Verdier
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Paris 1931, l'Exposition Coloniale. Quelques jours avant l'inauguration officielle, empoisonnés ou victimes d'une nourriture inadaptée, tous les crocodiles du marigot meurent d'un coup.
Une solution est négociée par les organisateurs afin de remédier à la catastrophe. Le cirque Höffner de Francfort-sur-le-Main, qui souhaite renouveler l'intérêt du public allemand, veut bien prêter les siens, mais en échange d'autant de Canaques. Qu'à cela ne tienne !
Les « cannibales » seront expédiés.
Inspiré par ce fait authentique, le récit déroule l'intrigue sur fond du Paris des années trente - ses mentalités, l'univers étrange de l'Exposition - tout en mettant en perspective les révoltes qui devaient avoir lieu un demi-siècle plus tard en Nouvelle-Calédonie.
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Naviguant vers les îles Éparses du canal du Mozambique, je fais deux voyages en un seul. L'un me mène vers l'éblouissement d'une nature presque vierge : poissons aux couleurs et dessins extravagants, tortues marines, crustacés chamarrés et biscornus, grands papillons migrateurs, vols stridents de milliers d'oiseaux... profusion inouïe, fantasmagorie de formes baignées dans les « bleuités, délires » qu'évoque le poème le plus connu de Rimbaud. Intérieur et ironique, moins exaltant, l'autre voyage est presque le contraire du premier : passager insolite à bord d'un bateau dont les marins ont l'âge parfois d'être mes petits-enfants, ce n'est pas seulement vers les îles que je navigue, mais vers l'état fragile et un peu ridicule de vieux. Habitué à mon apparence, je ne me suis pas vu me transformer en cet être de papier mâché en qui les autres identifient immédiatement un semi-vivant. L'océan Indien sera pour moi la mer de la Sénilité... Parfois cela m'amuse, pas toujours - j'espère en tout cas en faire sourire le lecteur.
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« Je suis venu ici pour disparaître, dans ce hameau abandonné et désert dont je suis le seul habitant» : ainsi commence La Petite Lumière. C'est le récit d'un isolement, d'un dégagement mais aussi d'une immersion. Le lecteur, pris dans l'imminence d'une tempête annoncée mais qui tarde à venir, reste suspendu comme par enchantement parmi les éléments déchaînés du paysage qui s'offrent comme le symptôme des maux les plus déchirants de notre monde au moment de sa disparition possible.
L'espace fait signe par cette petite lumière que le narrateur perçoit tous les soirs et dont il décide d'aller chercher la source. Il part en quête de cette lueur et trouve, au terme d'un voyage dans une forêt animée, une petite maison où vit un enfant. Il parvient à établir un dialogue avec lui et une relation s'ébauche dans la correspondance parfaite des deux personnages. Cette correspondance offre au narrateur l'occasion d'un finale inattendu.
La petite lumière sera comme une luciole pour les lecteurs qui croient encore que la littérature est une entreprise dont la portée se mesure dans ses effets sur l'existence.
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Les voilà, encore une fois : Billaud, Carnot, Prieur, Prieur, Couthon, Robespierre, Collot, Barère, Lindet, Saint-Just, Saint-André.
Nous connaissons tous le célèbre tableau des Onze où est représenté le Comité de salut public qui, en 1794, instaura le gouvernement révolutionnaire de l'an II et la politique dite de Terreur.
Mais qui fut le commanditaire de cette oeuvre ?
À quelles conditions et à quelles fins fut-elle peinte par François-Élie Corentin, le Tiepolo de la Terreur ?
Mêlant fiction et histoire, Michon fait apparaître avec la puissance d'évocation qu'on lui connaît, les personnages de cette « cène révolutionnaire », selon l'expression de Michelet qui, à son tour, devient ici l'un des protagonistes du drame.
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" je voudrais faire des portraits qui un siècle plus tard aux gens d'alors apparussent comme des apparitions " écrivait van gogh il y a justement un siècle.
