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Croquant
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Des expéditions d'observation des passages de Vénus au 18e siècle à la sociologie de la connaissance de Mannheim, jusqu'à la commercialisation de la recherche canadienne. Un dossier est consacré à la somme d'Alain Testart, Principes de sociologie. C'est l'occasion d'en attester la fécondité et l'importance pour la discipline. La réédition d'un article méthodologique de l'historienne et philosophe des sciences Hélène Metzger paru en 1933 permettra de réinvestir une question qui inquiète quiconque s'affronte au matériau historique : « l'historien des sciences doit-il se faire le contemporain des savants dont il parle ? » Un entretien avec l'historien et philosophe des techniques Hélène Vérin apportera de nouvelles pièces à la compréhension collective de l'histoire de ces spécialités. Enfin, après une étude exploratoire de la construction politique de la « super fusée » de la NASA censée véhiculer le retour sur la Lune, des recensions critiques feront vivre l'épreuve de la disputatio.
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Revue salariat n.2 : Dimensions politiques du salaire
Collectif
- Croquant
- Revue Salariat
- 8 Février 2024
- 9782365124089
Salariat #2Â :
Dimensions politiques du salaire
Ce numéro de Salariat rassemble des contributions donnant à étudier salaire et salariat à la fois comme enjeux et comme terrains de luttes politiques. Enjeux de luttes, en analysant comment la revendication du salaire ou la réorganisation sous le régime du salariat percutent des activités qui en sont habituellement exclues à l'instar des médecins ou des travailleureuses du sexe. Terrains de luttes, en documentant des expériences originales de réorganisation de l'institution salariale, comme l'expérience historique d'une communauté de travail, ou des luttes qui se jouent dans les zones grises de « l'infra-emploi », du statut de parasubordonné·e aux plateformes de services à domicile. Penser les dimensions politiques du salaire c'est réfléchir à la relation dynamique unissant les formes du salaire et les frontières du salariat : quand l'inscription dans la réalité juridique du salariat participe de la reconnaissance sociale du travail ; quand la lutte pour faire reconnaître une rémunération comme du salaire fait entrer dans un régime de droits ; ou encore, quand le débat sur les formes de la rémunération pose la question du pouvoir sur la valeur économique. Ce faisant, ce numéro revient sur la tension intrinsèque qui fonde l'histoire du salaire et du salariat en articulant deux traditions de pensée, l'une partant de l'idée du salaire comme instrument de l'exploitation, l'autre revisitant le salaire comme support de l'émancipation.
Introduction
« Au sein, au seuil et au-delà du salariat », par Jean-Luc Deshayes, Florence Ihaddadene, Maud Simonet, Daniel Véron, Claire Vivés et Karel Yon
Notes et analyses
« L'invention du salariat : le mot et l'objet », par François Vatin
« Les épouses méritent-elles leur salaire ? La communauté de travail de Boimondau (1944-1946)Â », par Ana Carolina Coppola et Guillaume Gourgues
« Les études, un travail à salarier ? La proposition de loi sur la rémunération étudiante (1951) », par Aurélien Casta
« Médecins en centre de santé : salarié·es non-subordonné·es ? », par Lucas Joubert
« Quand le salariat syndical déstabilise les militant·es », par Florence Ihaddadene et Karel Yon
« "Parasubordination" et recompositions de la société salariale », par Mara Bisignano
« Lutte de classe, féminismes et création. Le statut des artistes dans le grand bain des luttes salariales », par Aurélien Catin
Arrêt sur image
« Travailler au service de la flemme ? La marchandisation du ménage par les plateformes numériques », par Nicole Teke-Laurent
Lectures et débats
« Comment mener une grève féministe ? Apprendre de la lutte des CUTEÂ », par Al Caudron
« Une sociologie du travail salarié et ses frontières », par Jean-Pascal Higelé
« Quand le salariat populaire se mobilise... », par Carole Yerochewski
Brut
« CATS - Comité autonome du travail du sexe », par Maud Simonet et Claire Vivés -
Le numéro 13 de Zilsel poursuit l'exploration des pratiques scientifiques dans leur plus grande diversité. Au sommaire un dossier consacré aux expériences de terrain, à la façon dont le terrain peut être circonscrit, aux modalités de son investissement dans l'analyse, aux manières dont il échappe parfois aux certitudes de départ. La rubrique « Friches » revient sur une expertise embarquée d'un physicien auprès des institutions publiques au début de la pandémie. La section comprend également une étude approfondie des médecines alternatives dans leurs tentatives de s'organiser et de se légitimer. Un entretien avec Hélène Vérin restitue une carrière riche d'interprétations en histoire des techniques. Le « classique » du numéro est consacré aux réflexions, dans les années 1960, de l'historien Jean-Edouard Morère, sur la technologie. Enfin, une série de critiques d'ouvrages permet de faire le point sur les points chauds de l'actualité scientifique, notamment la panique anti-« woke ».
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Ce volume propose une variété de contributions dans le domaine des études des sciences, au prisme des sciences humaines et sociales. Un dossier coordonné par Antoine Hardy envisage « l'altération » des sciences à l'ère de la crise écologique globale. La réflexivité environnementale réoriente désormais la recherche. Ce volume contient en outre une traduction d'un article classique paru en 1981 de Harold Garfinkel, Eric Livingston et Michael Lynch sur la découverte d'un pulsar. Michael Lynch revient sur cette restitution, dans le contexte d'affirmation des études de laboratoires au tournant des années 80. Un entretien biographique avec Ann Blair, professeure d'histoire à Harvard, nous ramène dans l'univers savant des débuts de la modernité. C'est l'occasion de rouvrir le dossier de l'histoire de l'imprimé. Diverses recensions complètent ce numéro, avec en point d'orgue une discussion autour des Structures fondamentales des sociétés humaines de Bernard Lahire.
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Revue salariat n.1 : droit a l'emploi, droit au salaire ?
Collectif
- Croquant
- Revue Salariat
- 20 Octobre 2022
- 9782365123617
Pourquoi la revue SalariatÂ? Nicolas Castel Mathieu Grégoire Jean-Pascal Higelé Maud Simonet Le salariat a longtemps eu mauvaise presse. Au milieu des années 1860, dans un chapitre inédit du Capital, Karl Marx écritÂ: «Dès que les individus se font face comme des personnes libres, sans salariat pas de production de survaleur, sans production de survaleur pas de production capitaliste, donc pas de capital et pas de capitaliste! Capital et travail salarié (c'est ainsi que nous appelons le travail du travailleur qui vend sa propre capacité de travail) n'expriment que les deux facteurs d'un seul et même rapport». Qui dit salariat dit capitalisme et inversement. Marx invite ainsi les travailleurs et les travailleuses réuni·es dans la Première internationale, à substituer au slogan «un salaire équitable pour une journée de travail équitable», le mot d'ordre: «Abolition du salariatÂ!». Près d'un siècle et demi plus tard non seulement le salariat n'a pas été aboli, mais il est devenu désirable pour nombre d'individus et d'organisations syndicales. Cela ne fait guère mystère: le salariat observé par Marx et ses contemporains n'est plus celui que nous observons aujourd'hui. En tant que rapport social, le salariat a été un champ de bataille. Il a donné lieu à des stratégies d'émancipation qui se sont parfois - souventÂ! - traduites en victoires et en conquêtes. Les institutions du salariat que nous connaissons aujourd'hui sont les buttes témoins de ces batailles passées. La revue Salariat nait d'un questionnementÂ: les sciences sociales ont-elles pris la mesure d'une telle transformationÂ? Certes, l'idée d'une bascule dans l'appréciation du salariat - de condition honnie à statut désiré - est largement partagée: l'inscription puis le retrait de la revendication «d'abolition du salariat» dans les statuts de la Confédération générale du travail sont souvent mobilisés comme manifestation de ce mouvement historique. Mais on peut se demander si la façon dont les sciences sociales conçoivent le salariat a, parallèlement, évolué en prenant toute la mesure de ses transformations historiques qui, précisément, expliquent ce basculement radical d'appréciation. C'est en partant de l'explicitation de ce paradoxe que nous souhaitons introduire le projet intellectuel de la revue Salariat. Pourquoi questionner le «salariat»Â? Le salariat du xixe siècle n'est pas le salariat du xxe siècle et ne sera pas, on peut en faire l'hypothèse, celui du xxie siècle. Si au premier abord, il s'agit d'un rapport social consubstantiel au capitalisme, on aurait tort d'arrêter là l'analyse: le salariat s'est transformé en devenant, par certains aspects, plus complexe et, par d'autres, plus simple. Le salariat est d'abord devenu plus complexe car le rapport social salariés/employeurs ne s'exprime plus à la seule échelle de la fabrique ou de l'entreprise, ni à celle d'un face à face entre un ou des travailleurs et un capitaliste. Ce rapport se joue à plusieurs échelles comme par exemple la branche et l'échelon interprofessionnel. Il s'est par ailleurs cristallisé dans des institutions et dans le droit. Mais le salariat est aussi devenu plus simple car dans la première partie du xxe siècle, il est encore possible d'associer le rapport salarial à une classe sociale parmi d'autres, la classe ouvrière, dont les luttes, les représentations syndicales, les institutions et le droit, n'engagent pas nécessairement ou pas directement les autres classes sociales. Les paysans, les employés, les professions intellectuelles par exemple peuvent ainsi encore s'imaginer un futur dans lequel - à l'instar des ouvriers mais à côté d'eux - ils pourront construire un droit spécifique, des protections sociales spécifiques et ce, grâce à des organisations syndicales spécifiques. Près d'un siècle plus tard, le salariat s'est généralisé numériquement et la catégorie de salariat a solidarisé des segments de travailleurs et de travailleusesÂ: au groupe social «ouvrier» sont venus s'ajouter le groupe social «employé» ainsi que les «cadres» dont il faut noter que leur intégration au salariat fut un retournement de