"Je n'ai jamais oublié ni n'oublierai aucune seconde de cette nuit." Une seule fois Mrs C. a cédé, surprise, à l'envie subite d'aimer un inconnu. L'homme était jeune et se noyait dans les jeux d'argent. Elle voulut le sauver. Son histoire, magnifique, incandescente, est celle des pulsions et des passions qui nous forcent, nous portent ou nous dévastent, celle aussi des blessures intimes, des culpabilités, des hontes qu'une parole, parfois, peut soigner dans la pénombre d'une chambre d'hôtel. A sa lecture, Freud n'aura qu'un mot : "Un chef-d'oeuvre."
Rédigé en 1941, alors que l'hitlérisme a contraint Stefan Zweig à émigrer au Brésil, Le Monde d'hier raconte une perte: celle d'un monde de sécurité et de stabilité apparentes, où chaque chose avait sa place dans un ordre culturel, politique et social qui paraissait de toute éternité.
Un monde austro-hongrois et une ville sans égale, Vienne, qu'engloutira le cataclysme de 1914.
Dans ce qui est l'un des plus grands livres-témoignages sur l'évolution de l'Europe de 1895 à 1941, Zweig retrace dans un va et vient constant la vie de la bourgeoisie juive éclairée, moderne, inétégrée et le destin de l'Europe jusqu'à son suicide, sous les coups de la montée du nationalisme, de l'antisémitisme, de la catastrophe de la Première guerre mondiale et de l'effondrement de l'empire austro-hongrois jusqu'au rattachement de Vienne au Reich nationalsocialiste.
Chemin faisant, le lecteur croise les amis de l'auteur: Schnitzler, Rilke, Romain Rolland, Freud, Verhaeren ou Valéry.
Ce tableau d'un demi-siècle de l'histoire de l'Europe résume le sens d'une vie, d'un engagement d'écrivain, d'un idéal d'une République de l'intelligence par dessus les frontières.
Un médecin colonial, qui se morfond dans un village de Malaisie, se prend de passion pour une femme de la bourgeoisie, hautaine et froide, venue lui demander de l'aider à avorter. Il la désire et la rejette, violemment. Il la fait chanter... Cette rencontre déclenche en lui une fureur destructrice : l'amok.
Dans cette nouvelle parue en 1922, Zweig exhibe toutes les pulsions d'ordinaire refoulées - passion morbide, masochisme, égoïsme et orgueil - en parlant de sexualité de manière étonnamment clinique. Il dénonce ainsi le malaise dans la société occidentale, le moralisme qui asservit les hommes comme les femmes.
Une jeune femme dans une situation tragique écrit à l'homme qu'elle a aimé passionnément, depuis l'enfance, pour lui rappeler son histoire : de leurs trois nuits d'amour est né un enfant qu'elle a élevé seule. Elle cherche à renouer le fil de leur relation. Mais son ancien amant est un brillant séducteur, un écrivain qui jouit égoïstement des plaisirs de la vie. Pour lui, elle n'est qu'une femme parmi d'autres ; pour elle, il est tout. Peut-il se souvenir d'elle?
Dans cette poignante nouvelle, publiée en 1922, Zweig analyse les psychologies féminine et masculine avec une acuité rare. Entre amour et oubli, plaisir physique et profondeur spirituelle, cette histoire d'obsession amoureuse, cruelle et crue, est d'une stupéfiante modernité.
«Personnellement, je suis quasiment certaine que c'est lui l'assassin, mais il me manque la preuve ultime, la preuve inébranlable.» Après la survenue d'un drame épouvantable, Betsy se replonge dans ses souvenirs.
Lui, personne ne peut l'imaginer en meurtrier calculateur. Pourtant, elle en a l'intime conviction... Qui soupçonne-t-elle d'avoir commis ce crime?
Deux nouvelles qui explorent avec justesse les sentiments qui peuvent nous habiter, de la jalousie destructrice à la bonté désintéressée.
« Au cours des mois suivants, un curieux astre dioscurique à deux faces répandit sa lumière au-dessus du pays étonné, autant à la satisfaction des pêcheurs que des dévots. Car si les premiers trouvaient à tout moment de quoi se satisfaire grâce au plaisir dispensé par le corps prodigue d'Helena, ces derniers pouvaient édifier leur âme grâce au reflet brillant de vertu qu'était Sophia et c'est en raison de cette dualité que pour la première fois depuis le début des temps, dans cette ville d'Aquitaine, le royaume de Dieu sur terre sembla nettement et visiblement séparé de celui de son rival. Celui qui aimait la pureté avait une sainte patronne à sa disposition, et celui qui s'abîmait dans les plaisirs de la chair avait en perspective la jouissance terrestre dans les bras de la soeur indigne. Mais dans chaque coeur ici-bas circulent d'étranges sentiers de contrebande entre le Bien et le Mal, la chair et l'esprit, et il s'avéra bientôt que c'était précisément cette dualité d'une nature inattendue qui menaçait la paix des âmes. » Dans ce singulier "récit enchâssé" paru en 1927, Stefan Zweig brosse le portrait de deux soeurs jumelles aussi apparemment semblables qu'elles ne sont en réalité opposées : car si l'une est Vertu, la seconde n'a goût que pour le Vice.