Ces portraits, on peut douter qu'ils apparaissent aujourd'hui : comble de la valeur marchande, ils sont aussi peu visibles que les effigies des billets de banque. c'est que van gogh, qui accessoirement était peintre aussi, est une affaire en or. dans cette affaire, il est bien au-delà de son oeuvre maintenant, nulle part. j'ai voulu le voir en deçà de l'oeuvre ; par les yeux de quelqu'un qui ignore ce qu'est une oeuvre, si ce phénomène était encore possible à la fin du siècle dernier ; quelqu'un qui vivait dans un temps et dans un milieu où la mode n'était pas encore que tout le monde comprît la bonne peinture : ce facteur roulin qui fut l'ami d'un hollandais pauvre, peintre accessoirement, en arles en 1888.
Et bien sûr je n'y suis pas parvenu. le mythe est beaucoup plus fort, il absorbe toute tentative de s'en distraire, l'attire dans son orbite et s'en nourrit, ajoutant quelques sous au capital de cette affaire en or, sempiternellement. cet échec est peut-être réconfortant : il me permet de penser que le facteur roulin se tient nécessairement devant qui l'évoque à la façon d'une apparition, comme le voulait celui qui le fit exister.
P. m.
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En 2012, Thésée quitte « la ville de l'Ouest » et part vers une vie nouvelle pour fuir le souvenir des siens. Il emporte trois cartons d'archives, laisse tout en vrac et s'embarque dans le dernier train de nuit vers l'est avec ses enfants. Il va, croit-il, vers la lumière, vers une réinvention. Mais très vite, le passé le rattrape. Thésée s'obstine. Il refuse, en moderne, l'enquête à laquelle son corps le contraint, jusqu'à finalement rouvrir « les fenêtres du temps »...
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«?L'accouplement est un cérémonial - s'il ne l'est pas c'est un travail de chien.?».
Au début des années soixante, un jeune homme est nommé instituteur dans un village du Périgord, le pays des grottes préhistoriques, entre Les Eyzies et Montignac.
Dense, tendu, plein de fulgurances et d'emportements le roman fait de cette terre l'espace à vif d'une quête amoureuse. Yvonne, la belle buraliste, porte en elle la brûlure du désir, tout le mystère de la différence des sexes - l'origine du monde. -
Le matin des origines
Pierre Bergounioux
- Verdier
- Litterature Francaise
- 13 Novembre 1992
- 9782864321330
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Marcher droit, tourner en rond
Emmanuel Venet
- Verdier
- Litterature Francaise
- 18 Août 2016
- 9782864328780
Atteint du syndrome d'Asperger, l'homme qui se livre ici aime la vérité, la transparence, le scrabble, la logique, les catastrophes aériennes et Sophie Sylvestre, une camarade de lycée jamais revue depuis trente ans. Farouche ennemi des compromis dont s'accommode la socialité ordinaire, il souffre, aux funérailles de sa grandmère, d'entendre l'officiante exagérer les vertus de la défunte. Parallèlement, il rêve de vivre avec Sophie Sylvestre un amour sans nuages ni faux-semblants, et d'écrire un Traité de criminologie domestique.
Par chance, il aime aussi la solitude.
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Pendant des décennies, dans les Alpes de Carinthie, en Autriche, la famille de Josef Winkler a cultivé un champ dans lequel avait été enseveli l'un des pires criminels nazis, Odilo Globocnik, principal responsable du massacre des Juifs autrichiens. Il fut enterré là sans sépulture après son suicide, en 1945.
Les Winkler, comme tout le village, se seront donc nourris au fil des ans de pains confectionnés avec les céréales récoltées là, sans que le père, qui savait tout, en dise un mot.
Dans une langue pleine de fulgurances, quasi incantatoire, l'auteur répond ici au besoin impérieux de s'adresser une dernière fois à son père disparu et de nommer ce qui a été passé sous silence, pour que cesse enfin de triompher la culture de la mort dans laquelle il a été élevé. -
La scène se passe à Urbino, au palais ducal, à la fin du mois de juin 15o2.