l'histoire particulièrement significatif. Qui plus est, ces segments de travailleurs et de travailleuses ont été solidarisés dans un même rapport social qui les oppose à des employeurs de façon plus universelle, plus simple et plus claire que par le passé. Ironie de l'histoire ou diversion, c'est précisément au moment où cette confrontation entre deux classes prend sa forme la plus évidente que la lutte des classes est déclarée obsolète. Il nous semble donc qu'au lieu de prendre toute la mesure de ces profondes transformations sociohistoriques du salariat, l'usage de cette notion par les sciences sociales s'est singulièrement appauvri. Pour Marx et ses contemporains - quelle que soit par ailleurs leur sensibilité -, le salariat est d'abord une notion forgée pour identifier, décrire et expliquer une relation économique, un rapport social très androcentré qui apparaît central dans la société du xixe siècle. Pour le dire dans un vocabulaire anachronique, c'est donc avant tout un concept des sciences sociales qui donne lieu à des controverses, des interrogations. Philosophes, économistes, sociologues s'en saisissent comme d'un outil pour décrire le réel qu'ils ont sous les yeux. Un siècle et demi plus tard, force est de constater que le terme salariat n'est plus questionné. Il est très souvent, pour les sciences sociales, une simple réalité juridico-administrative, une «donnée» ne posant pas question et au mieux une catégorie mais rarement un concept. Chacun ou chacune est ou n'est pas juridiquement «salarié» tandis que, statistiquement, l'Insee comptabilise un nombre de «salariés» et un nombre d'«indépendants» puis mesure l'évolution de leur part respective. Que les sciences sociales prennent en considération le fait d'être ou non juridiquement «salarié», par exemple lorsqu'on étudie la condition des travailleurs et des travailleuses des plateformes, est certes important et utile. Mais, à l'instar de ce que pratiquent paradoxalement de nombreux juristes, c'est à un usage plus réflexif de la notion de salariat - qui ne se réduit pas à une catégorie molle - que nous appelons. Cette approche réductrice du salariat comme «donnée» non interrogée s'explique certainement par un mécanisme assez paradoxalÂ: cette forme juridique, salariale donc, est le fruit d'une histoire qui a vu un concept et des théories s'incarner dans le droit9. En effet, ce concept analytique a infusé le droit jusqu'à structurer une grande part des réalités du travail et de ses «régulations» dans une bonne partie de l'Europe continentale, au Japon, aux États-Unis et ailleurs. Cependant, cette cristallisation dans le droit s'est accompagnée d'une baisse du pouvoir analytique du concept, voire d'une neutralisation scientifique d'un concept qui n'est qu'à de rares exceptions10 interrogé. La cristallisation dans le droit s'est ainsi accompagnée d'une vitrification conceptuelle. Dans quels termes a-t-on arrêté de penser la question salariale? Dans une définition-essentialisationÂ: le salariat c'est la subordination. Et cette définition-essentialisation est sous-tendue par une théorie implicite: celle de l'échange d'une subordination contre une protection. Ce «compromis» - fordien ou autre -, est devenu un cela va de soi ou un implicite théorique, presque un récit mythique des sciences sociales. Les analyses de Robert Castel dans Les métamorphoses de la question sociale sont à ce titre souvent mobilisées pour opposer diamétralement deux périodes historiques. Dans la première, le salariat de la révolution industrielle serait profondément asymétrique, l'égalité formelle des parties donnant lieu à une inégalité de fait et au paupérisme. Dans la seconde, un droit du travail et des droits sociaux octroyés par l'État seraient venus compenser cette asymétrie initiale et rééquilibrer l'échange salarial11Â: subordination contre protection, «compromis fordiste», «Trente glorieuses» et «plein-emploi» comme nouvelle étape d'un rapport salarial enfin rééquilibré. L'état de «compromis» peut alors plus ou moins implicitement être conçu comme un climax, un optimum indépassable. Dans un tel cadre d'analyse, on sera tendantiellement conduit à ne penser que des reculs - l'«effritement de la Âsociété salariale» - et ce, dans la nostalgie d'un passé glorieux mais malheureusement révolu. Droits octroyés et équilibre de l'échange retrouvéÂ: dans une telle perspective théorique, on le voit, l'univers des possibles du salariat est relativement bien borné par cet état d'harmonie sociale et d'intégration de la classe ouvrière que l'on prête à la période d'après-guerre. Or, pleine de conflits, de conquêtes, d'émancipations, la réalité sociohistorique sur plus d'un siècle dépasse les termes de l'échange et du compromis. Penser ainsi non pas en termes de compromis mais en termes de luttes et d'émancipation, évite de présumer des définitions et limites du salariat. La réalité du salariat a changé parce que des batailles relatives au travail et/ou à la citoyenneté économique et politique ont été gagnées. Oui, le salariat est consubstantiel au capitalisme mais il est traversé en permanence, par des formes de subversion de la logique capitaliste. Le rapport salarial, en ses contradictions et ses puissances, est le point nodal de la lutte des classes et, en la matière, la messe n'est pas dite tant au point de vue des structures objectives que des structures subjectivesÂ: rien ne permet de conclure que ce rapport social n'est qu'enrôlement au désir-maître capitaliste12. Si le régime de désir est bien celui de désirer selon l'ordre des choses capitalistes (i.Âe. une épithumè capitaliste13), il n'en demeure pas moins que depuis la théorisation produite par Marx, tout un maillage institutionnel de droits salariaux subversifs du capitalisme a pris forme au coeur du rapport salarial (sécurité sociale, cotisations sociales, conventions collectives, minima salariaux, droit du travail, statuts de la fonction publique et des entreprises publiques, etc.). En matière de salariat, on ne peut donc en rester à la théorie implicite du xixe siècle et son acquis d'une protection contre une subordination. Ce n'est pas une simple donnée juridique incontestable (être ou ne pas être «salarié») mais un concept qui doit être discuté, débattu, interrogé, mis en question, caractérisé et caractérisé à nouveau, au fil du temps et des luttes sociales qui s'y rattachent. Si domination, exploitation, aliénation, invisibilisation il y a, il s'agit aussi de comprendre ce qui se joue dans le salariat en termes d'émancipation des femmes et des hommes. Certes, le salariat n'est pas qu'émancipation. Et on peut songer à d'autres possibles pour les travailleurs et les travailleuses que ceux qui s'organisent à l'échelle du salariat. Mais cette dimension émancipatrice ne doit pas faire l'objet d'une occultation. Il nous parait donc nécessaire de saisir le salariat dans son épaisseur sociohistorique, dans les contradictions qui le traversent, les luttes qui le définissent et le redéfinissent, pour éclairer la question du travail aussi bien dans sa dimension abstraite que concrète. On l'aura compris, il s'agit donc ici d'interroger le salariat en lui redonnant toute sa force historique, heuristique et polémique. Le salariat, nous l'avons dit, est devenu un rapport social qui s'exprime à de multiples échelles et qui dépassent de beaucoup le simple face à face évoqué dans la deuxième section du Capital dans laquelle un employeur, «l'homme aux écus», se tient devant un salarié ne pouvant s'attendre «qu'à être tanné»14. Chacune de ces échelles constitue un champ de bataille, avec ses contraintes et ses stratégies d'émancipation spécifiques. À chacune de ces échelles, le rapport social salarial s'exprime dans des collectifs, dans des solidarités et des conflictualités articulées les unes aux autres. À l'échelle de l'entreprise se jouent par exemple de nombreuses luttes pour l'emploi. À celui de la branche, par le biais des conventions collectives, se joue notamment le contrôle de la concurrence sur les salaires entre entreprises d'un même secteur. À l'échelon interprofessionnel et national se jouent l'essentiel du droit du travail et des mécanismes de socialisation du salaire propres à la sécurité sociale ou à l'assurance chômage. Le salariat est donc bien loin de la rémunération marchande de la force de travail du xixe siècle. Les champs de bataille se sont démultipliés tout en s'articulant les uns aux autres. Qu'on pense à l'importance des conventions collectives en termes de salaire et de conditions de travail pour articuler les combats dans l'entreprise et dans la branche. Qu'on pense au rôle d'activation ou au contraire d'éradication des logiques d'armée de réserve que peut jouer un mécanisme d'assurance chômage sur le marché du travail. Qu'on pense également aux mécanismes de sécurité sociale en matière de santé et de retraites en France. Ces derniers se sont constitués en salaire socialisé engageant dans une relation l'ensemble des employeurs et l'ensemble des salarié·es à l'échelle interprofessionnelle là où, dans un pays comme les États-Unis, la protection contre ces «risques» est demeurée liée à la politique salariale d'un employeur à travers des benefits par un salaire indirect mais non socialisé15. Qu'on pense également au salaire à la qualification personnelle qui émancipe largement les fonctionnaires des logiques de marché du travail. Comprendre ce que vit individuellement un salarié ou une salariée hic et nunc, suppose de prendre en considération l'ensemble de ces dimensions collectives articulées, les dynamiques historiques, les luttes, les stratégies et la façon dont l'état des rapports de force sur chacun de ces champs de bataille s'est cristallisé dans des institutions. S'il est un objet qui nous rappelle tous les mois que ce rapport social se joue à plusieurs échelles, c'est bien la fiche de paye. Elle est une symbolisation d'un salaire dit «individuel» ou «direct» en même temps que le lieu d'un «salaire collectif» et ce, à plusieurs égards. En effet, quant à sa détermination, le salaire est particulièrement redevable au collectif. Les forfaits salariaux négociés dans les grilles de classification des conventions collectives de branches et au niveau de l'entreprise ou encore les grades et échelons de la fonction publique sont des éléments structurants du salaire. À cet «individuel» s'ajoute une autre dimension collective dont la fiche de paye fait état, c'est la part directement socialisée du salaire à une échelle