Un homme dont on ne connaîtra pas le nom, ses soirées, il les passe à jouer du blues dans les cafés de Limoges, mais ce pourrait être ailleurs. Mais pas n'importe où : il faut que ce soit une ville avec des traces d'histoire, des ruelles sombres, des vieilles pierres. La journée, il marche dans les rues, voyant à peine les humains qui sillonnent d'un pas pressé les rues, ceux qui ont quelque chose à faire, une vie à construire alors que la sienne, de vie, ressemble à une ruine.
Et voilà qu'un soir apparaît au bar une femme, une inconnue magnifique, pour laquelle il se met à jouer sa propre musique, à chanter ses propres mots. Ils boivent un verre, il la raccompagne au pied de sa demeure et rentre à son hôtel miteux. La reverra-t-il? Saura-t-il qui elle est ? Il rentre à son hôtel pour dormir, pour rêver à Alicia, celle avec qui il y a quinze ans il partageait la scène, celle qui est partie et qui lui a brisé le coeur. Alicia est en ville. Elle chante au Styx. L'homme sera au Styx, bien sûr, pour Alicia. Ça n'est pas une bonne idée, et il le sait. L'apparition de ce fantôme va déclencher chez l'homme une plongée dans le passé, dans l'enfance et la douleur. Bouysse bascule alors dans la poésie, noire, violente, obsessionnelle, et achève son roman en beauté et en désespoir, emmenant avec lui un lecteur consentant, déconcerté, pris.
Le fils se demande si aujourd'hui le père serait capable de regarder en arrière, et de se rendre compte du chemin qu'ils ont parcouru ensemble, vers les limites. Il ne le pense pas. Non, il ne pense pas que le père soit capable d'envisager quoi que ce soit qui n'ait pour finalité davantage de mer et de sel. Ce qui a été infligé en route est secondaire. Qu'ils finissent tous deux noyés, que les poissons éventrés hurlent en silence tandis qu'il leur arrache les organes un à un.
Rien ne peut rivaliser avec l'immensité de l'eau ni le murmure de l'écume. Le déséquilibre est écrasant. A bord de La Gueuse, un navire de pêche vétuste, un père et son fils livrent une lutte quotidienne contre un océan mourant, charriant tour à tour poissons et réfugiés. La démence de l'un vient nourrir la solitude de l'autre. Fouettés par les embruns de l'Atlantique, deux mondes irréconciliables affrontent l'abysse.
Deux jeunes filles d'une quinzaine d'années et un petit garçon aiment à s'aventurer dans une forêt du Massif Central, au bord d'un lac qui vient d'être vidé. Autour d'eux, les adultes vaquent à leur existence, égarés, tous marqués de séquelles plus ou moins vives et irréversibles.
Il y a les anciens, ceux qui sont nés ici, aux abords des volcans d'Auvergne. Il y a les moins anciens, il y a les très jeunes, puis ceux qui viennent d'ailleurs. Il y a aussi ceux qui sont partis, ont tout abandonné, et dont les traces subsistent dans les esprits. Une des deux jeunes filles est retrouvée morte, puis c'est sa dépouille à la morgue qui disparaît en pleine nuit...
Les Mauvaises dresse deux paysages infiniment blessés :
Celui des volcans où l'on déboise intensivement les forêts et où l'on vit dans les vestiges de l'ère industrielle ; celui des hommes et des femmes qui se trouvent ici, enracinés ou parachutés au hasard.
Les alternances d'époques dans le roman interviennent à la façon de doigts posés sur des brèches de vécus. Il y a pourtant très peu de sang dans ce roman noir, car les blessures les plus éprouvantes et durables ne saignent pas ;
Elles se vivent. Blessures et drames se succèdent ainsi sous la plume rigoureuse de l'auteur de Clouer l'Ouest, façonnés sous la forme de courts épisodes où le poids des mots agit comme un venin très lent, mais redoutable.