Dans l'effet de souffle des guerres d'Italie, les petits États tremblent sur leur base ; ils seront à qui s'en emparera hardiment. Insolent et véloce comme la fortune, César Borgia est de ceux-là. Le fils du pape donne audience à deux visiteurs. Le premier est un vieux maître que l'on nomme Léonard de Vinci, le second un jeune secrétaire de la Chancellerie florentine du nom de Nicolas Machiavel. De 1502 à 1504, ils ont parcouru les chemins de Romagne, inspecté des forteresses en Toscane, projeté d'endiguer le cours de l'Arno.
Un même sentiment d'urgence les fit contemporains. Il ne s'agissait pas seulement de l'Italie : c'est le monde qui, pour eux, était sorti de ses gonds. Comment raconter cette histoire, éparpillée en quelques bribes ? Léonard ne dit rien de Machiavel et Machiavel tait jusqu'au nom de Léonard. Entre eux deux coule un fleuve. Indifférent aux efforts des hommes pour en contraindre le cours, il va comme la fortune.
Alors il faut le traverser à gué, prenant appui sur ces mots rares et secs jetés dans les archives comme des cailloux sonores.
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Que se passe-t-il lorsqu'un auteur, qui a beaucoup écrit sur l'enfance, remonte le fil d'argent de sa propre enfance ?
Le Plus Court Chemin est un hommage aux proches et la tentative de revisiter avec les mots ce vaste monde d'avant les mots : les êtres, les lieux, les sentiments et les sensations propres à cette époque sur le point de disparaître, les années d'avant la cassure, d'avant l'accélération générale qui suivra la chute du mur de Berlin.
Raconter l'existence dans les paysages infinis de la campagne wallonne, dire l'amour et le manque. Car écrire, c'est poursuivre un dialogue avec tout ce qui a cessé d'être visible. Par-delà la nostalgie. -
Jeune lesbienne sans attaches, la narratrice de Mammouth décide de tomber enceinte. Elle organise une fête clandestine de fécondation, prend les hommes au hasard, abandonne son travail universitaire et quitte Barcelone pour s'installer seule dans un mas décrépit sur des hauteurs isolées quelque part en Catalogne.
Une nouvelle vie commence alors, une vie à l'état brut, ramenée à l'essentiel. Elle fait des ménages, biberonne des agneaux, gagnant tout juste de quoi se nourrir et constituer son garde-manger pour l'hiver. Pour tromper la solitude, il n'y a que le berger d'à côté et Toc-Toc, le chien crasseux qui s'est invité chez elle. Peu à peu, une transformation s'opère, vécue au plus près du corps, comme un devenir-animal.
Ce nouveau roman d'Eva Baltasar, loin d'un éloge du retour idyllique à la terre, nous conte, dans un style sans fioritures et souvent drôlatique, l'itinéraire d'une femme sauvage sans concession. -
Dans un pays du Proche-Orient, un enfant et sa mère occupent une maison jaune juchée sur une colline. La guerre vient d'emporter le père. Mère et fils voudraient se blottir l'un contre l'autre, s'aimer et se le dire, mais tandis que l'une arpente la terrasse en ressassant ses souvenirs, l'autre, dans le grenier où elle a cru opportun de le cacher, se plonge dans des rêveries, des jeux et des divagations que lui permet seule la complicité amicale des mots.
Soudain la guerre reprend. Commence alors pour Jean une nouvelle vie, dans un pays d'Europe où une autre mère l'attend, Sophie, convaincue de trouver en lui l'être de lumière qu'elle pourra choyer et qui l'aidera, pense-t-elle, à vaincre en retour ses propres fantômes.
Ce texte, cruel et tendre à la fois, est avant tout le formidable cri d'un enfant qui, à l'étouffement et au renoncement qui le menacent, oppose une affirmation farouche et secrète de la vie. C'est ce dur apprentissage, fait d'intuition et de solitude, qui lui ouvrira plus tard des perspectives insoupçonnées.