nationale et interprofessionnelle via des cotisations ou des impôts. Ces échelles et institutions plurielles ne sont pas réductibles à une fonction de protection légitimée par une subordination mais sont beaucoup plus largement le produit des dimensions collectives et conflictuelles du salaire. Et l'on voit là, pour le dire en passant, ce qu'a d'inepte la lecture marchande et purement calculatoire du salaire, économicisme malheureusement dominant. Derrière la plus ou moins grande socialisation des salaires, c'est la question des modes de valorisation du travail qui se pose: à travers la qualification et la cotisation, le salaire n'a plus grand-chose à voir avec la fiction du prix du travail (cf. infra). Enfin, derrière la maîtrise ou non de cette socialisation, c'est aussi la bataille pour la maîtrise du travail concret qui se joue: c'est-à-dire maîtriser ses finalités, maîtriser la définition de ce qui doit être produit ou pas, maîtriser les moyens et les conditions de la production. Voilà tout ce qu'une lecture en termes de conflictualité et d'émancipation, et non seulement de protection/subordination, s'autorise à penser. Pourquoi une revue? La revue Salariat est la poursuite du projet intellectuel et éditorial que l'Institut Européen du Salariat (IES) porte depuis sa création en 2008. La revue vise donc à accueillir des contributions qui prendront au sérieux les enjeux du salariat de façon ouverte et contradictoire. Il s'agit de promouvoir des analyses du salariat issues des sciences sociales au sens large (sociologie, science politique, histoire, économie, droit...) mais aussi des débats ou des controverses qui ne s'interdisent pas de tirer des conclusions politiques de ces analyses scientifiques16. La revue est ainsi largement ouverte à diverses disciplines et à une pluralité de registres de scientificité. Les travaux empiriques pourront ainsi côtoyer des réflexions théoriques. Des textes fondés sur un registre très descriptif pourront dialoguer avec des approches plus politiques défendant telle ou telle stratégie d'émancipation. Grâce à ce dialogue qu'on espère fécond, nous entendons mettre la production intellectuelle de la recherche au service du débat public et des luttes politiques et sociales qui se déploient dans les domaines du travail concret et de sa valorisation. Notre revue souhaite ainsi faire vivre le débat intellectuel, le dialogue interdisciplinaire et constituer un espace de liberté scientifique en autorisant des approches diverses et non formatées, ce qui suppose en particulier que le débat puisse s'épanouir le plus possible à l'abri - voire même en dehors - des enjeux relatifs au «marché du travail» académique. Si la revue entend publier des articles d'auteurs et d'autrices dont on apprécie les qualités de chercheurs et de chercheuses, elle dénonce avec d'autres17 la fonction d'évaluation et in fine de classement des recherches et des chercheurs et chercheuses que les politiques de l'enseignement supérieur et de la recherche tendent de plus en plus à assigner aux revues. Nous souhaiterions - autant que possible - ne pas constituer un outil de légitimation supplémentaire d'un «marché du travail» académique dans lequel de jeunes chercheurs et chercheuses - de moins en moins jeunes en réalité... - font face à une pénurie extrême de postes et sont soumis à la loi du «publish or perish» ainsi qu'à l'inflation bibliométrique qui, paradoxalement, nuit à la qualité de la production scientifique. Cela signifie en pratique et entre autres, que nous voudrions rester en dehors de cette logique de «classement» des revues et donc ne pas figurer dans les listes officielles des revues dans lesquelles il conviendrait pour les candidats et les candidates à la carrière académique de publier, les critères bibliométriques permettant aux évaluateurs et aux évaluatrices de se passer d'un travail de discussion sur le fond. Cela signifie également que la composition du comité de rédaction de la revue n'est pas dépendante du statut sous lequel les membres exercent leur qualité de chercheur·se: doctorant·e, titulaire ou non titulaire, chercheur·se dans ou hors des institutions de l'enseignement supérieur et de la recherche. Nous nous concevons ainsi comme un groupe ouvert à toutes celles et tous ceux qui souhaitent travailler à un projet intellectuel et proposer aux lecteurs et aux lectrices un contenu de qualité, intéressant à la fois d'un point de vue scientifique et d'un point de vue politique. En ce sens, nous proposons plusieurs rubriques pour apporter divers éclairages ou points d'entrée d'un même questionnement puisque nous avons l'objectif de structurer chaque numéro annuel autour d'une problématique commune. La rubrique Arrêt sur image invite à décrypter les enjeux derrière une image choisie, la rubrique Lectures et débats ouvre à la discussion avec des publications académiques ou littéraires et la rubrique Brut est un espace de mise en valeur de données empiriques diverses. Ces manières d'aborder la problématique générale du numéro sont complétées par des articles dans une rubrique plus généraliste, Notes et analyses. Mais ces rubriques, plus largement présentées sur le site web de la revue18, ne doivent pas constituer des carcans et elles sont elles-mêmes susceptibles d'évoluer. Droit à l'emploi ou droit au salaire? Ce premier numéro est ainsi l'occasion de tester l'intérêt ou la validité de notre parti-pris analytique consistant à penser le salariat comme un concept de sciences sociales à vocation heuristique en dévoilant ses contradictions et ce faisant, des chemins possibles d'émancipation. La question générale que nous posons dans ce numéro est la suivante: qu'est-il préférable de garantir, un droit à l'emploi ou un droit au salaire? Pour celles et ceux qui restent indifférent·es à une réflexion de fond sur les institutions salariales, cette question n'a pas lieu d'être car «qui dit emploi dit salaire et qui dit salaire dit emploi, garantir l'un, revient donc à garantir l'autre». Une telle remarque passerait pourtant à côté d'un enjeu essentiel car il y a là - en première analyse et pour la période qui nous occupe, à savoir fin du xxe siècle et début du xxie siècle - deux voies d'émancipation salariale structurées autour de deux grandes familles de stratégies possiblesÂ: celles qui concourent à promouvoir l'emploi et notamment le plein-emploi et celles qui s'en départissent et promeuvent un droit au salaire ou font du droit au salaire un préalable. Ce débat, s'il est contemporain, n'est pas totalement nouveau et deux grandes organisations syndicales, la CGT et la CFDT s'en sont emparé avec leurs projets respectifs de sécurité sociale professionnelle ou de sécurisation des parcours professionnels. Il s'agit bien de projets différents dans lesquels l'emploi et le salaire ne recouvrent pas une même réalité. «Emploi», voire même «plein-emploi» peuvent prendre des sens différents et leur éventuelle garantie ne dit rien de la nécessité du salaire ou de ressources au-delà de l'emploi précisément. La question posée dans le présent numéro est donc loin d'être anodine et c'est pourquoi nous y réfléchissons depuis une dizaine d'années19 et la remettons aujourd'hui sur le métier. Et de ce point de vue, l'expérience du confinement a été particulièrement révélatrice de ce que les différentes formes d'institutions du travail produisent en termes de droits salariaux, comme le met en lumière Jean-Pascal Higelé dans une note - révisée - de l'IES que nous publions ici.
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Savoir/agir n.59-60 : l'université n'est pas une entreprise
Collectif
- Croquant
- Savoir/agir
- 17 Août 2023
- 9782365123884
« L'université n'est pas une entreprise ! ». Ce slogan a scandé les dernières mobilisations contre les réformes des universités, qui se sont multipliées ces dernières décennies. Pourtant, à y regarder de plus près, force est de constater que l'enseignement supérieur et la recherche se distinguent de moins en moins des entreprises dans ses modes de gouvernance : la collégialité se voit concurrencée par la centralisation du pouvoir dans les mains de gestionnaires, l'autonomie par l'évaluation constante et le financement sur projet, ou encore la solidarité par un morcellement croissant des corps des salarié-e-s et de leurs intérêts respectifs. Ce numéro propose ainsi de revenir sur ces métamorphoses, de leur esprit à celles et ceux qui les appliquent et les vivent au quotidien. Les articles qui le composent peuvent ainsi contribuer à éclairer, par mosaïques, certains éléments de ces transformations universitaires et dégager les dynamiques de leurs appropriations, des accommodements et des résistances qui ne manquent pas d'advenir.
En s'interrogeant tout d'abord sur les savoirs qui ont présidé à ces métamorphoses et sur les modalités de leur circulation et de leur application au sein des universités et des organismes de recherche, le numéro entend revenir sur la séquence des réformes des universités de ces dernières décennies. Quand on constate la convergence des réformes et qu'on en dégage un « esprit », quand on parle de « modèles » d'universités qui se diffusent, il reste difficile de saisir empiriquement ce qui circule et de quelle manière. Quentin Fondu, Mélanie Sargeac et Aline Waltzing retracent ainsi l'histoire du programme de gestion des établissements d'enseignement supérieur de l'OCDE (1969-2016), qui contribue à créer de nouveaux savoirs sur et pour la gestion des universités, et à former de nouveaux agents du monde académique, dépositaires à la fois d'une légitimité scientifique et d'un pouvoir administratif. Christophe Charle retrace quant à lui les difficultés réformatrices auxquelles s'est trouvé confronté le pouvoir politique au cours des soixante dernières années en France : il en conclut notamment au morcellement grandissant des corps enseignant et administratif au sein de l'université, marqué en particulier par l'augmentation de la précarité, ce qui rend désormais difficile toute perspective de revendication collective. En prenant pour objet les rapports à l'origine de ces réformes, Joël Laillier et Christian Topalov montrent que les réformes en question, loin d'être inefficaces, ont contribué à une refonte en profondeur des modalités d'organisation de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR). Toutefois, c'est surtout la description chronologique de ces reconfigurations qui leur permet a posteriori d'en dégager leur doctrine commune.
