Tous les livres que j'ai écrits ont été précédés d'une phase, souvent très longue, de réflexions et d'interrogations, d'incertitudes et de directions abandonnées.À partir de 1982, j'ai pris l'habitude de noter ce travail d'exploration sur des feuilles, avec des dates, et j'ai continué de le faire jusqu'à présent. C'est un journal de peine, de perpétuelle irrésolution entre des projets, entre des désirs. Une sorte d'atelier sans lumière et sans issue, dans lequel je tourne en rond à la recherche des outils, et des seuls, qui conviennent au livre que j'entrevois, au loin, dans la clarté.A. E.Parallèlement à ses romans, Annie Ernaux tient un journal d'avant-écriture; une sorte de livre de fouilles, rédigé année après année, qui offre une incursion rare de «l'autre côté» de l'oeuvre.Plongé au coeur même de l'acte d'écrire, le lecteur devient témoin du long dialogue de l'autrice avec elle-même:la pensée taillée au couteau, des idées en vrac, des infinitifs en mouvement; des associations de mots, de morceaux de temps, et de confidences.Pour la réédition de L'atelier noir, Annie Ernaux a souhaité augmenter l'ouvrage de pages inédites de son journal de Mémoire de fille.
Une embellie perdue est la suite des Mémoires que Gisèle Halimi a entrepris avec La cause des femmes et Le lait de l'oranger. En juin 1981, l'avocate est élue députée. Le «peuple de gauche» rêve de changer la vie; et les femmes de compter, enfin, en politique.Mais l'embellie sera brève. Les socialistes cèdent, assez vite, au «réalisme» et aux délices du pouvoir. «La gauche a-t-elle encore une âme?» s'interroge bientôt Gisèle Halimi. En septembre 1984, elle quitte l'Assemblée. Pendant quarante mois, elle aura vécu une aventure ambiguë:décevante, dans l'univers masculin des politiciens:riche de découvertes, dans sa circonscription.Le Palais-Bourbon sous la vague rose. Le chemin - un temps commun - avec François Mitterrand, Joxe, Rocard ou Bérégovoy. La campagne - hors de tous les partis - des «100 femmes pour les femmes», en 1978. Le suicide tragique de trois amies, «chambardées» par leurs ruptures féministes... Souvenirs mêlés...Ce livre témoigne de l'espérance et du désenchantement de ces dernières années. Il tente aussi une réflexion sur le pouvoir, la démocratie, les contradictions entre vie privée et vie publique.Un récit doux-amer, tourné cependant vers l'avenir où Maud-Tahfouna, la petite-fille lumineuse de Gisèle Halimi, l'entraîne. Avec la force de l'enfance.
«En projetant et en commençant d'écrire mon roman, j'ai bien réalisé autre chose que de projeter et d'écrire mon roman:j'ai organisé en moi le sens et la fonction de la réalité; et une fois que j'ai organisé le sens et la fonction de la réalité, j'ai essayé de m'emparer de la réalité. M'emparer, peut-être, sur le plan doux et intellectuel de la connaissance ou de l'expression; mais malgré tout, essentiellement, brutalement et violemment, comme cela se passe pour chaque possession, pour chaque conquête. [...] Au moment même où je projetais et écrivais mon roman, autrement dit où je recherchais le sens de la réalité et en prenais possession, précisément dans l'acte créatif que tout cela impliquait, je désirais aussi me libérer de moi-même, c'est-à-dire mourir. Mourir dans ma création:mourir comme en effet on meurt, en accouchant:mourir, comme en effet on meurt, en éjaculant dans le ventre maternel.» Pier Paolo Pasolini.
«53 jours» est le roman auquel Georges Perec travaillait au moment de sa mort, survenue le 3 mars 1982. Le livre est publié ici intégralement. Il comprend, d'une part, ce que Georges Perec avait déjà rédigé et qui recouvre onze des vingt-huit chapitres prévus ; d'autre part, un abondant dossier de notes et de brouillons laissés par l'auteur, permettant le déchiffrement du reste du livre.Il a par ailleurs été prélevé dans les notes concernant les dix-sept derniers chapitres celles qui étaient susceptibles de permettre aux lecteurs passionnés par la narration de reconstituer l'ensemble de l'histoire.
