, le pas tressaute au rythme d'un ländler ébouriffé, où viennent se loger des éclats de végétation. On décolle, on se dissout, on tend à disparaître.
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Gil Jouanard - découvert en ses jeunes années par René Char - n'a cessé de semer sur son chemin, depuis un bon quart de siècle, de minces volumes d'une prose à tonalité poétique (une trentaine de titres publiés chez divers éditeurs - surtout chez Verdier et Fata Morgana).
Ses lecteurs fidèles seront surpris de le voir aujourd'hui changer brusquement de genre et passer au récit (presque au roman) avec cette autobiographie " picaresque " riche de sève et de rencontres, composée dans un registre à la fois classique et déroutant - au rebours des modes et du nombrilisme actuel. Une " fiction vraie " (Jouanard raconte sa vie comme si c'était celle d'un autre), richement nourrie d'enfance., dont le héros très peu héroïque serait parfois semblable au Candide de Voltaire, d'autres fois au Plume de Michaux.
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Vers le milieu des années 60, déjà Wanderer dans l'âme, Gil Jouanard entreprit de noter, de façon discontinue, pour les fixer comme sur une plaque sensible, les instants qui s'offraient à lui en chemin. Un peu de tout : une sensation, un souvenir, une scène entrevue dans la rue, un paysage, une impression de lecture, une réflexion, une saute d'humeur...
Le temps passant, il se trouva propriétaire - un rien dubitatif - d'une ribambelle de lopins de mots épars, sans lien autre que le fait qu'il en avait été le collecteur attentif ou désinvolte. Que faire de ces coups de sang, de ces rêveries ? Les Lettrines de Julien Gracq, les Bois secs, bois verts de Cingria, les Papiers Collés de Perros dédouanèrent ses scrupules en lui prouvant qu'on peut faire livre de tout mot.
Il nous offre de parcourir ici, curiosité en bandoulière et sans itinéraire fixe, six lustres d'une vie dont l'écriture aura été le mode de respiration naturel.
Si j'écris, ce n'est pas pour m'inventer un monde plus vrai ou plus accompli que le vrai, mais plutôt pour apaiser, d'une encre douce, les blessures et les déceptions qui s'accumulent en mois sans jamais cicatriser. J'écris pour faire peau neuve, comme le serpent, comme le criquet. J'écris pour exercer la sensibilité de mon épiderme, c'est-à-dire pour m'entourer de plus de
réalité. Pour mieux me mesurer aux intempéries. J'écris pour que quelque chose d'inattendu et d'impensable ait lieu. »
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Celui qui dut courir après les mots
Gil Jouanard
- Phebus
- Litterature Francaise
- 1 Novembre 2018
- 9782752911766
Gil Jouanard nous offre une livre hors-normes, série de variations sur les mots, l'écriture et l'art de se dire. En se basant sur quelques épisodes de sa jeunesse et de son enfance, il nous raconte comment le langage structure notre rapport au monde. Ou, comment à huit ans, à l'approche du divorce de ses parents, l'enfant taciturne et contemplatif qu'il était se mit tout à coup à parler. Mais ce ne furent pas ses mots propres qui franchirent ses lèvres, plutôt ceux de Zorro, de Tarzan, de Buffalo Bill... les héros de ces livres préférés. À l'adolescence, c'est l'amour qui servit de révélateur à sa timidité et à sa sensibilité. L'amour et la chanson, qui transforme sa voix, autant que son rapport à la séduction et aux autres... Deux épisodes de ce livre qui, en se confrontant à nos paroles, explore notre rapport à nos congénères, entre indépendance et dialogue, singularité et ressemblance.
Sous le patronage de Montaigne et de Rousseau, un livre sur ce qui fait la spécificité des auteurs et les grands lecteurs, timides bien qu'ouverts aux autres, inadaptés et pourtant libres.
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Pays d'avens, de dolines, de sotchs, de lapias, hanté par les chasseurs cueilleurs de la fin du Paléolithique et par les résiniers du Chalcolithique et du Néolithique, celui qu'on appelle « le causse des causses » est une sorte de panthéon, ou d'anthologie, de la poésie « naturaliste », celle qui donne à « l'esprit du lieu », cher à Yves Bonnefoy, et à la poétique élémentaire de Bachelard des lettres, non pas « de noblesse », mais de mystère et d'étrangeté. Ce pays de légende, Gil Jouanard l'arpenta à fleur de regard et, par tous les temps, de peau. C'est ici, dans ces quelques feuillets, sept des vingt années d'écriture vagabonde, et pourtant contemplative, qui se proposent à la méditation et à la rêverie, en guise de célébration de l'instant, cette unité de mesure de la poésie que l'on vit, au jour le jour, machinalement.