Après des années d'errance, Karl joueur compulsif et désargenté retourne au sein de sa famille qu'il n'a plus revue depuis plus de vingt ans. Son père est un vieillard égoïste qui a rejeté ses deux fils comme lui-même le fut par son propre père. Sa mère sous calmants attend un fils de dix-huit ans qui n'existe plus. Pierre, dit l'Indien, frère mal aimé par tous, vit désormais à l'écart. Aucun n'attache une réelle importance à ce retour. Aux abois, stigmatisé par son échec, Karl est un poids pour ses vies construites sans lui. Au coeur d'une forêt limousine rode un sanglier solitaire que les chasseurs ne parviennent pas à abattre.
Le Plateau de Millevaches en hiver se prêtait idéalement à l'écriture de ce roman particulièrement froid sous la plume de Séverine Chevalier. Un lieu vaste et silencieux, où les arbres sont noirs ; noirs comme la bête qui se cache dans les bois. Où la neige voile tout, à l'instar de l'obstination de chacun des personnages à taire d'anciens secrets, à contenir des douleurs qui n'ont jamais cicatrisé. Le Plateau est la scène d'une pièce dramatique découpée en courts fragments. Ce décor muet comme un drap immaculé posé sur des corps torturés que l'auteur ausculte avec une écriture concise, légère, qui lui permet de s'immiscer dans les chairs vives. Comme dans son premier roman, Recluses, l'auteur choisit d'investir un endroit en retrait, pourvu de vieilles pierres, de bâtisses inquiétantes, chargées comme les coffres d'un vieux grenier. Un endroit à l'abri de l'agitation et des regards du reste du monde, où des personnages profondément seuls sont confrontés. Un lieu silencieux afin de mieux entendre résonner les coups de feu.
Roman dense et tendu, où chaque souffle, chaque craquement de branche sous le poids de la neige a son importance, où un geste et un regard sont aussi capitaux qu'une déclaration de guerre, Clouer l'Ouest joue avec les mots, rend en quelques images une scène vivante et nous colle au plus près de ses personnages.
Enfant, Antoine a subi un grave accident et a été sauvé par un personnage étrange qui, néanmoins, lui a inspiré une grande terreur. La trentaine maintenant, il travaille comme veilleur de nuit dans un foyer social accueillant des jeunes, aux environs de Limoges. Solitaire, coupé au maximum du monde extérieur, il a réussi à se trouver un semblant d'équilibre dans ce monde de la nuit où il veille sur les jeunes pensionnaires, apaise leurs terreurs nocturnes ou discute avec eux d'une manière plus libre que les éducateurs, notamment avec la jeune Ouria, une adolescente extrêmement perturbée, anorexique-boulimique. Ouria, fascinée par les cicatrices d'Antoine, tisse avec le veilleur de nuit une relation ambiguë, dangereuse tant pour elle que pour lui.
Mais, un soir, Antoine voit apparaitre dans une émission de télé traitant d'un fait-divers - le meurtre d'un enfant - un portrait-robot qui le replonge vingt-cinq ans en arrière. Un journaliste le persuade qu'un homme emprisonné pour avoir sauvagement assassiné ce jeune garçon, à l'époque de son agression, n'est pas vraiment le coupable. Pour le journaliste, le véritable meurtrier est là, et toujours en liberté. Et c'est lui qui est également responsable de l'agression qu'a subie Antoine 25 ans auparavant. Mais la mémoire est une chose étrange... Antoine n'est toujours sûr de rien. Quelle est la part de vérité et de reconstitution dans les souvenirs qui le submergent ? Et le secret d'Antoine est sans doute ailleurs.
Eric Maneval est avare de détails. La sobriété et l'élégance de sa prose sont autant d'armes qui, insidieusement, font avancer le lecteur dans un tunnel d'angoisses et d'interrogations. Il instille l'angoisse avec une redoutable efficacité, tout au long de ce livre sombre et magnifiquement écrit. S'il y arrive si bien, c'est sans doute parce que, malgré la concision de son récit, il réussit à donner chair à des personnages complexes entretenant des relations qui le sont tout autant : Antoine, la jeune Ouria fascinée par ce gardien de nuit aux cicatrices dignes de Frankenstein, mais aussi les avocats et journalistes qui vont d'une certaine manière vampiriser un Antoine qui s'est tourné vers eux.