Les rêves doivent être enregistrés comme ils viennent, spontanément. J'arrachais du lit ma carcasse lasse et à travers des paupières enflées par le sommeil, je gribouillais au crayon à toute vitesse, dans mon petit carnet à rêves jusqu'à la moindre bribe de souvenir.J. K. Vivre cette odyssée nocturne aux côtés de Jack Kerouac, c'est errer avec lui dans un monde baigné d'étrangeté et d'inconscient, et être emporté dans un voyage sans fin, en quête d'amour, d'aventure et peut-être d'une certaine paix. La forme libre de l'écriture ensommeillée, d'une immédiateté presque idéale, nous projette en plein dans la spontanéité et le rythme beat.Dans les années 70, Book of Dreams avait été publié dans une version amputée de moitié. Ce n'est qu'en 2001, aux États-Unis, que le texte complet a été redécouvert. «L'Imaginaire» propose aujourd'hui cette édition intégrale, comprenant plus de deux cents rêves inédits en français.
La Fée-Cinéma est le récit autobiographique d'Alice Guy:première femme cinéaste du monde.Écrire vite. Raconter son enfance, d'abord:la jeune Alice est élevée entre le Chili, la Suisse et la France. Puis le pensionnat et la vie à Paris. Suivent des études de sténographie, avant qu'elle ne devienne en 1895 la secrétaire de Léon Gaumont au Comptoir général de Photographie. C'est à la suite de la première projection du cinématographe des frères Lumière qu'Alice a l'idée de tourner de courtes fictions pour soutenir la vente des caméras Gaumont. Déjà «mordue par le démon du cinéma», elle n'a qu'une obsession:raconter des histoires en réalisant ses propres films, dont le plus célèbre, La Fée aux choux, considéré comme le premier film de fiction...Longtemps effacée de l'Histoire, Alice Guy décrit ici avec précision les débuts du cinéma, la magie des accidents, des expérimentations et autres bouts de ficelle. Sans détour et sans romance, d'une écriture intime et urgente, elle dit la beauté du 7? art qu'elle a «aidé à mettre au monde»; elle se réhabilite.Elle meurt en 1968 et ses Mémoires, pourtant achevés en 1953, ne seront publiés qu'en 1976.
Trésors à prendre est un authentique journal de voyage, l'imagination n'y a pas de part. Les personnages qui le traversent sont aussi réels que le causse Noir et que la cathédrale d'Albi. Mais Violette Leduc, avec son avidité pour la vie, provoque à tout moment, en tout lieu, les rencontres les plus curieuses et les plus émouvantes.
«À Megara on met encore des oeillets au balcon, et les femmes portent des robes longues; c'est pour cette raison que la simple vision d'une cheville fait littéralement trembler les jeunes gens. Mais ceci arrive rarement, car elles sont prudentes et surveillées; et elles se surveillent elles-mêmes; et s'il pleut, elles préfèrent rentrer à la maison avec l'ourlet de leur robe maculé de boue que d'avoir les bas mordus par des regards chauds comme des baisers.»Admirables portraits de femmes prises aux pièges de l'amour, ces dix-huit nouvelles dessinent les contours de passions faites de promesses et de mélancolie. Avec les paysages lumineux de l'Italie en toile de fond, les femmes des Belles luttent pour échapper aux tragiques carcans de la famille, de la société, et de leurs amants, parfois au péril de leur vie.Dans cet ouvrage, Borgese, au sommet de la forme courte, célèbre les beaux alibis du coeur et l'universalité du mal d'aimer.
«QUICHOTTE:Considère bien, Panza, que ce qu'ils appellent folie, moi je l'appelle réalité.»Détournement fantasque, féministe et poétique de Don Quichotte, Le voyage sans fin offre une nouvelle lecture du roman de Cervantès. Ici, Quichotte est une femme chevalier errant, passionnée de livres et d'écriture, en quête de justice et de liberté. Accompagnée de son écuyère, Panza, elle traverse nombre de péripéties et imagine un nouveau monde.Flanquée de ces deux « guerrillères », Wittig trouve une nouvelle occasion de déjouer les marques du genre et d'éclater les conventions. Elle nous offre dans cette courte pièce une expérience hybride, entre théâtre, cinéma et geste d'écriture:une profonde aventure politique.Représenté pour la première fois en 1985 au Théâtre du Rond-Point, coréalisé avec Sande Zeig, Le voyage sans fin avait alors été publié dans le supplément de la revue féministe Vlasta. «L'Imaginaire» souhaite aujourd'hui donner l'occasion aux lecteurs de redécouvrir ce texte d'avant-garde hors du commun.