Cet « esprit » de la réforme, dont la cohérence ressort après coup, doit également être appréhendé au travers de ses relais nationaux et locaux, qui permettent son application à ces différentes échelles. Pour suivre cette « chaîne d'actions réformatrices », Etienne Bordes prend pour objet la Conférence des présidents d'université et ses métamorphoses. Au départ marqué par une forme d'autonomie et de collégialité, elle fonctionne depuis quelques décennies davantage comme une courroie de transmission de plus en plus directe entre ministère de l'ESR et établissements. À une autre échelle, Mathieu Uhel montre le rôle charnière de l'encadrement intermédiaire dans la transformation de l'université de Caen : fort d'un pouvoir grandissant et de formations de plus en plus spécifiques - souvent assurées par des organismes privés -, ils échappent aux règles de collégialité qui prévalaient antérieurement au sein de cet univers pour appliquer un management plus vertical et descendant. Audrey Harroche s'intéresse également aux personnes qui se font les relais, plus ou moins volontaires, des politiques d'excellence dans les établissements labellisés « Idex »Â : elle observe que, dans un contexte de manque de moyens structurels, les perdants du jeu de l'excellence ne s'y opposent pas, dans l'espoir d'y gagner un jour.
Si ces transformations ont en premier lieu des conséquences sur les conditions de travail des personnels de l'ESR et sur les étudiant-e-s, elles déterminent également des métamorphoses plus profondes, des modalités de financement et des représentations sur le monde universitaire. Revenant sur la fusion des différentes universités à Strasbourg en 2008 et sur le poids grandissant des appels à projets dans le financement de la recherche, Jay Rowell revient sur la marginalisation des sciences humaines et sociales (SHS) qui en a découlé, insuffisamment dotées et adaptées à ces nouvelles formes de mise en concurrence des personnes et des disciplines. Rogue ESR et Camille Noûs, enfin, nous enjoignent à la résistance collective, face à la passivité voire au cynisme : on ne tire jamais aucune épingle de ce jeu-là et, plus encore, on se retrouve parfois, bien malgré nous, les relais de ces réformes et de leur esprit. D'où la nécessité d'y réfléchir ensemble et de lutter de concert. -
Revue l'intérêt général n.3 : les campagnes
Revue L'Interet General
- Croquant
- Revue L'interet General
- 24 Mai 2018
- 9782365121453
Il s'agit du numéro 3 de la revue du parti de gauche L'intérêt général.
Le thème choisi cette fois : les campagnes (le monde rural)
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Des études approfondies du commerce des aviations de chasse, les expéditions d'observation des passages de la planète Vénus au 18esiècle, ou la formation du jeune Bourdieu. Un dossier, coordonné par Jérôme Lamy et Sébastien Plutniak, fait le point sur les relations entre la science et l'anarchie. En même temps qu'il fait le point sur l'état des connaissances, il met l'accent sur des figures de cet alliage, par exemple Paul Feyerabend ou André «Dédé-la-science» Langaney. La rédaction poursuit également son travail d'exploration des archives en dépoussiérant un texte du philosophe belge Léo Apostel, particulièrement dense et publié en 1977. Un autre texte important de Jacques Bouveresse paru en 1985 interroge les fondements de l'intelligence artificielle. Un entretien avec l'historien Christophe Charle, au titre volontiers provocateur (« Les débats épistémologiques en histoire, c'est toujours un peu du théâtre »), met en lumière les séquences et progrès d'une longue et fructueuse carrière. Des notes critiques complètent le sommaire, qu'introduit un éditorial invité d'Arnaud Fossier sur les conditions de production de la vérité en histoire, dans un contexte de mise en question du métier d'historien par quantité de faussaires qui prétendent dire le vrai sur le passé.Â
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Les débats de l'ITS n.14 : Quel avenir pour la (les) gauche(s) en france...et aussi dans le monde
Collectif
- Croquant
- Les Debats De L'its
- 9 Avril 2024
- 9782365124270
QUEL AVENIR POUR LA GAUCHE EN FRANCE...MAIS AUSSI DANS LE MONDEÂ ?
INTRODUCTION
La situation politique française est inédite après les élections présidentielles et législatives de 2022. Elle amène à se poser la question de la possibilité pour la gauche de parvenir au pouvoir avec, bien sûr, l'interrogation complémentaire, sur quelles bases ? Il nous est apparu opportun il y a un peu plus d'un an, de consacrer un numéro des Débats de l'ITS à ces sujets. Nous nous sommes d'abord tournés vers nos contributeurs membres de l'ITS et des ATS, lesquels ont continué leur engagement dans plusieurs directions après leur parcours au PSU, puis vers d'autres militants ou universitaires. Nous avons donc réuni ces contributions pour en faire une publication. Mais cette approche a été critiquée comme restrictive car il apparaissait logique dans le contexte que nous connaissons que chacune des forces constituantes de la NUPES* puisse faire part de ses réflexions et donner sa (ses) position(s).
Nous nous sommes tournés vers plusieurs personnalités et vers les fondations qui accompagnent les partis politiques. Nous avons obtenu des promesses, parfois des engagements qui apparaissaient plus fermes. Les mois ont passé et nos démarches n'ont pas abouti. En soi ce petit échec auprès des premiers concernés, il ne s'agit pas ici d'en majorer l'importance, est significatif des difficultés actuelles pour y voir clair. Toujours est-il que le résultat de cette situation nous conduit à publier ce numéro des Débats de l'ITS avec un an de retard par rapport à nos intentions.
Pour ce qui concerne la direction de LFI, force incontestablement dominante dans la période, nous avons tenté deux approches, l'une à Marseille, l'autre à Paris à partir de la Fondation du mouvement. Malgré des réponses de principe favorables il ne s'en est rien suivi. Il est certain que des débats importants traversent cette organisation et nous n'avons pas voulu donner la parole uniquement à l'un des regards critiques internes. Cependant il serait paradoxal de ne pas aborder la question de la démocratie au sein d'une force politique à volonté transformatrice de la société. Entendons-nous bien, nous ne réglons pas les différends d'un trait de plume en affirmant que l'incontournable démocratie implique, dans un parti comme dans un mouvement, des débats sur des textes d'orientation et l'élection des instances dirigeantes sur la base des influences respectives. Nous sommes bien placés, en tant qu'anciens du PSU, pour avoir constaté les dégâts des logiques de tendances avec les inévitables scissions à la clé. Mais la position asymétrique selon laquelle il faut se réunir au consensus autour d'une équipe avec un leader charismatique qui montre la voie, sinon l'efficacité diminue et la paralysie menace, n'est guère plus défendable. Si nous voulons que se généralisent à tous les niveaux de la société des débats citoyens à vocation décisionnelle il faut bien admettre qu'il y aura des majorités et des minorités, y compris au sein des courants progressistes. Les contradictions sont bel et bien présentes et il n'est guère possible de les éluder. Il s'agit de redoutables défis, pas si nouveau d'ailleurs : assumer partout des processus démocratiques impliquant les débats, les prises de position, les mises en oeuvre, la désignation de coordonnateurs, sans effets destructeurs sur le moment ou à terme.
Sept articles de ce numéro proviennent d'anciens du PSU, un d'un camarade qui s'est joint à la dynamique de l'ITS initiée par Jacques Sauvageot et un d'un universitaire reconnu qui accompagne souvent par ses apports notre réflexion. Quatre articles se concentrent de plus ou moins près sur la situation de la gauche française, deux portent leur regard sur l'international, un se propose de nous rappeler l'enjeux de la Révolution. Plus spécifiquement il nous a paru intéressant de demander à un résidant entre la France et le Chili, une analyse de ce qui s'est produit au Chili justement, pour qu'une constitution élaborée par une chambre progressiste élue à cet effet, soit ensuite largement rejetée lors d'un référendum avec ensuite l'élection d'une nouvelle assemblée constituante dominée cette fois par l'extrême droite. .
Enfin nous ne pouvons terminer cette brève introduction sans constater avec regret que la plus part des contributions de ce numéro ont été écrites par des hommes. Pourtant nous nous sommes fixés comme objectif la parité entre autrices et auteurs. Nous y étions parvenus lors des numéros précédents. Il va de soi que nous nous promettons de corriger le tir dans les numéros suivants, en premier lieu dans le prochain consacré à « la santé ».
A la suite de plusieurs relances effectuées auprès d'autrices, membres ou proches d'organisations féministes, leur ressenti sur l'état de la gauche et son devenir semblerait constituer une « non-question » depuis plusieurs décennies ; conséquences des déceptions produites par la prise en compte très relative au sein des politiques proposées par les différents courants, partis ou mouvement de gauche et d'extrême gauche, du féminisme comme mouvement porteur de transformation sociale, dont l'actualité politique est révélatrice. Cela expliquerait le manque d'enthousiasme à traiter du sujet même si très souvent les mouvements féministes se situent à gauche. Pour autant, cela ne signifie pas de leur part l'effacement de la gauche du paysage politique.  (cf. le livre « C'est terrible quand on y pense ouvrage collectif, éditions Galilée, 1983 »).
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La sénatrice socialiste Laurence Rossignol que nous avions contactée suite à une tribune dans la presse**, nous a aiguillé vers un entretien qu'ella a accordé sur le féminisme, nous avons décidé de le publier dans cette livraison.
