Une fois encore, comme hier à propos de la famille en Europe ou de la place de l'écriture dans notre civilisation, Jack Goody vient perturber la ronde des historiens emportés par leurs certitudes. À la question soulevée par l'anthropologue britannique, on devine déjà ce qu'argueront les esprits chagrinés par cette interpellation d'exigence : comparaison n'est pas raison. Or, c'est bien de cela qu'il s'agit. La question? C'est le «vol de l'histoire», c'est-à-dire la mainmise de l'Occident sur l'histoire du reste du monde. À partir d'événements qui se sont produits à son échelle provinciale, l'Europe a conceptualisé et fabriqué une représentation du passé toute à sa gloire et qu'elle a ensuite imposée au cours des autres civilisations. Le continent européen revendique l'invention de la démocratie, du féodalisme, du capitalisme de marché, de la liberté, de l'individualisme, voire de l'amour, courtois notamment, qui serait le fruit de sa modernisation urbaine. Plusieurs années passées en Afrique, particulièrement au Ghana, conduisent Jack Goody à mettre aujourd'hui en doute nombre d'«inventions» auxquelles les Européens prétendent, sous les plumes de Fernand Braudel, Joseph Needham ou Norbert Elias notamment, alors que ces mêmes éléments se retrouvent dans bien d'autres sociétés, du moins à l'état embryonnaire. Économiquement et intellectuellement parlant, seul un écart relativement récent et temporaire sépare l'Occident de l'Orient ou de l'Afrique. Des différences existent. Mais c'est d'une comparaison plus rapprochée que nous avons besoin, et non d'une opposition tranchée entre le monde et l'Occident, au seul profit de ce dernier.
Un taliban met le feu à une pellicule photographique, tout en permettant à un reporter de photographier la scène.
Cette scène révèle la relation ambiguë que certaines civilisations entretiennent avec l'image. les exemples ne manquent pas en effet, dans l'histoire des sociétés, de condamnation des images et, d'une manière plus générale, des représentations: le rejet de la fiction et de l'imitation dans une partie de la tradition philosophique occidentale (platon, rousseau) fait écho à calvin condamnant l'adoration des reliques, ou aux cisterciens qui considéraient les vitraux comme l'expression d'une luxure décadente.
Jack goody explore les rapports complexes qu'entretiennent les images avec la religion, la politique et la culture, dans les sociétés orales comme dans celles de l'écrit. il cherche à montrer ce qu'elles révèlent sur les sociétés dans lesquelles elles apparaissent ou disparaissent. a partir d'une analyse comparée des cultures orientale, occidentale et africaine depuis deux mille ans, il explore notamment l'irrégulière répartition géographique et temporelle des images dans les sociétés humaines.
Empruntant ses exemples à un large contexte culturel (la sculpture africaine mangbetu, le théâtre médiéval, l'art classique grec, les statues de bouddha ou le roman anglais), il met en lumière ce qui se dissimule derrière leur absence ou leur suppression.
dans ce livre vigoureux, jack goody met en pièces l'idée reçue d'une opposition entre l'orient et
l'occident et montre que l'islam est partie intégrante du passé comme du présent de l'europe.
anthropologue internationalement reconnu, il s'est attaché à exposer, dans une langue claire et synthétique, le rôle joué par l'islam dans l'histoire de notre continent. il retrace les trois grandes routes empruntées par l'islam pour entrer en europe, celle des arabes à travers le maghreb, l'espagne et l'europe méditerranéenne, celle des turcs à travers la grèce et les balkans et celle des mongols du sud de la russie jusqu'en pologne et en lituanie.
chacune de ces zones de contacts qui ne furent pas seulement les fruits de conquêtes laissa une profonde empreinte sur la population, la culture et la religion, encore largement visible aujourd'hui. ce livre est un remède salutaire dans un contexte
politico-intellectuel oú certains voudraient imposer
comme une évidence l'opposition schématique entre
l'occident et l'orient.