«Soudain, elle se jeta sur lui, le coucha à ses pieds avant qu'il ait eu le temps de lutter, puis prenant son cou que le veston de molleton blanc laissait décolleté, elle lui enfonça ses ongles dans les chairs.- Je suis jaloux! rugit-elle affolée. As-tu compris à présent?...Jacques ne bougeait pas, il avait posé ses deux poings crispés, dont il ne voulait pas se servir, sur ses yeux humides. En sentant qu'elle lui faisait mal, les nerfs de Raoule se détendirent.- Tu dois t'apercevoir, dit-elle ironiquement, que je n'ai pas, comme toi, des mains de fleuriste et que, de nous deux, le plus homme c'est toujours moi?»Raoule de Vénérande, jeune femme noble, rejette les valeurs de la société, refuse toute forme de domination et vit au masculin. Elle tombe amoureuse d'un jeune fleuriste et fait de lui sa «maîtresse». Narcissique, violente, elle le soumet et l'entretient, dans une passion à rebours des normes de son temps.En attribuant les moeurs et codes masculins du XIX? siècle à son personnage féminin, Rachilde force la réflexion sur la place des femmes.À sa publication en 1884, Monsieur Vénus fait scandale. Jugé trop érotique, licencieux, il est condamné en Belgique puis repris dans des versions amputées. «L'Imaginaire» propose aujourd'hui la version originale de ce texte, sans aucune censure.
«C'est grâce à un nom de femme, aussi mystérieux que les lettres effacées d'un alphabet ancien, aussi difficile à retenir qu'une langue apprise et jamais parlée, que m'est revenu non le souvenir d'un rêve, mais le souvenir d'avoir rêvé.»Gérard Macé réunit ici deux de ses ouvrages et compose ainsi un bel autoportrait, vu à travers mille vies.Le premier livre, Vies antérieures, nous porte à la rencontre de personnages célèbres et d'inconnus. L'occasion de s'arrêter un moment avec le scribe égyptien, le vitrier de Baudelaire, le poète persan Tarafa, Clérambault le maître déçu de Lacan, un Henri Michaux fantômatique ou Clelia Marchi qui écrivait sa vie sur un linceul...Les trois coffrets, ensuite, nous invite dans l'intimité de l'auteur. On y suit, entre prose et poésie, le destin d'une jeune femme morte à Rome et de Crepereia Tryphaena, la poupée sculptée retrouvée dans son sarcophage. Une aventure «archéologique» qui nous conduit à l'histoire d'un traumatisme, lié au père de «l'écrivain colporteur».
Une femme qui a perdu son mari et deux de ses fils se cache dans une foret du Pays de Galles avec son dernier enfant Perceval, et essaye, pour le preserver, de l'elever loin de la civilisation, dans l'ignorance complete du monde et de la chevalerie meurtriere. Malgre toutes les precautions de la mere, Perceval rencontre un jour un groupe de chevaliers ala brillante armure. Il en est si enthousiasme qufil quitte aussitot le refuge et sa mere malgre les supplications de celle]ci qui ne voulait pas aussi le perdre. Il se rend ala cour du Roi Arthur.
OEuvre inachevee, Perceval est lfun des plus celebres romans de la matiere de Bretagne.
Être capitaine à bord du vapeur-navette Sofala, non, ce n'était vraiment pas une vie aventureuse pour Harry Whalley le risque-tout. C'est pour sa fille qu'il en était arrivé à faire cette monotone tournée de colporteur du sud au nord du Détroit, puis du nord au sud. Après cinquante ans de navigation, dont quarante en Extrême-Orient! Mais pourquoi diable le capitaine Whalley ne regardait-il plus la mer?
