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Nicole Caligaris
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«C'était sous un ciel bleu, de la couleur de ma carrosserie, par 360° de solitude, comment as-tu pu me faire ça, Cantaloupe? Comment as-tu pu me refiler un secteur pareil, Chérie? J'avais ma pile de contrats posée sur le siège arrière, la prochaine ville était à je ne sais combien de bornes, mon quota n'était pas fait, j'étais dans le rouge, comme tous les mois depuis des mois et c'était le dernier mois de l'année, je ne me plains pas, d'accord, plus qu'un malheureux contrat à placer pour boucler la boucle, mais non, quota ou pas, tout le bureau se casse à heure fixe, on ferme, basta, et moi, je suis coulé, je repars pour une vie sur ces secteurs de misère, laisse-moi un délai, c'est rien, c'est beaucoup, une chance de sortir du cycle, Chérie, le temps de réaliser mon chiffre, je t'en prie, pour clôturer ce compte qui me plombe depuis des années, depuis toujours, depuis que je suis chez Ponzi.»
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Prodiges d'avant le doute croyances dans le besoin de peur de peu Je descends au milieu des ronces, loin de tout, en retard, la peau déchirée, le sang pompé par les tiques, seule. La pente est casse-gueule, il pleut. Voilà que c'était pour lui, cette traversée des broussailles, cet épineux enjambement d'aucune trouée, ce délicat sondage des taillis, cet avancer trop lent, précautionneux, sans un passage, ce silence, c'était pour lui qui ne se tourne pas, ne frémit pas, ne bouge pas une paupière, regarde tout et ne regarde rien, qui m'écoute, ramassé sur les postérieurs, intensément, qui va bondir. Pas encore. Qui reste. À deux pas de moi. Qui m'offre ça : la seconde du grand cerf anxieux.
Présence écrasante du présent et du récit entendons : un par fait
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Une escouade en déroute, sans repères, sans ennemi, abandonnée à elle-même au milieu de nulle part, se met à violer, à viser et à moquer tout ce qu'elle croise. Poule, rôdeur, petite fille ou curé, pas grand chose n'échappe à la bêtise et la vindicte de cette compagnie et de son chef, qui coupe tout ce qui dépasse avec sa scie patriotique.
Dans un style épuré et d'un grand classicisme, qui rappelle les pages de Casse-Pipe ou du Voyage au bout de la nuit, de Céline, voire une sorte de Désert des Tartares en déliquescence, Nicole Caligaris dépeint une danse macabre, disant l'absurdité colossale de la guerre.
Écrit au moment de la guère en Bosnie mais se référant à toutes les guerres, achevé de rédiger il y a exactement vingt ans, le 11 novembre 1995, ce récit adapté plusieurs fois au théâtre et la radio résonne d'une vibrante actualité. Cette édition est conçue comme un hommage, d'autant que, si le texte a à l'origine été inspiré par des gravures de Denis Pouppeville, aujourd'hui perdues, il a a son tour inspiré au graveur une nouvelle série de dessins, qui illustreront abondamment l'ouvrage.
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«Le 11 juin 1981, l'étudiant Issei Sagawa, trente-deux ans, a commis un meurtre suivi d'actes cannibales sur notre camarade d'université Renée Hartevelt, Hollandaise de vingt-trois ans, qu'il avait invitée dans son appartement du 10 rue Erlanger, Paris XVI?, lui demandant d'enregistrer en allemand la lecture d'un poème de l'auteur expressionniste Johannes Becher. J'ai vécu la proximité de l'événement. Ce livre est une empreinte laissée sur ses marges par cet acte et une tentative d'en affronter l'opacité. Ma vie s'est trouvée prise là-dedans à un moment crucial de son histoire et, bien que l'autoscopie me répugne, je dois me regarder au contact de ces circonstances.»
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Nous étions entre quatre parois de verre.
Au-dessus de nous, le plafond disparaissait dans l'ombre. nous fûmes quelques secondes le souffle coupé par la nuit subite, sans nous voir, simplement silhouettes, simplement sombres, les uns saisis à côté des autres, bouclés dans cet orly éteint, hors public, transparent comme un bloc de laboratoire. nous étions seuls. nous appelâmes, pieds et poings contre les cloisons, hurlements. nous appelâmes de longues minutes.
Puis nous nous assîmes en silence. il fallait attendre. dans le noir relatif s'éleva la voix douce du petit russe qui prononça comme on songe, lentement, pour soi-même : " est-ce qu'il vous est déjà arrivé d'avoir le sentiment d'être sur le point de devenir fou ? ".