NUPESÂ : Nouvelle Unité Populaire Ecologique et Sociale
** Laurence Rossignol avec 6 autres parlementaires socialistes prend position pour « une refondation profonde de la gauche » dans une tribune publiée par Libération le 25.11.22 puis accorde un entretien sur le même thème à Marianne le 29.11.22.
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Savoir/agir n.23 : Europe : la dictature de l'austérité
Revue Savoir/Agir
- Croquant
- Savoir/agir
- 19 Avril 2013
- 9782365120227
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REVUE LE CROQUANT n.43 : Gérald Bloncourt ; Jean Reverzy
Revue Le Croquant
- Le Croquant
- Revue Le Croquant
- 1 Juin 2004
- 9770984818052
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Cette nouvelle livraison de la revue Zilsel comprendra des articles d'enquête portant, entre autres, sur la financiarisation du secteur de l'assurance des catastrophes naturelles ou la question des rapports compliqués entre l'épistémologie et la politique dans les sciences humaines et sociales. Un dossier « Frictions », expérimental et engagé, proposera d'explorer le marché des revues prédatrices, qui commence à vampiriser le système des revues académiques. Complètent ces dossiers une série de notes critiques sur les dernières parutions dans les études sociales des sciences et techniques, un long entretien avec l'historienne des sciences Marie- Noëlle Bourguet et, last but not the least, un texte inédit de Pierre Bourdieu, « L'histoire singulière de la raison scientifique ».
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À qui appartient l'information ? A nous, répondent les magnats qui accaparent journaux, stations radios et chaînes de télévision. Pour eux, un média ne doit pas coûter cher, mais il doit - audience, influence, recettes - rapporter gros. Et tant pis si cette logique aveugle condamne une armée de journalistes, qualifiés et capables, à des tâches imbéciles, dégrade l'information et anémie le débat public. Tant pis, si le système médiatique fait le vide dans les cerveaux. L'essentiel est qu'il remplisse quelques poches et cadenasse l'ordre social.
À qui appartient l'information ? À tous, répondaient - déjà - les hommes et femmes des Lumières, qui savaient qu'on ne pense bien qu'« en communauté avec d'autres », et qu'une République sociale requiert une informa- tion de qualité. À tous, répondaient - déjà - les Résistants et le CNR, qui avaient compris que la presse ne doit dépendre que de « la seule conscience des journalistes et des lecteurs ». L'information appartient à tous, c'est-à- dire à l'ensemble des citoyens qui en ont besoin pour comprendre, analyser et juger en conscience. Elle ne peut être abandonnée aux caprices du marché et aux intérêts des hommes d'affaires. Elle ne doit pas non plus être monopolisée par l'État. Elle est un bien commun.
Entre l'info-marchandise, et l'information comme bien commun, il faut choisir. La bataille politique pour des médias indépendants, pluralistes et exigeants reste à mener. Associations, syndicats, intellectuels critiques : ils sont quelques-uns à ouvrir la voie. Puisse ce premier dossier de L'Intérêt général, la nouvelle revue du Parti de Gauche, contribuer à ce combat.
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Revue Zilsel n.9 : savoirs pratiques
Revue Zilsel
- Croquant
- Revue Zilsel
- 15 Octobre 2021
- 9782365123181
Cette nouvelle livraison de Zilsel propose une variété de recherches portant sur les sciences et les technique. Elle comprend un dossier sur les « savoirs pratiques », non directement classées dans la rubrique de la science la plus pure, mais pas moins intéressants en ce qu'ils construisent autant de prises sur le monde (pédagogie antiautoritaire, boxe, pratique abortive militante, fab lab, gantiers-parfumeurs, etc.). Le sommaire compte également une correspondance inédite entre Norbert Elias et Pierre Bourdieu, qui permettra de découvrir la progressive construction d'une relation scientifique et amicale entre deux géants des sciences sociales. Un entretien avec le mathématicien et économiste E. Roy Weintraub permet d'approcher les coulisses de l'histoire de la pensée économique et ses rapports avec les études sociales des sciences et techniques. Une série d'études critiques clôt ce numéro 9, alternant entre l'exercice de la restitution et la disputatio.
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Astronomie populaire au 19eÂsiècle, expertise techno-bureaucratique sur les polluants de l'air, enseignement de l'économie en Suisse, place et fonction de la métaphore scientifique, genèse et réception de la collapsologieÂ: le sommaire assume, comme à chaque fois, un éclectisme de bon aloi en même temps qu'une exigence de rendre raison de développements scientifique dans la société. Dans le même esprit, un dossier est construit sur la base d'une importance conférence - traduite et éditée - du sociologue Anselm Strauss donnée en Suisse en 1975. C'est un bon prétexte pour expliciter les lignes de force d'une approche de l'enquête en sciences sociales qui a particulièrement essaimé en études sociales des sciences.ÂZilselÂest également ravi d'intégrer un entretien au long cours avec l'historienne des sciences Ilana Lowy, dont les apports nombreux sont situés au gré des étapes d'une carrière marquée par des recherches pionnières et des influences durables.
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Savoir/agir n.61-62 : Les usages sociaux de l'anglais : Diffusion de l'anglais et recompositions des capitaux par l'international
Collectif
- Croquant
- Savoir/agir
- 11 Janvier 2024
- 9782365124126
Les travaux contemporains sur les classes sociales en Europe, mêlant étroitement objectivation de la structure sociale, sociologie de la culture et sociologie de l'éducation, ont suggéré la centralité des ressources cosmopolites dans la reproduction des inégalités sociales et dans l'exercice de la domination symbolique qui soutient les dominations économique et politique1. L'acquisition de ressources internationales apparaît aujourd'hui comme une source de légitimité décisive pour accéder à des positions de pouvoir à l'intérieur des frontières nationales et au-delà2.
Pourtant, rares sont les travaux sociologiques contemporains en France qui objectivent finement le maniement de la langue anglaise, langue transnationale dominante et composante essentielle de ces ressources cosmopolites. L'anglais s'est en effet progressivement imposé comme langue mondiale, utilisée dans les échanges entre nationalités très différentes3. Dès l'accélération de sa diffusion en France au cours du dix-neuvième siècle, les formes de son apprentissage sont variées, hiérarchisées socialement et font l'objet de luttes4. Le faible niveau d'anglais supposé des Français, rengaine principalement portée par les réformateurs scolaires souhaitant adapter le système d'enseignement au marché du travail, alimente depuis plus d'un siècle et demi des débats récurrents sur son enseignement. Si cette déploration perdure, elle obscurcit plusieurs dynamiques historiques qui sous-tendent les évolutions des formes et des usages de l'anglais dans l'espace national : l'intensification des usages de l'anglais du fait de son statut de langue transnationale dominante, la réalité d'une distribution socialement très inégale de la maîtrise de cette langue, le déplacement du centre de gravité de l'espace social comme du système d'enseignement vers le pôle économique où les demandes de maîtrise de l'anglais sont vives, ou encore l'exacerbation de la concurrence scolaire et de la compétition entre grandes écoles, qui tendent elles aussi à accroître l'importance accordée à la maîtrise de cette langue. L'anglais et ses usages sociaux constituent donc un point d'entrée empirique fécond pour interroger les recompositions de l'espace social que produit la montée en puissance des ressources internationales dans les pratiques et les représentations nationales.
Face au paradoxe de la centralité de ce fait social comme du caractère heuristique de cet objet sociologique, d'une part, et du peu de travaux qui s'y confrontent directement, d'autre part, nous avons cherché avec ce dossier à susciter et à réunir des productions qui interrogent les usages sociaux de l'anglais dans des univers variés. Nous avons pour cela « passé commande » à des sociologues dont nous imaginions que les enquêtes empiriques pouvaient avoir croisé la question de l'anglais sans forcément l'avoir traitée de front. Nombreux et nombreuses sont les sociologues qui nous ont répondu qu'en effet, la question n'avait pas été prise à bras le corps au moment de l'enquête ou dans l'écriture, même si, rétrospectivement, elle apparaissait bien comme un enjeu important des mondes sociaux qu'elles et ils avaient étudiés. Certain·es ont accepté de retravailler en ce sens leurs matériaux d'enquête pour ce numéro et nous espérons que le caractère fécond de cette démarche inspirera de nouvelles enquêtes afin de compléter l'esquisse que ce dossier propose.
Les usages sociaux de l'anglais L'historien néerlandais Willem Frijhoff propose de considérer l'usage d'une langue comme une pratique culturelle dans une société donnée5. Cela implique de définir la totalité des positions qu'une langue peut adopter dans le jeu social, c'est-à-dire l'ensemble des situations dans lesquelles la langue en question peut jouer un rôle signifiant, soit en tant qu'instrument de communication, soit en tant que symbole d'autres valeurs qui renvoient à l'histoire de cette langue ou à la position réelle ou présumée de celles et ceux qui la pratiquent. À rebours du sens commun qui ne voit dans le recours à une langue qu'une fonction véhiculaire (de communication), ce dossier insiste sur les fonctions conjointes de sélection sociale et de distinction que remplit la maîtrise de l'anglais. Enfin, les articles soulignent les visions du monde qui voyagent dans la soute de cette langue avec laquelle les agents sociaux font bien plus que « communiquer ».
La sélection par l'anglais Un premier usage de l'anglais se trouve dans la fonction de sélection qui lui est de plus en plus assignée, que ce soit à l'entrée des formations prestigieuses ou de certains secteurs professionnels : cet impératif est aujourd'hui assimilé par certaines familles.