«Il n'y a peut-être pas de jours de notre enfance que nous ayons si pleinement vécus que ceux que nous avons cru laisser sans les vivre, ceux que nous avons passés avec un livre préféré. Tout ce qui, semblait-il, les remplissait pour les autres, et que nous écartions comme un obstacle vulgaire à un plaisir divin : le jeu pour lequel un ami venait nous chercher au passage le plus intéressant, l'abeille ou le rayon de soleil gênants qui nous forçaient à lever les yeux de la page ou à changer de place, les provisions de goûter qu'on nous avait fait emporter et que nous laissions à côté de nous sur le banc, sans y toucher, tandis que, au-dessus de notre tête, le soleil diminuait de force dans le ciel bleu, le dîner pour lequel il avait fallu rentrer et pendant lequel nous ne pensions qu'à monter finir, tout de suite après, le chapitre interrompu, tout cela, dont la lecture aurait dû nous empêcher de percevoir autre chose que l'importunité, elle en gravait au contraire en nous un souvenir tellement doux (tellement plus précieux à notre jugement actuel que ce que nous lisions alors avec amour) que, s'il nous arrive encore aujourd'hui de feuilleter ces livres d'autrefois, ce n'est plus que comme les seuls calendriers que nous ayons gardés des jours enfuis, et avec l'espoir de voir reflétés sur leurs pages les demeures et les étangs qui n'existent plus.»
Pamphlet ou poème - «chaque image doit produire un cataclysme» -, ce livre marque une étape importante dans l'histoire littéraire. Certains lecteurs n'ont voulu en retenir que l'insolence, l'humour, la virtuosité exceptionnelle. D'autres cependant voient dans le Traité du style l'amorce par Aragon du dépassement du surréalisme en réalisme.
" dans cette nuit opaque, je m'étais rendu ivre de lumière ; ainsi, de nouveau, lazare n'était devant moi qu'un oiseau de mauvais augure, un oiseau sale et négligeable.
Mes yeux ne se perdaient plus dans les étoiles qui luisaient au-dessus de moi réellement, mais dans le bleu du ciel de midi. je les fermais pour me perdre dans ce bleu brillant : de gros insectes noirs en surgissaient comme des trombes en bourdonnant. de la même façon que surgirait, le lendemain, à l'heure éclatante du jour, tout d'abord point imperceptible, l'avion qui porterait dorothea... "
Trois nouvelles : trois lumières, trois douleurs.
De la première phrase du recueil : " a cette époque-là c'était toujours fête ", aux derniers mots recouvrant d'un calme linceul le corps d'une suicidée, l'écriture fouille le plein jour de l'activité humaine jusqu'à y toucher le néant et la mort.
Un peu comme un oeil fasciné passe te repasse sur la blessure d'un beau visage. c'est la fêlure d'angoisse qui accompagne une pâle amoureuse dans tous les trajets (le bel été). puis c'est l'acharnement incertain de trois jeunes gens à suivre autour de la ville les doubles traces de viveurs fatigués et de la nature pléthorique (le diable sur les collines). c'est enfin la fièvre vaine qui fait s'agiter quelques femmes volées à elles-mêmes et dissipées en paroles de pure perte (femmes entre elles).
L'art de pavese est de travailler une matière tout en éclats, les éclats douloureux de l'unité mythique à jamais perdue.
Mais ce deuil est en suspension dans une lumière rendre. mais cette poussière d'instants a été pulvérisée par un virtuose de la pudeur. le désarroi est immergé dans les plaisirs, on s'offre nu au soleil, on se soûle d'odeurs, on travaille à sa vie. la souffrance parle au discours indirect, on dirait que sa voix est assourdie par une fatigue heureuse.
Un an après la parution de ce livre, pavese mettait, comme on dit, fin à ses jours.
C'était le 27 août 1950, un bel été.
" qu'on entende bien que, lorsque je dis le théâtre, le théâtre est le nom que je donne au lieu intérieur en moi oú je situe mes songes et mes mensonges.
" tout le roman est un jeu de masques, de miroirs, qui s'accomplit secrètement dans ce théâtre de mots et donne, selon l'expression d'aragon, une leçon de ténèbres.
Ainsi aragon ouvre ce théâtre intérieur que l'homme est à lui-même et dans lequel il remet ses rêves en scènes. longtemps après le livre refermé, la lecture en soi se poursuit. la quête de cette oeuvre si libre et si grave fait lever les images et les mondes les plus enfouis, donnant de l'existence une représentation crépusculaire à laquelle on ne peut s'arracher.