Cette efficacité tient aussi à un sens affuté de l'ellipse et à la manière dont Eric Maneval joue avec les différents niveaux de vérités. C'est aussi sans doute la façon dont l'auteur réussit à créer une véritable empathie vis-à-vis d'un personnage principal qui, dans sa difficulté à s'ouvrir au monde, en vient à flirter avec les limites et que l'on voit évoluer constamment en nous demandant ce qu'il a vraiment au fond de lui.
Jean est gérant d'une SCI. Son épouse, Liz s'occupe de la partie administrative et des rapports avec ses locataires. La SCI loue ses biens a des marginaux dont un révérend, animateur d'une association d'aide aux démunis s'occupe. C'est lors d'un orage que Liz, la femme de Jean prend la voiture et s'en va sans aucune raison. Elle envoie ensuite un message de secours, sa voiture est coincée sur un passage à gué et l'eau monte dangereusement. Ce seront ces derniers mots. On retrouve quelque jours plus tard sa voiture échouée sur les berges, quelques affaires mais nulle trace de Liz. Jean cherche à comprendre. Ils étaient heureux avec leur deux enfants Clément et Lucie. La gendarmerie enquête. Jean contacte Markus, l'ancien compagnon de Liz et père de Lucie. Atteint d'une maladie qui a fait de lui un monstre. Markus et Liz étaient chercheurs en pharmacologie et lors d'un essai thérapeutique dont Markus était le cobaye, il y a eu un effet secondaire imprévu, Markus a contractée une maladie inconnue. Il est mourant, il veut rencontrer Jean afin de léguer son héritage à sa fille. Jean est en plein désarroi, incapable de gérer la vie domestique et professionnelle.
On retrouve le corps de Liz dans la rivière sans qu'on puisse déterminer les causes de la mort. Peu de temps après Markus décède. Jean a de plus à plus de mal à appréhender la réalité. Il tâche de se concentrer sur son rôle de père mais est obsédé par le passé de sa femme et sur le fait qu'il n'a rien perçu. On le met en garde. Il doit faire attention. Rien de ce qui advient n'est normal.
La pioche reposait toujours dans le coffre de ma voiture. Je n'y avais pas touché depuis la lettre, mais ce soir-là, il y avait dans l'air quelque chose qui ressemblait à un cercle qu'il fallait clore.
J'avais songé aux anciens, de quelle manière j'étais allé mordre la terre et fouiller le passé à la recherche des mémoires et de ce qui avait voulu disparaître. J'avais songé que c'était de cette façon-là qu'il me faudrait enterrer le présent, et me faire disparaître moi-même. Que cela serait juste. Un sacrifice pour moi. Une délivrance pour elles. Le manche s'était calé au bon endroit. Je m'étais demandé si c'était de l'orme, et j'avais su comment faire.
Il emprunte la glaise des sous-bois. À l'heure qu'il est, on est probablement à ses trousses. Sa course vient parfois frôler les villages endormis, l'asphalte visqueux des routes. Le cabot l'escorte et la pioche meurtrit son épaule. Comme il n'a aucun autre compagnon, c'est à eux qu'il murmure le Plateau, les trajectoires perdues et les mémoires effacées. Quelque part à l'issue du chemin, il y a le Lac et le vacarme du Mur. Qui attend. Le Mur n'est autre qu'un barrage, et le Plateau est celui des « mille sources », stratifié, préservé, où des blocs rocheux monolithiques surgissent parfois des landes ou au milieu des forêts. Une « écriture de la terre » est à l'oeuvre, minutieuse, poétique, charnelle. Chaque mot semble directement extrait de la flore que le narrateur du roman parcourt, affronte, et avec laquelle il fait corps. Chaque mot prélevé comme un fragile échantillon minéral, organique, afin de témoigner de chaque instant vécu, chaque centimètre, puis chaque pas en direction du Mur qui gronde au loin. Ce roman s'écoule à la façon d'un compte à rebours en direction d'un but sur lequel la netteté se fera au cours des dernières lignes, compte à rebours entrecoupé de flash-back offerts comme des images figées qui tournent dans la tête du narrateur.