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«Travailleurs au sens médiéval de bourreaux, nous infligeons le travail, aux autres et à nous-mêmes, nous avons tout un attirail pour forcer au sourire les sensibilités et les esprits récalcitrants ; nous savons enfouir assez profond notre fatigue, nos blessures, notre dégoût. Nous, désormais, qui avons la ressource humaine, l'homme instrument, l'homme matériau, nous savons que l'homme partage avec le singe la faculté de rire et que le propre de l'homme, c'est d'utiliser l'homme.» Prolongeant les questionnements de son univers romanesque, Nicole Caligaris interroge le «travail» et remet en perspective notre condition d'homme moderne en puisant parmi les mythes et leurs échos littéraires.
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«Qu'est-ce qui pourrait nous faire de l'ombre ici ? Rien. Le ciel est net comme une patinoire, depuis que nous touchons au sommet. Nous avons pris une telle intensité sur les tableaux électroniques ! À chaque tip du métronome, nous gagnons en photons, supernova dans le silence effrayant des espaces infinis. Nous sommes des bêtes.» Un commando de trois cadres à fort potentiel, spécialement mobilisé sur un projet. Parts de terrain à gagner, objectifs à accomplir, délais : il s'agit de faire de l'opération un succès, de se montrer indéfectible, super-héros, semi-dieu jusqu'à... l'os. L'os du doute est une farce, écrite dans une langue volée, avec joie, aux discours creux et aux formules utilitaires de la langue «management».
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Dans la nuit de samedi à dimanche
Nicole Caligaris
- Verticales
- Roman Verticales
- 10 Février 2011
- 9782070782192
Sept histoires d'amitié, entre fusion et trahison. Sept récits mettant en scène des hommes mi-complices, mi-rivaux, de milieux sociaux très divers (du plus précaire au trader fou), et de toutes générations. Sept virées nocturnes aux quatre coins d'une cité portuaire jamais nommée mais qui pourrait bien être la même, le même samedi soir. Sept destinées en parallèle qui, n'ayant a priori aucun rapport apparent, vont connaître un même dénouement. Plus qu'un recueil de textes, une chambre d'échos. Dans cet arrière-monde de la nuit, on rencontrera des malchanceux, des naïfs, des sournois, des déserteurs, des clandestins ou de simples amateurs de java enfiévrée, copains d'un soir ou vieux camarades de toujours. Ces êtres border line se retrouvent dans un bar, un club privé ou un bal populaire. Ils échafaudent des projets pour oublier leurs fêlures dans le tournis de l'alcool, le vertige de la peur, l'adrénaline du défi. Ainsi le narrateur d'« Opening night » se souvient-il du mutique César, étranger illégal hébergé à la pension maternelle, qui lors de sa dernière nuit s'est livré corps et mots autour d'un zinc avant d'être rattrapé par la « Préfecture ». Dans « Canto », Ludo finira étranglé par son compagnon de bringue dans le chaos des mauvaises blagues et des rires gras puis jaunes. Dans « La nuit number one », c'est Denis Bromio qui sera la cible à abattre de Rex, un homme de main avec qui il entretient une folle complicité. Au-delà du suspense, on ne découvre qu'à mesure d'autres enjeux plus impalpables et secrets, tout un art de la variation et du dévoilement progressif. L'écriture, d'une grande maîtrise rythmique, tisse un réseau subtil d'échos d'un récit au suivant. On avance souvent comme dans une matière, celle de la nuit, aux nuances saisissantes, liquides ou minérales. Et la réalité diffractée par les flash-back des narrateurs successifs dilate les durées, transforme le moindre acte en un geste quasi légendaire.
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Chant de survie, roman choral, tragédie grecque ou opéra, Les Samothraces est le cri poussé par trois femmes qui incarnent le visage et la voix d'un coeur anonyme de migrants :
Madame Pépite, Sambre et Sissi la Starine ont tout, dans le désespoir comme dans la parole, des premiers personnages beckettiens sur une route jalonnée d'obstacles et à jamais inachevée.
Interprétation typographique sur une affiche A2 recto-verso du texte complet du roman (86x65).
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Je me souviens des dunes sillonnées par les troupes, de la taïga qui marque la lisière de l'exil, de la musique, jouée après le couvre-feu dans les quartiers bouclés, de la danseuse qui n'a qu'à moitié survécu à sa noyade dans les eaux du port : le 53 parlait, je me souviens de tout.
Pendant sept mois, l'ancien otage d'un régime de terreur revit intensément les heures les plus sombres de sa captivité. Détenu au dernier étage d'une mystérieuse « villa », il partageait alors sa cellule avec le matricule 53, un prisonnier soumis aux pires séances de torture. Dans la pénombre, une connivence finit par s'installer, comme si ce compagnon de cellule se libérait par la parole des aveux obstinément refusés à ses bourreaux.
Souvenirs fidèlement reproduits ou fabriqués après coup, Okosténie constitue un témoignage mouvant qui fait jouer sur le même plan plusieurs niveaux d'identités, de vérités et de temporalités. Aussi s'agit-il d'un roman-gigogne où sont cachées autant d'évasions possibles d'un voyageur immobile.