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Les oeuvres de miséricorde
Mathieu Riboulet
- Verdier
- Litterature Francaise
- 22 Août 2012
- 9782864326878
Donner à manger à ceux qui ont faim, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, loger les pèlerins, visiter les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts : tels sont les impératifs édictés par l'Église sous le nom d'oeuvres de miséricorde que le Caravage a peint dans un tableau qui porte ce titre, et dont ceux qui, nés en culture chrétienne, qu'il le sachent ou non, sont censés être imprégnés. Cette injonction morale, l'écrivain l'a mise à l'épreuve de son expérience ? réelle ou imaginaire.
« Je suis resté longtemps prisonnier du sentiment flottant, informulé selon lequel l'Allemagne était infréquentable. Je n'étais pas guidé par une idée, un ressentiment moins encore, mais, de fait, chez moi on n'allait pas en Allemagne...
Maintenant, je veux serrer dans mes bras le corps d'un de ces hommes que l'Histoire longuement m'opposa, le corps d'un homme allemand. Je vais donc à Cologne par un beau jour de mai, et je fais cela qui, pour un Français, a son pesant de sens :
Coucher avec un Allemand...
J'ai cherché par là à comprendre comment le Corps Allemand, majuscules à l'appui, après être entré à trois reprises dans la vie française sans demander d'autorisation (1870, 1914, 1939), continue à façonner certains aspects de notre existence d'héritiers de cette histoire. Chemin faisant, j'ai également rassemblé divers éléments de fiction individuelle et de réalité collective, pour la plupart « impensables », afin de tenter d'y voir un peu plus clair dans les violences que les hommes s'infligent ? individuelles, sociales, sexuelles, historiques, guerrières, massivement subies mais de temps à autre, aussi, consenties ?, dont l'art et la sexualité sont le reflet et parfois l'expression, et de les lier du fil de cet impératif de miséricorde qui fonde notre culpabilité puisqu'il est, de tout temps et en tous lieux, battu en brèche.
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J'ai longtemps hésité avant de la décrire. Cette image, en effet, n'avait - à première vue - rien d'exceptionnel : elle représentait une île de petite taille, posée sur l'eau, un peu au large d'un rivage, une photo comme il en existe des milliers dans les boutiques des stations balnéaires. Les îles font rêver. Les rêves se vendent bien. Celle-ci était presque entièrement couverte de végétation : des arbres au feuillage épais, d'une hauteur respectable, sous lesquels se devinaient deux ou trois maisons. Nous étions aussi loin des Maldives que des Cyclades ou du Dodécanèse. S'en dégageait plutôt la douceur d'un jardin, sa quiétude. L' île parfaite.
Sensible aux destins brisés, Béatrice Commengé désirait depuis longtemps découvrir l'Insula Ovidiu, l'île d'Ovide, au large de Tomis (aujourd'hui Constanta), ce port lointain de la mer Noire où l'auteur de L'Art d'Aimer fut relégué par Auguste à l'aube du premier millénaire. Au moment où elle s'apprête à entreprendre le voyage, au seuil de l'année 2020, en mars plus précisément, le monde s'arrête soudain pour un temps indéterminé... -
Le 18 mai 1938 marqua pour Georges-Arthur Goldschmidt un changement de vie radical : au lendemain de son dixième anniversaire, lui et son frère aîné furent envoyés par leurs parents loin d'Allemagne afin d'échapper à la persécution nazie.
Ce qui commence ce jour-là est un « après-exil » qui, en réalité, ne connaîtra pas de fin. Non pas un simple événement mais, pour celui qui a été chassé de son pays en raison de sa naissance, la découverte d'une situation existentielle.
Ce récit d'une rare intensité dit la souffrance de cette condition nouvelle qui eut pour conséquence, entre autres, ce que l'auteur caractérise comme son « dédoublement linguistique ». -
Le chemin barré : Roman du frère
Georges-Arthur Goldschmidt
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- Litterature Allemande
- 16 Janvier 2025
- 9782378562359
Dans ce récit, paru en allemand en 2022, l'auteur se souvient de son frère aîné, presque absent jusque-là de son oeuvre autobiographique. Pourtant, à partir du 18 mai 1938, Erich Goldschmidt (1924-2011) a partagé avec son cadet l'exil, d'abord en Italie, puis en France, dans un pensionnat en Haute-Savoie. Quand les deux frères sont dénoncés comme Juifs et que les nazis viennent les arrêter, tous deux s'enfuient. Erich entre alors dans la Résistance. Par la suite, il deviendra un officier français.
