Marseille a connu, depuis les années 1960, une transformation économique et sociale fondamentale lorsque son port au rayonnement mondial s'est mué en centre administratif et provincial, déserté par les bourgeoisies commerçantes, laissant de côté les classes populaires.
De ce moment perdurent des légendes encore vivaces. Marseille, même assommée par la crise économique, reste une ville imaginée, représentée par les médias, le cinéma ou la littérature, autant qu'habitée, mais fracturée. Le face-à-face tendu d'une classe moyenne administrative et d'une grande pauvreté partage encore un centre-ville qui a résisté à la gentrification. Parce que les notables locaux jouent un rôle crucial dans une ville où nombreux sont ceux dont la subsistance dépend des deniers publics, il faut analyser les dispositifs politiques et leur fonctionnement.
Enfin, Marseille est l'objet et l'enjeu de l'une des plus grandes opérations d'urbanisme menée en France au XXI e siècle. Sa " renaissance " économique prend la forme d'une réinvention des espaces portuaires " rendus " à la ville et animés par des industries culturelles. Mais au bénéfice de qui et au prix de quelles expulsions ?
En un demi-siècle, Marseille a connu des bouleversements sociaux, économiques culturels et urbains majeurs. Dans ces tourmentes, et en contraste avec sa réputation de ville rebelle, renommée pour la violence de ses affrontements électoraux, Marseille n'a pourtant eu que trois maires (Defferre, Vigouroux, Gaudin), tous issus du même moule politique et social formé après la guerre par Gaston Defferre. Partant de cette énigme, Michel Peraldi et Michel Samson, spécialistes reconnus des mondes politiques marseillais, proposent dans ce livre magistral la synthèse d'années de travail de terrain et d'entretiens approfondis avec les responsables politiques locaux. Les auteurs mettent ainsi à jour les liens noués par ces derniers avec les autres acteurs du théâtre politique local : entrepreneurs et industriels liés au port ou au BTP, nouveaux spécula-teurs de la « movida » immobilière marseillaise, représentants de l'État, supporteurs de l'OM, syndicalistes, leaders religieux et communautaires, artistes et voyous... Ils en tirent le constat que le récit politique ne s'écrit pas seulement dans les histoires internes au sérail, mais qu'il s'insère dans l'humus social et culturel de la ville, dont il révèle la complexité et les subtils équilibres. Un exercice rarement fait dans un pays où on a tendance à sacraliser le discours politique sans en rechercher la logique sociale.
Lorsque le 5 novembre 2018 deux immeubles s'effondrent rue d'Aubagne à Marseille, emportant huit vies et provoquant la colère des voisins, c'est tout un appareil politique qui se trouve mis en faillite. Celui d'abord de la municipalité en place, dont le drame révèle l'incapacité à construire durant son long « règne » une politique du logement et de lutte contre la pauvreté. Mais aussi celui de la vieille gauche institutionnelle dont les appareils ont été dissous dans trois élections successives perdues. Quant aux nouveaux acteurs portés par des vagues nationales, La France insoumise et LRM, ils peinent à s'ancrer localement, tandis que le Rassemblement national, comme une maladie endémique, semble tirer profit de la faiblesse des autres.
Cet ouvrage est d'abord une chronique sans équivalent de cette décomposition et de ses effets à la veille de nouvelles élections municipales. Marseille y apparaît comme une ville sous tutelle, où les services de l'État assument le quotidien d'une gouvernance à laquelle les acteurs politiques locaux et les petites bourgeoisies qu'ils représentent semblent avoir renoncé. Mais à cette léthargie s'oppose une révolte populaire qui vient de loin, ancrée dans l'humus social d'une jeunesse précarisée mais créative, portée par le dynamisme des industries culturelles et les solidarités populaires, soutenue enfin par une expérience militante acquise de longue date. La résistance s'organise comme l'utopie d'une ville où les mondes populaires n'ont pas encore renoncé à l'urbanité. Ce livre est aussi le récit de cette résistance, assumé parfois comme subjectif et partisan.