L'article de Marie-Pierre Pouly en début de dossier dresse un espace social de l'anglais, qui permet de comprendre où il est parlé en partant de la façon dont il est appris selon les fractions de classe. Ce sont dans les familles particulièrement dotées, d'abord en capital économique mais aussi en capital culturel, que les stratégies éducatives incluent largement l'apprentissage de l'anglais. L'étude de cas de Martine Court et Joël Laillier sur une famille de la bourgeoisie établie détaille ainsi la place socialement située de cette insistance sur l'apprentissage de la langue le plus tôt possible. Les stratégies de transmission précoce de l'anglais impliquent, pour ces familles, une variété de méthodes et une énergie considérable : consommation de produits culturels en anglais dès le plus jeune âge, voyages familiaux dans des pays anglophones, emploi de jeunes filles au pair, voire de nannies pour pratiquer l'anglais à domicile (ce que constate aussi Alizée Delpierre dans son article), scolarisation dans des écoles anglophones en France, voire expatriation dès l'enfance ou l'adolescence dans les pensionnats anglais, ou suisses, comme le souligne l'article de Caroline Bertron. Elle montre d'ailleurs que si les offres des écoles suisses étaient autant francophones qu'anglophones au début du vingtième siècle, elles sont aujourd'hui bien plus souvent anglophones en raison de la demande accrue des parents, actant la domination de l'anglais comme première langue internationale sur laquelle les familles portent leurs investissements économiques et temporels. Toutes ces stratégies d'apprentissage précoce, héritées de l'aristocratie, historiquement plutôt tournées vers l'anglais britannique, ont pour enjeu d'en faire une langue qui ne soit pas étrangère, dont le rendement scolaire soit pleinement efficace, notamment pour l'entrée dans les grandes écoles françaises, voire les établissements anglophones prestigieux et, in fine, dans les carrières professionnelles envisagées pour les enfants. Dans les classes supérieures, et notamment celles qui cumulent ressources économiques et culturelles, les compétences en anglais peuvent donc être particulièrement élevées avant l'entrée dans l'enseignement supérieur.
Au niveau des formations, cause ou conséquence de cet investissement des familles aisées et de la concurrence que se livrent les institutions scolaires pour les capter, l'anglais se transforme en outil de sélection scolaire prétendument objectif. C'est déjà la thèse de Gilles Lazuech en 1996, dans son enquête portant sur 300 écoles de commerce et d'ingénieurs, où il montrait la place de la maîtrise linguistique dans la lutte que se livraient les grandes écoles qui, pour deux tiers d'entre elles, exigeaient un niveau minimal dans deux langues étrangères pour l'obtention du diplôme6. L'obligation linguistique s'accentuait encore dans les très grandes écoles : dans 40 % d'entre elles, plus de 30 % des élèves effectuaient un séjour académique. Dans les près de trente années qui nous séparent de cette enquête, cette internationalisation s'est encore accélérée et la proportion d'étudiant·es des grandes écoles faisant un séjour à l'étranger lié aux études (stage ou séjour académique) a fortement augmenté7.
Cet impératif d'anglicisation des cursus a commencé dans les années 1960 par les écoles de commerce, comme le montre Anne-Catherine Wagner dans ce dossier, du fait de leur proximité avec les milieux d'affaires qui promeuvent depuis le dix-neuvième siècle des formes d'apprentissage « anti-scolaire » de la langue, encourageant des usages commerciaux et mondains. Les écoles d'ingénieurs étudiées par Adrien Delespierre s'y mettent à partir des années 1980, et les Instituts d'études politiques enquêtés par Ugo Lozach internationalisent leur cursus à partir des années 1990. Ugo Lozach souligne à quel point l'épreuve d'anglais est discriminante socialement, et montre à partir de données sur les candidat·es aux concours d'entrée dans les IEP que les indicateurs de possession d'un capital international les distinguent nettement de leur cohorte de lycéen·nes, ce qui vaut a fortiori pour les reçu·es au concours. L'anglicisation des cursus des IEP et des grandes écoles d'ingénieur témoigne des vocations désormais plus internationales de ces deux types d'écoles initialement tournées vers la production d'élites nationales. Adrien Delespierre éclaire ainsi la façon dont cette anglicisation s'inscrit dans un mouvement plus vaste de reconversion de la noblesse d'État qui se place désormais à la tête d'anciennes entreprises publiques qu'elle transforme à marche forcée en firmes de dimension mondiale.
L'usage sélectif de l'anglais opère d'ailleurs sur les marchés du travail internationalisés pour recruter des travailleurs. La maîtrise de cette langue peut ainsi être lue par les employeurs comme un signal d'autres compétences socialement désirables, comme le montre Alizée Delpierre à propos du critère de la maîtrise de l'anglais dans les pratiques de recrutement des particuliers qui emploient des domestiques. À l'échelle individuelle, on voit comment la très forte ascension sociale de Paul, diplomate dont Marie-Pierre Pouly détaille la trajectoire dans la rubrique Paroles, s'appuie sur cette ressource linguistique encore relativement rare à l'époque de ses études en IEP au début des années 2000, et qu'il savait utile sur le marché du travail. Dans l'hôtellerie de luxe, où les employé·es doivent servir une clientèle de classes supérieures internationales, la pratique de l'anglais est nécessaire pour monter dans la hiérarchie des postes interactionnels comme l'expliquent Amélie Beaumont et Thibaut Menoux. Si un séjour de travail de plusieurs mois était auparavant nécessaire pour espérer une promotion, l'arrivée de profils plus diplômés, aux origines sociales plus hautes, et qui maîtrisent davantage l'anglais avant d'entrer en poste, est aujourd'hui souvent plus efficace pour obtenir les postes les plus convoités du secteur. L'exigence d'une maîtrise d'un anglais conversationnel codé entraîne alors une formalisation croissante de l'anglais du luxe hôtelier, qui renforce à son tour l'effet de sélection par la langue à l'entrée du secteur.
De même que l'anglais n'est pas transmis dans toutes les familles, ou mis en avant dans toutes les formations, les univers professionnels où l'anglais est nécessaire pour communiquer et érigé comme barrière au recrutement ne sont pas situés aléatoirement dans l'espace social. On le trouve dans les secteurs des services, de la vente, et plus largement du commerce, où l'anglais s'est imposé comme la langue principale dès lors qu'il faut communiquer avec une clientèle internationale, comme pour le cas de l'hôtellerie de luxe. Dans certains espaces académiques, comme l'économie étudiée ici par Pierre Fray et Frédéric Lebaron, l'anglais s'est imposé comme la langue de travail principale, y compris en France. Il en va de même dans les entreprises très internationalisées, où les cadres communiquent en anglais (américain) ou alternent entre français et anglais avec aisance, ce dont rend compte ici Isabel Boni-Le Goff pour les cabinets de conseil. User de l'anglais pour sélectionner les travailleurs constitue ainsi un indicateur qui situe socialement, par l'international, les différents secteurs d'activités et les groupes sociaux qui y évoluent.
L'usage distinctif de l'anglais Au-delà des fonctions sélectives que remplissent les compétences en anglais, sa maîtrise à un excellent niveau opère également comme un signal distinctif, du fait de sa rareté d'abord, mais aussi par les pratiques et les imaginaires auxquelles elle est associée. La langue renvoie en effet à un ensemble de signes culturels distinctifs et vecteurs d'entre-soi.
Les stratégies éducatives des familles dotées en capitaux n'ont ainsi pas que des avantages en termes de compétences linguistiques pour les compétitions scolaires et professionnelles. Elles sont aussi distinctives parce qu'elles s'inscrivent dans tout un style de vie. Au-delà de l'usage de la langue, ce sont en effet aussi les « choses anglaises » (habillement, manières d'être, sociabilités, etc.) qui sont désirées dans certaines familles bourgeoises8. Le style anglais, parce qu'il est prisé de longue date par la bourgeoisie établie ou l'aristocratie, peut être mobilisé dans l'espoir d'un ennoblissement partiel des fractions de classe économiques à mesure qu'elles s'établissent dans la bourgeoisie. Les articles du dossier éclairent ainsi, pour la période contemporaine, la différenciation sociale des usages de l'anglais en donnant à voir, en sus de l'apprentissage de la langue, la transmission de dispositions cosmopolites et d'un capital international (pratiques de mobilité, capital social et pratiques culturelles internationales).
Comme le montre Caroline Bertron, le souhait de s'affilier aux élites internationalisées est au principe de l'inscription des enfants dans les pensionnats suisses anglophones, en sus de l'apprentissage de l'anglais, que certains enfants peinent d'ailleurs à apprendre : certaines conditions sociales de félicité doivent être réunies pour que l'incorporation linguistique opère. Le développement de sociabilités transnationales de même que l'acquisition de diplômes étrangers (notamment l'International Baccalaureate) ont vocation à servir de passeport pour la bourgeoisie cosmopolite. Les articles de Lorraine Bozouls, d'une part, et de Martine Court et Joël Laillier, d'autre part, soulignent la valeur symbolique des choses anglaises et de la langue anglaise dans la bourgeoisie établie : elles renvoient à une certaine conception du raffinement social, dans le logement, l'alimentation et l'habillement notamment. Revendiquer cette attirance et cette familiarité depuis la France permet ainsi de montrer que l'on maîtrise plus que la langue, en inclinant d'emblée les enfants à adopter un style de vie international dans son versant le plus distinctif, c'est-à-dire anglosaxon. S'assurer les services de domestiques ou d'employé·es du service hôtelier parlant anglais permet, de la même manière, de choisir du personnel socialement distinctif, comme le montre Alizée Delpierre. En retour, l'ascension professionnelle de ce personnel passe par une maîtrise linguistique qui peut d'ailleurs créer des aspirations à un style de vie international plus proche de celui de la clientèle, ce que repèrent Amélie Beaumont et Thibaut Menoux.