L'effort de Georges-Arthur Goldschmidt est ici de tenter de voir le monde par les yeux de ce frère aux dons éclatants, dont la destinée lui paraît avoir été entravée de multiples façons. Avec ces pages empreintes d'une émotion contenue, l'écrivain parvenu au soir de sa vie s'acquitte de sa dette envers ce frère si différent de lui. -
Qui a fait le tour de quoi ? ; l'affaire Magellan
Romain Bertrand
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- Litterature Francaise
- 5 Mars 2020
- 9782378560553
Imaginez une histoire, une belle histoire, avec des héros et des traîtres, des îles lointaines où gîtent le doute et le danger. Imaginez une épopée, une épopée terrible, avec deux océans où s'abîment les nefs et les rêves, et entre les deux un détroit peuplé de gloire et de géants. Imaginez un conte, un conte cruel, avec des Indiens, quelques sultans et une sorcière brandissant un couteau ensanglanté. Un conte, oui, mais un conte de faits?: une histoire où tout est vrai. De l'histoire, donc.
Cette histoire - celle de l'expédition de Fernand de Magellan et de Juan Sebastián Elcano -, on nous l'a toujours racontée tambour battant et sabre au clair, comme celle de l'entrée triomphale de l'Europe, et de l'Europe seule, dans la modernité.
Et si l'on changeait de ton ?
Et si l'on poussait à son extrême limite, jusqu'à le faire craquer, le genre du récit d'aventures ? Et si l'on se tenait sur la plage de Cebu et dans les mangroves de Bornéo, et non plus sur le gaillard d'arrière de la Victoria?? Et si l'on faisait peser plus lourd, dans la balance du récit, ces mondes que les Espagnols n'ont fait qu'effleurer?? Et si l'on accordait à l'ensemble des êtres et des choses en présence une égale dignité narrative?? Et si les Indiens avaient un nom et endossaient, le temps d'un esclandre, le premier rôle?? Et si l'Asie -?une fois n'est pas coutume?- tenait aussi la plume?? Que resterait-il, alors, du conte dont nous nous sommes si longtemps bercés??
La vérité, peut-être, tout simplement.
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Ni témoignage ni biographie, ce livre est le portrait de ma mère, Marie-Élisa Nordmann puis Cohen, déportée à Auschwitz le 24 janvier 1943 dans un convoi de femmes à majorité résistantes, parmi lesquelles Charlotte Delbo. Ayant ensuite été, pendant quarante ans, présidente de l'Amicale des déportés d'Auschwitz et des camps de Haute-Silésie, elle a su quoi en dire et quoi en faire. Mon corps-esprit a été sa chambre d'échos.
C'est un portrait subjectif, malgré ses fondements documentaires, passé par le prisme de ma propre vie et de mes connaissances, un portrait actif, ancré dans le présent aussi bien que dans le passé - visant l'avenir. C'est un poème choral rendant leurs mots aux mortes et aux vivantes revenues et revenantes entre ses pages. Un essai de raconter de A à Z, de passer le témoin fait de douleurs mais aussi de joies. En inventer les mots, les couper en quatre, les associer, les dissocier : écrire cela qui est en moi depuis l'enfance. Je suis allée lentement. Cet alphabet devait faire science, alchimie pour la chimiste qu'était ma mère. Il devait être lumineux pour honorer mon amour pour elle.
Je suis fille d'Auschwitz. Je fais de la résistance, c'est ainsi. Transmettre est ma vie, c'est la vie, c'est l'amour. C'est mettre en transe les traces et l'indicible.
I. C. -
Tout le monde n'a pas la chance d'aimer la carpe farcie
Elise Goldberg
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- Litterature Francaise
- 24 Août 2023
- 9782378561789
Un grand-père meurt. Une petite-fille récupère son frigo et l'installe dans sa cuisine. La porte à peine ouverte, nous franchissons la frontière de la Pologne juive, et c'est un monde qui se découvre, un monde de foie de volaille, d'« ognonnes », de gefilte fish, la carpe farcie en yiddish.
