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Kristin Ross
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Quand l'État recule, la forme Commune s'épanouit. Ce fut le cas à Paris en 1871 comme lors de ses apparitions plus récentes, en France et ailleurs. Les luttes territoriales contemporaines, comme la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes ou les occupations de chantiers de construction de pipelines en Amérique du Nord, ont remis à l'ordre du jour des formes d'appropriation de l'espace social. Elles ont façonné de nouvelles manières politiques d'habiter qui agissent pour interrompre la destruction de notre environnement. Mais elles ont également modifié notre perception du passé récent et donné de nouveaux noms à ce que nous voyons aujourd'hui, aiguisant notre compréhension du présent. Les luttes au long cours pour la terre des années 1960 et 1970, comme le Sanrizuka au Japon ou e Larzac, apparaissent désormais pour ce qu'elles sont : des batailles déterminantes de notre époque. Pour Kristin Ross, les processus pragmatiques et non accumulatifs qui fondent l'existence concrète de la vie de la commune - défense, subsistance, appropriation, composition et complémentarité des pratiques, solidarité dans la diversité - constituent des éléments cruciaux de ce que Marx appelait « la forme politique de l'émancipation sociale » et que Kropotkine considérait comme la condition nécessaire de la révolution et de son accomplissement.
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Jusqu'ici, l'histoire de la Commune de 1871 a été solidaire de deux grands récits politiques : celui, d'une part, du socialisme historique et de l'Union soviétique et celui, d'autre part, du républicanisme français. Dans les deux cas, la singularité de la Commune aura été diluée dans une oeuvre d'édification. C'est à rebours de ces deux récits que Kristin Ross procède à une relecture de la Commune, au-delà de ses frontières géographiques et temporelles strictes.
Car pour Ross, un des traits de la Commune est justement d'outrepasser les frontières de temps et d'espace.
La Commune n'est pas une série de faits qui se succèdent, du 18 mars 1871 jusqu'à la semaine sanglante.
C'est le point de rencontre d'aspirations émancipatrices multiples, enracinées dans les clubs révolutionnaires de la fin du Second empire, l'Union des femmes d'Elisabeth Dimitrieff, ou encore dans la commune rurale des populistes russes.
En reconstituant ces trajectoires, Ross donne à voir la Commune de Paris comme une création politique originale, fermement hostile à toute bureaucratie, tout chauvinisme et tout républicanisme. La république universelle des communards n'a ni frontières ni État, elle est un principe d'association politique libre, fédérale, d'une nouvelle communauté politique sans maîtres.
Et cette nouvelle communauté égalitaire n'était pas une utopie mais le présent historique de la Commune.
Kristin Ross en restitue la puissance en associant les intuitions de Jacques Rancière aux analyses d'Henri Lefebvre et de sa Critique de la vie quotidienne.
La Commune fut une réinvention du quotidien, des Arts, du travail, dont le fondement était l'égalité des capacités et des intelligences.
Pour l'illustrer, Ross éclaire l'ambitieux projet de réforme éducative et artistique de la Fédération des artistes - présidée par un certain Gustave Courbet et animée par l'auteur de l'Internationale, Eugène Pottier -, visant à protéger les artistes et leur autonomie, tout en encourageant l'enseignement polytechnique, la fin de la séparation entre art et artisanat, et l'embellissement de la vie quotidienne.
L'Imaginaire de la Commune est autant un livre d'histoire des idées que d'histoire tout court. En exhumant l'originalité de la Commune, ses aspirations à un « luxe pour tous », Kristin Ross arrache la Commune de Paris à toute finalité étatiste, productiviste, d'un socialisme de caserne.
La Commune et ses « vies ultérieures » portent en elles une singulière actualité : elles marquent la naissance d'un mouvement paysan radical et écologiste avant l'heure, la « révolution de la vie quotidienne », ou encore les débats sur le système économique d'une société sans État.
Par ce geste, Kristin Ross libère la Commune de son statut d'archive du mouvement ouvrier ou de l'histoire de France, pour en faire une idée d'avenir, une idée d'émancipation.