Cette socialisation précoce à l'anglais dans la fraction internationalisée des familles des classes supérieures exerce ensuite des effets dans les cours d'anglais. Les articles d'Anne-Catherine Wagner sur les MBA, d'Ugo Lozach sur les IEP, et d'Adrien Delespierre sur les écoles d'ingénieurs soulignent de façon remarquablement convergente la position très ambivalente des enseignements d'anglais dans ces formes scolaires. Ils sont souvent dévalorisés par les étudiant·es malgré l'importance accordée à l'internationalisation, tandis que les enseignant·es d'anglais sont jugé·es principalement à l'aune de leur accent et de leur qualité linguistique : un nombre croissant d'étudiant·es très tôt socialisé·es à la langue anglaise la juge finalement inférieure à la leur, dévalorisant dans ce mouvement à la fois les enseignant·es et leurs cours.
Au-delà de la maîtrise de la langue, la distinction par l'anglais joue encore dans les mobilités permises par les écoles auxquelles appartiennent les étudiant·es. Un simple séjour dans un pays anglophone n'est plus à lui seul distinctif : c'est le prestige de l'institution où il est effectué qui apparaît décisif. L'obtention de partenariats avec ces institutions anglophones, notamment celles de l'Ivy League et d'« Oxbridge », constituent alors un autre aspect de la compétition entre grandes écoles, comme le montre Adrien Delespierre9. Pour être pleinement efficace, la compétence linguistique doit en effet être associée à d'autres ressources. En esquissant un espace de l'internationalisation de l'enseignement secondaire et supérieur, le dossier souligne bien le rôle que jouent l'offre et la demande de formes scolaires internationalisées distinctives dans les recompositions contemporaines des écarts symboliques entre les groupes sociaux.
L'article de Pierre Fray et Frédéric Lebaron, par une étude de cas portant sur l'économie, permet de réfléchir à l'accumulation symbolique distinctive permise par le recours à la langue transnationale dominante (l'anglais). Ils montrent que l'imposition du monolinguisme anglophone au sein de l'économie comme discipline scientifique et comme formation de l'enseignement supérieur s'apparente à une révolution symbolique. Les compétences en anglais de quelques économistes initialement marginaux leur permettent des mobilités professionnelles aux États-Unis dans les années 1950 qui les intègrent aux débats et aux manières étatsuniennes de faire science. Cette ressource linguistique et scientifique distinctive permet progressivement, à cette génération mais surtout à celle qu'elle forme, d'imposer en France ces nouvelles manières de penser la discipline et transforment durablement le champ de l'économie. Le pôle dominant au sein de l'économie est aujourd'hui doté d'un capital scientifique10 international dont l'accumulation et l'universalisation reposent sur une combinaison linguistique particulière : celle du langage mathématique et de la langue anglaise.
Ce panorama des usages distinctifs de l'anglais met en évidence ce que peut véhiculer la maîtrise d'une langue quand elle est utilisée dans des groupes sociaux qui y sont sensibles, en intensifiant la rentabilité des capitaux détenus. Ces effets multiplicateurs apparaissent d'autant mieux grâce aux deux derniers articles du numéro, qui offrent des contrepoints particulièrement éclairants. Frédéric Rasera et Manuel Schotté montrent ainsi que l'anglais n'est pas un prérequis aux carrières internationales des joueurs de football : c'est la langue nationale de chaque club qui prévaut dans les échanges quotidiens, et cela malgré la multiplicité des nationalités en présence. Cette règle amène les joueurs aux carrières internationales à apprendre des langues variées (allemand, espagnol, italien, etc.) au gré de leurs placements. Mais, du fait du stigmate social associé à ces jeunes hommes principalement issus de milieux populaires (et souvent racisés) et de la moindre valeur sociale des autres langues maîtrisées, ces savoirs linguistiques bien réels sont disqualifiés. Alexis Ogor montre quant à lui, à partir d'une enquête sur les étudiant·es inscrit·es en licence d'arabe à l'Inalco, que les usages sociaux de cette langue rarement enseignée et négativement connotée en France sont bien plus ambivalents et surtout bien plus difficilement reconvertibles en profits symboliques et économiques que dans le cas de l'anglais. La maîtrise de l'arabe dialectal (parlé), celui utilisé par la plupart des arabophones en France, n'est pas rentable dans le système d'enseignement valorisant une langue classique ou standard (écrite). Il distingue alors deux usages de la langue arabe (qui diffèrent de ceux de la langue anglaise), qui correspondent à deux types de trajectoires : d'un côté, des enfants d'ascendance arabophone utilisent l'apprentissage de l'arabe pour renouer avec leur « culture d'origine », tandis que des enfants issus des classes supérieures sans lien préalable avec la langue, voient dans l'arabe un outil pour accéder à des postes dans les relations internationales. Ce sont ces étudiant·es les plus doté·es socialement, in fine, qui ont le plus de chances de faire fructifier la maîtrise de la langue arabe en la traduisant en position sociale. Ainsi, ces contrepoints au dossier incitent à ouvrir des chantiers sur les autres langues que l'anglais et invitent à toujours spécifier les profits afférents aux usages des langues selon les contextes et les propriétés sociales des locuteurs et locutrices.
L'anglais porteur d'une vision du monde économique et politique De façon inconsciente ou revendiquée, l'usage de l'anglais dans des contextes sociaux singuliers véhicule des visions du monde, loin d'être neutres socialement et politiquement. Des conceptions professionnelles, économiques, éducatives, politiques, des manières de converser ou de conceptualiser les débats accompagnent les usages de l'anglais du fait des filières par lesquelles la langue est importée, au sein des familles, des formations ou des mondes professionnels. Les travaux empiriques réunis dans ce dossier mettent notamment en évidence l'association fréquente de la langue anglaise à la valorisation capitaliste des échanges commerciaux et de l'esprit d'entreprise, au détriment du point de vue des travailleurs, et son affiliation privilégiée à des conceptions politiques libérales des sociétés anglo-saxonnes.
La longue association historique de l'anglais au commerce avec la Grande-Bretagne puis de façon croissante à partir de la fin du dix-neuvième siècle avec les États-Unis, qui teintent la langue anglo-américaine des valeurs du « self-made man » et de l'entreprise, son statut central pour les négociants de l'époque moderne puis dans le monde commercial contemporain, expliquent la forte affinité contemporaine de l'anglais (notamment de l'anglais américain) et de l'ethos commercial. On en trouve des traces dans l'article d'Isabel Boni-Le Goff, qui décortique les multiples significations que revêtent les emprunts lexicaux à la langue anglaise dans l'univers du consulting où elle constate, d'une façon générale, comment la langue anglaise est valorisée en ce qu'elle renvoie au sérieux entrepreneurial11. Les consultant·es ont ainsi recours au franglish quotidiennement, à la fois comme preuve de l'expertise des professionnel·les face à leurs client·es et comme langage d'initié·es dans les coulisses de la production de cette expertise. La langue véhicule ce faisant une manière d'envisager les rapports sociaux, le recours à l'anglais permettant souvent d'euphémiser la violence de certaines pratiques managériales comme les plans de licenciement, en les mettant à distance par le voile d'une langue seconde. La vision spécifique des affaires portée par l'anglais dans les écoles de commerce par lesquels beaucoup de consultant·es sont passé·es n'y est sans doute pas pour rien. Anne-Catherine Wagner souligne ainsi dans son article sur les MBA que l'agency theory et la philosophie néolibérale de l'école de Chicago se diffusent dans les écoles de commerce par le biais des sciences de gestion, légitimées par des instances de consécration savantes internationales où l'anglais domine sans partage. Dans leur article sur l'usage de l'anglais chez les économistes, Pierre Fray et Frédéric Lebaron montrent, dans une veine proche, qu'un ensemble de manières de faire ou de penser transite dans la soute de ce monolinguisme : par exemple, la mathématisation et le recours à l'anglais, comme linguae francae, entraînent une standardisation de l'espace des problèmes économiques et des normes d'écriture qui favorisent un désencastrement des faits économiques par rapport aux configurations sociales.
Ce sont aussi des conceptions politiques qui sont importées avec la langue anglaise. Rachel Vanneuville a montré combien le modèle de la gentry anglaise a inspiré les classes dominantes françaises à la recherche d'un nouveau modèle libéral de concorde sociale après la Commune12Â : la référence anglaise est décisive dans la conception de l'École libre des sciences politiques, ancêtre des Instituts d'études politiques. Ugo Lozach indique, pour la période actuelle, que le type d'anglais et les domaines d'expertise aujourd'hui nécessaires pour réussir le concours de Science Po, à savoir l'anglais journalistique du Guardian et du New York Times et l'actualité politique du Royaume-Uni et des États-Unis, charrient des points de vue politiques sur le monde qui sont ignorés comme tels. L'article de Lorraine Bozouls, pour sa part, témoigne de la prégnance de la valorisation, par les familles du pôle privé auprès de qui elle enquête, des représentations - qualifiées d'anglo-saxonnes - sur l'éducation, l'économie ou la politique, ce qui révèle une affinité éthique pour le modèle libéral dont les sociétés étatsunienne ou britannique sont perçues comme des exemples aboutis.
Comment qualifier la ressource que constitue l'anglais?
Sans trancher, le dossier fournit des éléments pour enrichir la réflexion sur la façon de désigner la ressource que constitue la langue anglaise. Faut-il parler de capital international, de capital culturel, de composante cosmopolite du capital culturel, de coefficient international ou de formes internationalisées des capitaux ?