Lui a quarante ans, après une féroce jeunesse de luttes, d'engagement total - ses « années loup » - il a rejoint le troupeau. Mais vivre résigné en attendant la mort, il n'y est pas parvenu. Révolte sociale, marginalité, appétit de liberté se sont fracassés sur les réalités du monde. Alors il est traqué. Et c'est vers le barrage qu'il fuit, pour « trouer ce monde et tout noyer. ».
En lisant les dernières pages de ce roman, on songe au barrage du roman Un bon endroit pour mourir, de Jim Harrison. Patrick K. Dewdney nous invite à examiner au plus près le microcosme inouï qui grouille, la matière qui se désintègre pour se régénérer, l'impensable vie qui anime l'eau.
Pour nourrir les racines de son roman, l'auteur s'est isolé dans une cabane, peu avant l'automne, aux abords du lac en question, afin de poser les premiers mots, les premiers blocs. Il n'y a pas de chapitres dans Crocs ; c'est un corps solidaire aux articulations nées d'une même source : la nature et l'homme qui se débat dans cette complexité dans l'espoir de venir à bout de ses propres démons, ou de les mettre à l'oeuvre par tous les moyens. Un fugitif qui se dévoile petit à petit - marginal ? casseur ? zadiste ? terroriste ?- une course dans les paysages millénaires du massif central, Patrick K. Dewdney nous entraîne vers les abîmes de la condition humaine moderne. Mais cette terrible descente est pleine de fureur, de poésie et même de majesté.
« Quand tu cours, tu n'es plus tout à fait toi-même, ou alors tu le deviens. » 1985. Par un soir d'hiver, la femme de Serge Ourozewski, gynécologue réputé, meurt en couches. Rongé par la culpabilité, Ourozewski part s'isoler dans la forêt de Saoû avec son fils Rémi, âgé de huit ans. Dans ce monde clos, Ourozewski bascule dans la folie.
2014. Baptiste, un étudiant en médecine, participe à une épreuve d'Ultra-Trail dans le Vercors. Il termine deuxième derrière une mystérieuse jeune femme, Marion, qui disparaît sitôt la ligne d'arrivée franchie.
2015. Baptiste prend sa revanche et remporte la course. Après une nuit passée ensemble, Marion disparaît de nouveau en lui donnant rendez-vous l'année suivante. Mais Baptiste ne parvient pas à l'oublier. Il s'installe à Die dans l'espoir de la retrouver. Un jour il découvre les reliefs abrupts de la Forêt de Saoû. Il y rencontre un coureur solitaire. Un homme à la vélocité exceptionnelle.
En poursuivant Marion, Baptiste découvre peu à peu le terrible secret qui la lie à Rémi. La vérité surgira-t-elle au bout du chemin ?
Elle est institutrice et mère d'une petite fille qui s'appelle Juliette. Elle vient de la ville, et la ville ne lui a pas encore lâché la peau du cou. Elle est jeune et dotée d'un appétit solide, malgré la guérilla de l'enfance, la galère bariolée et féroce de l'adolescence. Elle est nommée institutrice dans l'école d'un village situé sur une commune où le nombre d'habitants au kilomètre carré n'excède pas trois. C'est un causse - un plateau karstique dont les habitants sont dénommés « caussenards ». C'est l'hiver.
L'épaisseur de neige est telle qu'elle recouvre les voitures que les imprudents ont laissées dehors. Les voitures et la terre.
Elle se trouvait incroyablement bien dans cet endroit de la terre - incroyablement à côté de la plaque. Et elle pensait qu'ici, rien ne pouvait arriver, sinon ce que la nature avait décidé. Elle se trompait. Dans sa vie antérieure à Paris, Esther a toujours fréquenté toutes sortes de personnes. Elle a toujours eu le coeur sur la main. Et il y a notamment eu cette fille, Vanessa, mouillée dans un trafic de drogue. Et un jour, Vanessa refait surface. Elle a besoin d'aide. Sauf qu'entre temps, les gens du plateau ont Esther sous leur aile, et quand ils sentent que cette fille, Vanessa, est porteuse d'ennuis, ils vont faire en sorte de protéger Esther.
Vanessa a de la drogue sur elle, beaucoup, et deux dealers sur les talons. Alors le Causse va devenir terre de violences et de vengeance.