Parmi les multiples répercussions de la Découverte des Indes Occidentales pour le monde, nous nous intéresserons surtout ici à la manière dont elle s'est traduite en termes de responsabilité pour l'Espagne. En un temps où l'on ignore encore tout de l'étendue réelle des terres entrevues par Colomb, les Bulles Alexandrines assignent en effet aux Rois Catholiques une mission spirituelle envers les peuples qui s'y trouvent, tout en déléguant à cette fin aux souverains le gouvernement temporel de ce qui ne tardera pas être perçu comme un Nouveau Monde. Les formes que cette domination prend sur le terrain, en provoquant en particulier la rapide diminution de la population des Antilles, suscitent des interrogations sur les indiens et sur le droit de la Couronne à les asservir. Le débat sur la nature des Indiens et sur leur aptitude à la raison prend son sens dans ce contexte : il s'agit de justifier la domination étrangère par la barbarie attribuée aux vaincus, ou, à l'inverse, de la remettre en question par une défense des droits des indigènes. La contestation sur la conquête ne porte d'ailleurs jamais sur le fond - la tutelle espagnole est unanimement jugée souhaitable à des degrés divers - mais sur la manière de procéder des conquistadores et des enco-menderos que l'on sait désormais brutale et dangereuse. Aux dénonciations, émanant essentiellement du clergé missionnaire, s'ajouteront bientôt divers plans de réforme, appelés à retentir diversement sur la législation.
Pourquoi ne lit-on plus ces pages de la philosophie française que des générations d'étudiants ont sues par coeur ? La philosophie du XIXème siècle n'a-t-elle plus rien à nous dire ? Nous avons fait le pari inverse.
Au terme d'une immersion au sein de la philosophie du XIXème siècle, il nous a semblé que les formes de cette pensée questionnaient utilement notre propre modernité. Dans sa quête de l'esprit jusque dans ses formes les plus dissimulées, la philosophie du XIXème siècle met en place des critères de compréhension de la nature que reprennent certaines philosophies contemporaines. Derrière l'obscurité et la confusion que l'on a pu reprocher au spiritualisme, il faut redécouvrir une recherche sur une complicité de l'esprit et de la nature, sur leur lien intime et secret que repenseront les philosophies du XXème siècle s'interrogeant sur la familiarité du corps et de la conscience.
L'analogie posée entre la nature et l'esprit est alors réellement méthode, c'est-à-dire voie d'accès à une vérité ontologique. Le trajet qui mène de la nature à l'esprit se révèle double itinéraire de l'être et de la pensée. C'est dans cet entre-deux du dualisme et du monisme que nous avons lu l'expression d'une pensée authentique de la nature et de l'esprit qui n'est ni une séquelle de la métaphysique classique, ni la préfiguration balbutiante de philosophies ultérieures, mais la réalisation d'un effort de pensée original qui tend à la fusion de la spéculation et de la pratique.