Pour qualifier ce type de capital plus souvent accumulé par les fractions économiques, on peut réfléchir en termes de « capital international », comme le propose notamment Anne-Catherine Wagner13. Depuis une vingtaine d'années, les langues transnationales (et particulièrement l'anglais) sont présentes explicitement ou en filigrane dans un certain nombre de travaux autour des usages des biens internationaux, de la scolarisation ou de la transmission d'un capital international. Le terme de capital international désigne alors un ensemble de relations sociales internationales, de ressources, de titres et de compétences (linguistiques notamment), que l'on peut trouver sous ses trois « états » dans différents groupes sociaux.
La forte association de la valorisation de l'anglais au pôle économique de l'espace social fait en effet hésiter à utiliser le terme de capital culturel ; néanmoins, la langue anglaise est bien transmise comme forme du capital culturel à la fois incorporé et institutionnalisé (c'est-à-dire intégré à une forme scolaire), même si la définition y compris scolaire de l'anglais garde la trace des luttes menées par les fractions économiques pour façonner le système d'enseignement à leur avantage, comme le rappelle Marie-Pierre Pouly dans ce dossier. Vaut-il mieux alors parler de « composante cosmopolite du capital culturel », suivant l'exhortation d'Érik Neveu à ne pas « marcotter » les capitaux14 ?
Travailler aujourd'hui sur les dispositions cosmopolites et particulièrement les dispositions linguistiques transnationales contribue en tout cas aux discussions contemporaines sur les recompositions du capital culturel. La période actuelle est caractérisée par la diminution du poids des emplois publics et la professionnalisation du système d'enseignement, au sein duquel les hiérarchies se redessinent, comme, en parallèle, se transforme le marché du travail. On peut, de ce fait, émettre l'hypothèse que la façon dont le système d'enseignement parvenait à imposer et reproduire une culture légitime classique se transforme et donc que le capital culturel (ce qui fait capital d'un point de vue culturel et ce qui est certifié par les institutions culturelles/scolaires) se recompose. Le capital culturel classique (lettré) devient moins rentable et moins facilement convertible en position sociale tandis qu'apparaissent de nouvelles formes du capital culturel, plus rentables scolairement : les ressources linguistiques en font partie, de même qu'une forme culturelle s'appuyant sur l'informatique et les technologies de la communication. Ces nouvelles formes de capital culturel déclassent la culture humaniste ou littéraire classique, même si cette dernière peut continuer à être utilisée, du fait de son ésotérisme, pour établir des barrières scolaires, en apprenant le latin ou l'allemand par exemple15.
Le cosmopolitisme culturel d'une fraction des élites s'oppose d'un côté à la mobilité forcée des migrant·es des pays pauvres (bras masculins de l'appareil de production industriel ou femmes aux affects exploités et dos cassés de la global care chain16) dont les ressources linguistiques, à l'instar de celles des footballeurs étudiés dans ce dossier par Frédéric Rasera et Manuel Schotté, ne font pas capital. Ce cosmopolitisme des classes supérieures s'oppose aussi, d'un autre côté, à la défiance d'une fraction des classes populaires envers ce cosmopolitisme17 et au goût d'autres fractions intermédiaires pour les langues qui peuvent être utilisées dans des stratégies d'ascension et dont les classes dominantes peuvent tenter de se distinguer. Ces oppositions sociales et culturelles se retraduisent alors dans un champ politique également clivé par la question du rapport au national ou à l'international. Comme le rappellent de façon nécessaire les travaux de Cédric Hugrée, Étienne Pénissat et Alexis Spire, c'est dans les milieux populaires, à l'échelle de l'Europe, que la présence des étrangers est la plus élevée. « À la différence des classes supérieures, pourtant si promptes à mettre en avant la mobilité transnationale et la tolérance aux autres, les classes populaires sont dans les faits beaucoup plus métissées et mélangées que tous les autres groupes sociaux », mais la mise en concurrence sur le marché du travail explique cette défiance, de même que la distinction culturelle, et donc la violence symbolique, que les formes culturellement légitimes du cosmopolitisme et la maîtrise des langues transnationales dominantes véhiculent18.
Finalement, la dimension internationale opère comme un coefficient symbolique positif -Â quand il s'agit de langues et nations dominantes - facilitant la monétisation des capitaux culturels, économiques, sociaux et symboliques et leur accumulation, ou comme un coefficient négatif - attaché aux langues de nations dominées ou à l'absence de maîtrise des langues transnationales - susceptible de dévaluer les capitaux ou faire obstacle à leur accumulation19.
Conclusion Matière scolaire et universitaire, pratique linguistique incorporée, mais aussi langue associée, par les groupes qui la pratiquent ou la valorisent, à un style de vie et à une vision du monde, l'anglais contribue à la (re)production des écarts entre les groupes sociaux et à la recomposition des formes de domination. Ce faisant, à travers l'association de ces formes internationalisées de capital (social, culturel, symbolique) à des modèles d'organisation économique et politique et aux transformations du capitalisme, c'est in fine tout un ordre symbolique et les mécanismes de son imposition que les articles étudient, en proposant des études de cas centrées tour à tour sur les styles de vie et les styles éducatifs des familles, sur le système d'enseignement, le champ scientifique et divers univers professionnels. -
Savoir/agir n.63 : L'engagement sociologique
Collectif
- Croquant
- Savoir/agir
- 9 Avril 2024
- 9782365124256
Dossier « Sociologie et Politique »
Savoir/Agir, n°63, printemps 2023
(Gérard Mauger, coord.)
Parce qu'elle cherche à représenter et à rendre compte du monde social ou de tel ou tel de ses aspects, la sociologie est inévitablement prise dans les luttes symboliques (scientifiques, politiques, médiatiques) qui ont pour enjeu la vision légitime du monde social. C'est pourquoi l'engagement sociologique n'est au fond qu'une façon de tirer les conséquences d'un état de fait. Mais cette forme d'engagement porte elle-même à conséquences. Outre qu'elle implique la défense de l'autonomie de la recherche contre les tentatives récurrentes d'arraisonnement politique, elle impose un devoir de réflexivité qui a pour corollaire un devoir de scientificité. Le souci de préserver la spécificité de l'engagement sociologique impose, en effet, de ne pas réduire la tâche du sociologue à celle d'un militant comme un autre. Il ne s'agit pas seulement, en effet, de positions à prendre ou d'indignation à faire entendre, mais de choses à savoir et à comprendre. C'est pourquoi l'engagement sociologique, loin d'affranchir des contraintes et des compétences exigées des chercheurs, implique la défense des valeurs de vérité et de désintéressement qui sont celles de la science.
Avec des contributions de Stéphane Beaud, Vincent Dubois, Michel Koebel, Frédéric Lebaron, Brice Le Gall, Kil-ho Lee, Gérard Mauger, Louis Pinto, Marie-Pierre Pouly, Arnaud Saint-Martin, etc. -
Savoir/agir n.22 : savoir agir Tome 22
Revue Savoir/Agir
- Croquant
- Savoir/agir
- 17 Janvier 2013
- 9782365120203
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Savoir/agir n.24 : politiques du logement
Revue Savoir/Agir
- Croquant
- Savoir/agir
- 27 Juin 2013
- 9782365120265
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Savoir/agir n.18 : l'Europe à vau-l'eau ?
Revue Savoir/Agir
- Croquant
- Savoir/agir
- 12 Janvier 2012
- 9782365120043
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Savoir/agir n.25 : les enjeux des élections municipales
Revue Savoir/Agir
- Croquant
- Savoir/agir
- 19 Septembre 2013
- 9782365120289
Un numéro abordant notamment la marginalisation de la démocratie participative par le pouvoir local, les hiérarchies du pouvoir local, ainsi que les rapports de pouvoir entre les élus et l'élite administrative locale dans les municipalités.
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Savoir/agir n.15 : la double réalité du monde sportif
Revue Savoir/Agir
- Croquant
- Savoir/agir
- 17 Mars 2011
- 9782914968874
L'engouement sans précédent pour le sport fait l'objet d'investissements de plus en plus importants, tant financiers que politiques et symboliques. Grande célébration médiatique de la mondialisation, la dernière Coupe du monde de football en Afrique du Sud a révélé une fois de plus la double réalité du sport : d'une part la manifestation réelle (la compétition sportive stricto sensu), de l'autre, la manifestation symbolique, c'est-à-dire l'ensemble des représentations d'un spectacle mis en scène et diffusé par les médias. Le modèle sportif qui tend à s'imposer progressivement est fondé sur l'assujettissement plus direct du sport à la raison économique : s'éloignant des principes de l'éducation populaire, les organisations sportives (clubs, associations de loisirs, dispositifs sportifs municipaux) se transforment en services qu'elles doivent rendre aux usagers-consommateurs alors que dans le même temps, sous l'effet de la privatisation des télévisions et de l'émergence du sponsoring sportif, le sport spectacle (notamment le football) s'aligne sur le modèle néolibéral dominant en Europe. Ce dossier tente de rassembler quelques voix dissonantes, qui ont du mal à se faire entendre dans cette orchestration médiatique généralisée et généralisante des vertus du sport, pour mettre en lumière des aspects moins connus de la réalité du sport : le monde du sport reste toujours fortement hiérarchisé, et ce d'autant plus quand des enjeux puissants sont présents ; « l'Europe du sport » se marchandise ; les travailleurs sportifs de l'ombre sont de plus en plus exploités et précarisés ; en imposant ses normes et principe d'efficacité aux ligues et comités sportifs régionaux, l'Etat entrepreneur crée une nouvelle culture du résultat ; les vertus « intégratrices » du sport sont loin d'être prouvées, pendant que le sport continue à générer dans l'ombre l'exclusion, le racisme et la violence.