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Verticales
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«Le visage de Jérémie était si insaisissable qu'on l'aurait dit en permanence nimbé d'une brume ou d'un brouillard : je tentais parfois de photographier cet homme sur le vif, mû par une forme d'urgence à garder des traces, des preuves. Le résultat était toujours décevant, quand il n'était pas un échec en bonne et due forme - le visage n'était pas complètement flou, mais quelque chose de sa physionomie échappait, il y avait sur ses joues, ses lèvres (sans parler des yeux), comme un tremblement léger qui empêchait qu'on reconnaisse tout à fait Jérémie, et quand je croyais le prendre en photo, je ne prenais en réalité que le tremblé de son absence.» En se remémorant les moments vécus avec un ancien amant, le narrateur tente de percer le mystère de Jérémie. Qui était cet homme qu'il ne connaissait pas vraiment, et qu'il a aimé, peut-être ?
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«Ceci n'est pas un essai sur le Congo. Cinq longs séjours, à l'invitation d'une ONG, ne permettent pas d'écrire sur un pays. Ce n'est pas non plus un récit de voyage. Alors quoi ? C'est assurément un livre sur les filles des rues que j'ai rencontrées à Pointe-Noire et Brazzaville, dont j'ai voulu décrire la force et les blessures. Mineures n'ayant pas d'autres ressources que la prostitution, souvent orphelines et déjà mères, elles se métamorphosent dès la nuit tombée pour faire la vie. Mais peut-être est-ce aussi un livre sur ce monde qui est le leur, avec sa misère et ses mystères, et sur ce qu'il a déplacé en moi...» Arno Bertina.
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«À déambuler quotidiennement avec ma chapka et mon sceptre, je deviendrai bientôt l'original de Malakoff, celui dont on prend soin de préciser qu'il n'est pas méchant. D'ici quelques semaines, les riverains se mettront à colporter de petites rumeurs à mon sujet : paraît qu'il vit dans les combles du centre d'art, paraît qu'il s'imagine en Russie, paraît qu'il se prend pour un personnage de roman.» En résidence de création à Malakoff, Gregory Buchert mène l'enquête sur les possibles origines russes de sa ville d'accueil tout en essayant de rencontrer Sam Szafran, figure locale et pastelliste virtuose dont il vénérait les oeuvres étant plus jeune. Mais à mesure qu'il s'imprègne des lieux et rédige son journal de bord, l'auteur voit sa personnalité se scinder, l'obligeant à composer avec les errements de son double, tandis que réaffleurent certaines meurtrissures de l'enfance.
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Avec ces « projectiles », Pierre Senges lance son nouveau défi littéraire :
Une enquête minutieuse à propos de la « tarte à la crème ». Pour aborder cet objet d'étude incongru, il suit de nombreuses pistes, réparties en 58 fragments aux titres peu académiques. D'emblée, son attention se porte sur un usage détourné de la fameuse pâtisserie dans La Bataille du Siècle (1927) - un court-métrage muet de la série des Laurel et Hardy. On y assiste à un enchaînement d'entartrages entre personnages ciblés par mégarde cherchant à se venger de semblable manière jusqu'à un summum de tirs croisés, vingt minutes durant. Parallèlement, l'auteur s'intéresse à la Los Angeles Cream Pie Company, créée par les soeurs McKenzie, qui dut sa fortune aux quantités phénoménales de tartes commandées par les studios, jamais consommées puisque vouées à devenir les accessoires d'un pugilat grotesque.
Cette étude comparée de deux essors industriels - celui des desserts à la crème et du septième art - fondés sur un non-sens économique et une mécanique du running gag, résume bien la visée de cet essai fictif :
Prendre à revers l'esprit de sérieux. L'auteur n'en soulève pas moins des questions d'ordre métaphysiques. Prenant au pied de la lettre une phrase attribuée à Stan Laurel - «On a voulu faire en sorte que chaque tarte ait un sens»-, Senges imagine, sur les plateaux de tournage, le rôle inédit des « significateurs » de tartes...
Au terme de cette facétieuse démonstration, c'est la recherche même d'un quelconque « message » dans l'esthétique du burlesque qui finit par être réfutée, au bénéfice d'un éloge de la fuite en avant accidentelle.
Le dixième opus de Pierre Senges peut se lire comme un traité de sémiotique gourmande ou un retour aux sources comiques du cinéma muet, mais il est aussi une machine de guerre contre ces significateurs, anciens ou modernes, qui voudraient enfermer chaque oeuvre d'art dans leur grille d'interprétation. Sous des airs loufoques, il finit par prêter à ce lancé de crème fouettée toute sa gravité, au sens propre et figuré, celle d'un « pitre sérieux » conjurant par le rire le non-sens universel.
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De l'autre côté de la peau
Aliona Gloukhova
- Verticales
- Roman Verticales
- 6 Février 2020
- 9782072876127
De l'autre côté de la peau est un roman où personnages réels et personnages fictifs se croisent, s'influencent, s'imprègnent, une histoire contenue dans une autre histoire ouvrant sur une autre encore.
Les deux personnages principaux sont Ana, étudiante native de Lisbonne ayant consacré sa thèse, dans les années 90, à l'oeuvre méconnue du poète russe Guennadi Gor (1907-1981), et une narratrice anonyme qui tente de reconstruire l'histoire d'Ana à partir de ses écrits théoriques, de son journal intime et des carnets laissés après son internement, puis sa disparition mystérieuse au début des années 2000.