Nouvelles extraites de Romans, nouvelles et récits, I (Bibliothèque de la Pléiade).
"Une histoire au crépuscule" est traduite par Nicole Taubes.
Seul, un jeune aristocrate foule le quai de gare d'une station de montagne. Arrivé à son hôtel, à l'affût de la moindre rencontre, il entrevoit une femme élégante, l'air lointain, en compagnie d'un garçonnet. Prêt à tout pour la conquérir, il va feindre l'éclosion d'une amitié avec le fils pour atteindre la mère. Et bientôt, le petit Edgar ne comprendra pas la raison, celle qu'on lui tait et qu'il pressent brûlante, de leur soudaine métamorphose...
«Oh, le savoir, savoir enfin ce secret, le comprendre, tenir cette clef qui ouvre toutes les portes, ne plus être l'enfant à qui l'on cache et dissimule tout, ne plus être celui qu'on berne et qu'on dupe. C'est le moment ou jamais! Je vais bien le leur arracher, ce terrible secret.»
Victime du nazisme, le héros a supporté l'enfermement et la torture grâce à un manuel d'échecs trouvé par hasard dans sa cellule. Durant des mois, sur un échiquier imaginaire, il a joué des parties contre lui-même, jusqu'à la schizophrénie. S'il rejoue aux échecs, il risque de sombrer définitivement dans la folie. Zweig a achevé cette nouvelle la veille de son suicide, en 1942. Tous les thèmes de son oeuvre y sont concentrés:le passage du monde d'hier à celui d'aujourd'hui, les passions morbides, le désastre qui guette. Cette parabole d'une humanité brillante et décadente n'a pas fini de faire résonner en nous ses métaphores et son mystère.
« À dater de cette seconde, je t'ai aimé. Je sais qu'à toi, à toi l'enfant gâté, les femmes ont souvent dit ce mot-là. Mais crois-moi, personne ne t'a aimé aussi servilement, aussi aveuglément, aussi passionnément que l'être que j'étais alors et que je suis toujours restée pour toi. » Un écrivain viennois reçoit la lettre d'une inconnue qui lui confesse son amour absolu, resté secret pendant une dizaine d'années. Se souviendra-t-il de cette inconnue qui a construit sa vie autour de la sienne, tapie dans l'ombre, après l'évocation de leurs rencontres ?
Stefan Zweig dépeint l'amour inconditionnel et la passion dévorante avec une grande finesse psychologique et une profonde humanité.
Attablé dans un café parisien, un écrivain voit son attention attirée par un curieux spectacle : tout en se mêlant adroitement au flot des passants, un étrange individu semble faire les cent pas devant la terrasse du café. Policier en civil? Détective en mission secrète? Soudain c'est l'évidence, l'énergumène est pickpocket, «vrai métier» ardu et risqué. qui réserve bien des surprises à cet écrivain très observateur.
Deux nouvelles loufoques et poignantes, pour découvrir dans un registre inattendu un des plus grands écrivains de langue allemande du XXe siècle
Sur un paquebot qui vogue vers l'Argentine, Mirko Czentovic, un joueur d'échecs de réputation mondiale, bat impitoyablement tous ceux qui tentent leur chance contre lui. Jusqu'au moment où il se retrouve face à un mystérieux Autrichien qui lutte contre une étrange maladie, une «intoxication aux échecs». Sa rencontre avec Czentovic l'entraîne à nouveau au bord du gouffre... Une fable magnifique et puissante.
«Cette femme - je ne sais si je pourrai vous décrire cela - m'excitait, me provoquait, depuis l'instant où elle était entrée en faisant celle qui passait par là ; par son orgueil elle suscitait ma résistance, elle excitait tout - comment dire -, elle excitait tout ce qu'il y avait chez moi de réprimé, tout ce qu'il y avait de dissimulé et de mauvais, à contre-attaquer.»
Une femme de la bonne société viennoise trompe son mari avec un jeune pianiste. Elle agit par désoeuvrement et ennui, pour briser le confort routinier de son univers bourgeois. Mais l'aventure tourne court:très vite, elle se sent suivie, espionnée, traquée. Une vieille femme la fait chanter. Chez elle, son mari l'observe et la questionne, ses enfants la rejettent. Dès lors, l'angoisse ne la quitte plus, et le désespoir lui fait penser au suicide... jusqu'au coup de théâtre final, inattendu et cruel. Dans cette célèbre nouvelle parue en 1913 (souvent traduite sous le titre La Peur), au suspense digne des meilleurs romans policiers, Zweig dénonce une société malade, dans laquelle les classes sociales ne se mélangent pas et où règnent l'hypocrisie et les pulsions refoulées.