Théâtre/roman est un livre essentiel qui veut éclairer de l'intérieur la totalité de l'oeuvre d'aragon.
Volontairement, paresseusement, éperdument, Georges Perros note. Bribes et morceaux; fulgurations, colères, angoisse, apaisement, selon l'humeur, la lecture, le lieu, bref, comme tout le monde vit:par moments, par éclairs, par éclats.
Martial Canterel fait visiter sa somptueuse propriété Locus Solus à quelques-uns de ses amis. Au cours d'une longue promenade, qui pourrait évoquer une sorte d'itinéraire initiatique, l'illustre savant (figure accomplie de l'écrivain, de l'artiste, ou plus exactement du génie selon Roussel ) propose en sept étapes à l'admiration de ses amis chacune des sept merveilles de ce monde qu'il a conçue, créée et enfermée dans son parc. Publié en 1914, Locus Solus n'a rien perdu de son caractère magique et légendaire.
«Lourdes, et lentes. Prenant bien leur temps pour reluire et faire reluire. Nourrices, mères, soeurs. Pleines de lait, de sécrétions, d'organes mous. Les autres, les maigres, les rapides, retournez à vos enfers étroits.
Germaine était lourde, lente.
Je vais employer des mots sales. Il le faut. Il faut que je vous tire de votre sommeil et de votre hypocrisie, que je vous explique comment ça se passe.
Gueulez au charron, ameutez les pouvoirs publics tant que vous voudrez, mais accordez-moi ceci ; je reste encore bien en deçà de vos divertissements cachés, de vos ballets oniriques.» André Hardellet.
Si je m'en frotte les mains, le savon écume, jubile...
Plus il les rend complaisantes, souples, liantes, ductiles, plus il bave, plus sa rage devient volumineuse et nacrée... pierre magique ! plus il forme avec l'air et l'eau des grappes explosives de raisins parfumés... l'eau, l'air et le savon se chevauchent, jouent à saute-mouton, forment des combinaisons moins chimiques que physiques, gymnastiques, acrobatiques... rhétoriques ?
Il y a beaucoup à dire à propos du savon.
Exactement tout ce qu'il raconte de lui-même jusqu'à disparition complète, épuisement du sujet. voilà l'objet même qui me convient.
Indépendant et incisif, parfois sarcastique, toujours provocant, Debussy a exercé le métier de critique avec une grande liberté. En exprimant des jugements sur les compositeurs de son temps et sur ceux du passé, il révèle quelles sont les oeuvres qui ont nourri sa propre sensibilité. Il nous dit pourquoi il n'aime pas Gluck, Berlioz, Saint-Saëns, les véristes italiens. Sur Beethoven , Wagner, Richard Strauss il donne des impressions très nuancées. Mais il est presque inconditionnel en faveur de Rameau, Weber, Moussorgsky. Quant à l'enseignement du Conservatoire, au répertoire des théâtres lyriques, à la culture de masse, au nationalisme artistique, Debussy avance des opinions dont le ton indépendant a choqué à l'époque et qui restent d'une singulière actualité.
Lili Iourevna Brik fut la femme de sa vie au sens total, extraordinaire du mot. Soeur aînée d'Elsa Triolet, elle devait rayonner par son charme et son esprit sur toute la culture russe d'avant-garde, de 1915 à nos jours.Pour Maïakovski, elle est d'abord une grande passion qui éclate en 1915 - le poète a vingt-deux ans - et culmine en 1923. Une vraie passion de légende avec son mélange de torture et de transport, avec l'affrontement de deux personnalités aiguës, jalousement indépendantes, avec aussi l'expérience d'une longue tendresse quotidienne sur le fond dantesque de la guerre civile. Toute l'oeuvre lyrique de Maïakovski est inspirée nominalement par Lili Brik.Avec un intérêt dynamique et éclairé, Lili Brik prendra directement part à toutes les entreprises littéraires de Maïakovski : la joyeuse bande futuriste de 1915 et sa bohème, l'ascétique engagement militant des années de révolution, les revues du «Front de gauche des arts» où de 1923 à 1929 Maïakovski a héroïquement lutté pour l'esthétique moderne.