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Rimbaud, la Commune de paris et l'invention de l'histoire spatiale
Kristin Ross
- Amsterdam
- 17 Janvier 2020
- 9782354802035
« Tout, chez Rimbaud - sa jeunesse, sa classe sociale, ses origines provinciales, son extrême ambivalence face à l'idée de trouver une vocation ou de fonder un foyer, sa haine de l'«être poète» -, suggère que l'on ne saurait le comprendre seulement en lisant son oeuvre. Il faut essayer de comprendre les personnes et les choses qui l'entouraient, et de l'envisager, lui, non comme un corps individuel mais comme une personnalité à moitié fondue dans la masse. Comme quelqu'un qui arpentait plusieurs mondes à la fois, quelqu'un à qui « plusieurs autres vies semblaient dues », quelqu'un qui, dans cette conjoncture historique particulièrement instable, où les travailleurs parisiens avaient pris en main leur orientation politique, fit le choix, du moins pendant quelques années, d'écrire de la poésie. À la différence de Flaubert et de Mallarmé, la vie de Rimbaud ne fut pas une vie d'artiste. »
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Célébrée dans nombre de spectacles commémoratifs, l'histoire officielle affirme que les idées et les pratiques les plus radicales des révoltes de Mai 68 ont été récupérées ; que Mai 68 serait une quête individualiste et spirituelle annonçant le mot d'ordre des années 1980, " liberté ".
La position que j'adopte en est le contre-pied, car Mai 68 fut avant tout un événement politique : Mai 68 fut le plus grand mouvement de masse de l'histoire de France, la grève la plus importante de l'histoire du mouvement ouvrier français et l'unique insurrection " générale " qu'aient connue les pays occidentaux depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle s'est étendue au-delà des centres traditionnels de production industrielle pour gagner les travailleurs du secteur tertiaire.
Aucun secteur professionnel, aucune catégorie de travailleurs n'ont été épargnés ; il n'y a pas de région, de ville ou de village de France qui ait échappé à la grève générale. Et ce mouvement s'inscrit dans la lignée de l'aspiration profonde des années 1960, à savoir l'aspiration à l'égalité.
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Rouler plus vite, laver plus blanc : Modernisation de la France et décolonisation au tournant des années soixante
Kristin Ross
- Flammarion
- 1 Février 2006
- 9782082105408
Après la Seconde Guerre mondiale, la France connaît sous l'impulsion des États-Unis une période de modernisation brutale et massive qui provoque d'importants changements sociaux et culturels. En une dizaine d'années (1955-1965), la société de consommation envahit la vie quotidienne et prétend défaire les inégalités. Mais quels en furent les effets véritables ? Avec un humour et un recul salutaire, Kristin Ross interroge la place accordée aux icônes de l'époque - l'automobile, l'hygiène, les biens de consommation standardisés -, ainsi que les types sociaux et représentations - l'«homme nouveau», le cadre dynamique, le couple moderne, le culte de l'efficacité... Pour penser ce nouveau modèle culturel, l'auteur met à contribution le cinéma de Tati, Demy et Godard, les écrits de Fanon, Barthes, Debord et Lefebvre, les romans de Sagan, Robbe-Grillet, Beauvoir, Triolet, ou Perec, mais aussi l'idéologie de L'Express et de Elle. Elle montre que la France des années soixante ne peut être appréhendée qu'en maintenant le parallèle entre deux histoires, celle de la modernisation et celle de la décolonisation, et en soulignant leurs tensions spécifiques : celles d'un pays dominant/dominé, exploitant des populations coloniales au moment même où il se trouve amené à collaborer ou fusionner avec le capitalisme américain. Le colonialisme extérieur se convertit alors en «colonisation de la vie quotidienne». K. Ross établit un autre parallèle, audacieux, entre l'Algérie et le culte de l'hygiène, la pratique de la torture et l'industrie rationalisée. Finalement, quel fut le prix réel de notre modernisation ?