La cuisine ashkénaze n'est peut-être pas la plus sexy, et le yiddish n'a pas toujours été une langue bien normée. Mais ce sont autant de saveurs et de couleurs, de mots et de sonorités, toute une culture et une histoire qu'Élise Goldberg nous restitue ici, dans ce premier livre aussi drôle qu'émouvant.
L'histoire familiale, dit la narratrice, est « un récit sans chair, dont ne subsisterait que la colonne, quelques arêtes » - une carpe, en quelque sorte, qu'il faut réussir à farcir si on veut l'aimer. -
Le livre de la Caspienne : Azerbaidjan
Vassili Golovanov
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- Litterature Russe
- 14 Septembre 2023
- 9782378560690
Poussé par la conscience de son ignorance alors que tous les jours il croise des gens venus du Caucase et d'Asie centrale pour chercher refuge à Moscou, Vassili Golovanov décide de partir explorer les régions bordant la Caspienne. Se plongeant dans l'histoire, l'islam et le soufisme, le bouddhisme et le zoroastrisme, bousculant les clichés, il parcourt les montagnes, les steppes ou les déserts, glisse parmi les lotus du delta de la Volga, escalade des volcans de boue, fuit les quartiers pour nouveaux riches, passe de la lumière de la plus haute poésie à l'ombre des dérives mafieuses, du terrorisme et des guerres qui n'en finissent jamais.
Pendant des années, il voyage, lit, rêve, fait des rencontres. Tout sans cesse le ramène à cette mer où jadis s'arrêtait le monde.
Le premier livre de ce grand voyage autour de la Caspienne est consacré à l'Azerbaïdjan, ancienne république soviétique, indépendante depuis 1991. Les événements les plus actuels y résonnent douloureusement. Golovanov relate les effets d'une colonisation qui n'a pas dit son nom, la volonté de mainmise de la Russie et les conséquences de la guerre contre l'Arménie, les aberrations d'un régime autoritaire et corrompu, les rivalités entre grandes puissances pour le pétrole, les désastres humains et écologiques. -
Deux alpinistes autrichiens tentent l'ascension du mont Blanc. Rattrapée par la tempête, gagnée d'incertitudes, la cordée se sépare. L'un d'eux entreprend alors une longue et pitoyable descente par les glaciers de la face nord. Durant ce temps dans la vallée, aisément installés à l'hôtel, des touristes ont braqué la grande lunette télescopique sur le spectacle de cet homme éperdu?; ils vont suivre son lamentable cheminement le long des pentes piégeuses, certains allant jusqu'à parier sur son sort... vu d'un cercle.
Pour cruel qu'il soit, ce récit joue de tendresse et d'humour, comme les douze autres qui composent ce recueil, pudiques, d'une délicate âpreté. L'affection singulière de Michel Jullien pour chaque personnage, chaque vie, sa généreuse observation des gestes qui disent au plus près les caractères, son comique de velours, nous révèlent des destins aussi modestes qu'émouvants. -
C'est l'histoire d'une amitié conduite à son apogée par la proximité de la mort. Un abrégé de quelques mois vécus dans la radicalité du moment.
Avec une lucidité éclatante, Margarida envoie des messages du front auxquels la narratrice répond en lui donnant chaque matin la voix qu'elle lui réclame. Peu à peu se construit une narration qui évoque l'enfance portugaise de Margarida, son amour des mots et des sons, les êtres qu'elle protège, les créations qu'elle mène, l'hôpital, la lutte, l'effroi. Mais aussi le souvenir d'un jardin, la fidélité d'un petit chien, Baudelaire et Jeanne Duval, les migrants devenus frères.
Aiguillonnées par l'urgence, ces pages incandescentes respirent la passion éperdue de la vie. Une métaphore pour notre temps et de la bonté en éclairs pour conjurer notre nuit.