En suivant la démarche de la narratrice, on se plonge d'abord dans les poèmes de Gor qu'elle entreprend de retraduire, puis dans les travaux d'Ana sur cette langue « indicible » qui caractérise le recueil Blocus écrit par Gor durant le siège de Leningrad en 1942. Selon un dévoilement progressif, on suit à la trace la portugaise Ana, qui a grandi auprès de sa grand-mère à Nazaré, avant d'entamer son périple vers Saint-Pétersbourg et Minsk, au gré de ses recherches doctorales sur le mutisme littéraire. Or, la veille de son départ, Mateus, l'homme qu'elle a tant aimé, s'est noyé dans l'océan Atlantique. Au lieu d'affronter cette perte, Ana met en route un mécanisme d'éloignement au coeur de la langue de Gor, ce poète interdit de publication par Staline. Et il semble qu'en questionnant les limites du dicible, Ana expérimente ses propres limites...
Ce roman poignant et gracieux brasse des destinées énigmatiques sur plus d'un demi-siècle, entre l'URSS de la Deuxième Guerre mondiale et la Biélorussie contemporaine en passant par le Portugal d'après la révolution des OEillets, et fait naître, entre les territoires et les langues européennes, un chant cristallin où l'imaginaire et le savoir n'ont plus de frontières.
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Réunie à l'occasion d'un inventaire, une assemblée invite un de ses membres resté silencieux à prendre la parole, non sans d'abord lui imposer diverses précautions, rêveries et envolées en tout genre, tant de choses à trier soulevant des questions morales et politiques essentielles:qu'est-ce oue la culture? la nature? la propriété? la richesse? le travail? la liberté? La vie, au fond? Pourquoi s'intéresser à des «petites cuillères» alors que le monde part en sucette?Ainsi s'ébauche, sous l'autorité de quelques grands noms de la littérature et de la philosophie, une délibération collective à l'image d'une moyenne bourgeoisie minée par sa mauvaise conscience, par ses servitudes volonaires, par la fragilité de ses fausses certitudes. Et comme ce partage a lieu Normandie, dans le pays de Madame Bovary, c'est l'occasion pour Noémi Lefebvre d'engager une vive controverse avec Flaubert lui-même, dans une postface intitulée Tais-toi.
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C'est une année chaude, c'est le début de l'été. Regardez, dans l'air tiède, ils essaient maintenant de ralentir, c'est ça, leur respiration semble d'un seul coup plus facile, au bout de quelques heures, ils se sentent déjà beaucoup mieux. Dans un décor idyllique, ils ont l'air de vacanciers, corps au repos, esprits vidés, état stationnaire. Un rêve se réalise. Une nouvelle vie commence. On les écoute ? Le début de quelque chose emprunte à l'imaginaire commun des vacances pour mieux y semer le doute, puis le trouble. Avec un sens de la dramatisation implacable, Hugues Jallon transforme notre utopie la plus familière en un cauchemar éveillé.
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Dans la nuit de samedi à dimanche
Nicole Caligaris
- Verticales
- Roman Verticales
- 10 Février 2011
- 9782070782192
Sept histoires d'amitié, entre fusion et trahison. Sept récits mettant en scène des hommes mi-complices, mi-rivaux, de milieux sociaux très divers (du plus précaire au trader fou), et de toutes générations. Sept virées nocturnes aux quatre coins d'une cité portuaire jamais nommée mais qui pourrait bien être la même, le même samedi soir. Sept destinées en parallèle qui, n'ayant a priori aucun rapport apparent, vont connaître un même dénouement. Plus qu'un recueil de textes, une chambre d'échos. Dans cet arrière-monde de la nuit, on rencontrera des malchanceux, des naïfs, des sournois, des déserteurs, des clandestins ou de simples amateurs de java enfiévrée, copains d'un soir ou vieux camarades de toujours. Ces êtres border line se retrouvent dans un bar, un club privé ou un bal populaire. Ils échafaudent des projets pour oublier leurs fêlures dans le tournis de l'alcool, le vertige de la peur, l'adrénaline du défi. Ainsi le narrateur d'« Opening night » se souvient-il du mutique César, étranger illégal hébergé à la pension maternelle, qui lors de sa dernière nuit s'est livré corps et mots autour d'un zinc avant d'être rattrapé par la « Préfecture ». Dans « Canto », Ludo finira étranglé par son compagnon de bringue dans le chaos des mauvaises blagues et des rires gras puis jaunes. Dans « La nuit number one », c'est Denis Bromio qui sera la cible à abattre de Rex, un homme de main avec qui il entretient une folle complicité. Au-delà du suspense, on ne découvre qu'à mesure d'autres enjeux plus impalpables et secrets, tout un art de la variation et du dévoilement progressif. L'écriture, d'une grande maîtrise rythmique, tisse un réseau subtil d'échos d'un récit au suivant. On avance souvent comme dans une matière, celle de la nuit, aux nuances saisissantes, liquides ou minérales. Et la réalité diffractée par les flash-back des narrateurs successifs dilate les durées, transforme le moindre acte en un geste quasi légendaire.
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On élève ici un monument.
Il y fallait du marbre, du bronze, quelque chose de redoutable. Donc, Tombeau. Lecteur, ici tu seras à ton affaire car tu sais rire, tu sais que le grand est aimable, et qu'il aime donner l'exemple de son rire. Et comme ton coeur s'émeut devant les grands spectacles, tu en auras pour ton argent. Tu y reviendras. En y revenant, tu comprendras des subtilités qui t'auront échappé d'abord, mais beaucoup d'autres te resteront obscures - tu devineras qu'elles sont admirables.
Insiste. Approche. Saint-Simon parle. C'est quelque chose.