En 1937, Nikolaas, jeune homme sud-africain venu étudier dans une université britannique, est invité à passer l'été avec la famille d'un camarade, dans la campagne anglaise. Alors que la guerre civile espagnole fait la une des journaux et que l'on débat de la menace posée par Hitler avec désinvolture ou effroi, il s'initie aux charmes de la vie aristocratique : parties de croquet, bals, dîners habillés, jardinage, virées en voiture... Tenaillé par son sentiment de nonappartenance, par la peur de commettre un impair, il observe, grisé, tout un monde s'acheminer vers sa fin.
Germaniste, lecteur attentif de Nietzsche et de Max Scheler, Menno ter Braak voit dans le ressentiment et la rancune qui se sont, pour reprendre ses termes, « émancipés » (nous dirions aujourd'hui :
« décomplexés ») la véritable cause de l'essor du populisme chez certains de ses pairs comme dans l'opinion publique ; il dénonce la passivité, la « bienveillance », pour ne pas dire la complaisance, d'une partie des intellectuels de l'époque à l'égard du fascisme, du nazisme et de l'antisémitisme.
Ce qui ne l'empêche pas de se montrer tout aussi exigeant dans sa critique des dévoiements des idéaux de démocratie, d'égalité et de socialisme au sein même des milieux démocrates et socialistes.
Publié dès 1937 aux Pays-Bas, c'est l'un des essais les plus célèbres de la première moitié du XXe siècle. Régulièrement réédité dans son pays d'origine, il connaît ces dernières années un fort regain d'intérêt, y compris à l'étranger.
L'Afrique du Sud contemporaine est construite sur une identité nationale qui se caractérise par un traumatisme collectif permanent et son effacement simultané, une «Amnésie collective». Les thèmes qu'aborde Koleka Ptuma sont l'amour, la religion, les identités féminine, noire et queer, l'héritage de l'apartheid...
Elle pointe et dénonce le machisme qui règne jusque dans les milieux les plus «progressistes», la violence homophobe de la société sud-africaine, le manque de visibilité et les discriminations dont sont victimes les lesbiennes, entre autres dans son poème intitulé No Easter Sunday for Queers, (Pas de dimanche de Pâques pour les queers) qu'elle a adapté au théâtre. Ses poèmes, qui demandent avant tout «JUSTICE !», ont inspiré et accompagné de nombreuses manifestations et mouvements féministes et étudiants. son livre pose la question du genre en littérature et traduire Collective Amnesia implique de recourir au langage non genré, ce qui en français suppose des choix - adjectifs, participes passés, pronoms personnels - tout en veillant à ne pas gêner la lecture ce qui a été parfaitement réussi par le traducteur Pierre-Marie Finkelstein.
Du grand Maeterlinck à l'obscur Eugène Marais, cette enquête romanesque sur l'histoire d'un plagiat est un livre inclassable, une non-fiction littéraire aussi érudite que divertissante qui propose une réflexion sur l'observation des sociétés animales en même temps qu'un regard passionnant sur l'Afrique du Sud.
Ce premier recueil de poèmes de Nathan Trantraal écrit en kaaps, dialecte afrikaans parlé majoritairement par les "métis" des classes populaires du Cap qu'il revendique comme une langue à part entière, présente au lecteur la dure réalité de la vie dans les townships des Cape Flats. Les poèmes racontent : pauvreté, consommation de drogue, activités de gangs, sexe, etc. Trantraal ne rend pas la vie belle et précieuse : les familles dont il parle vivent des expériences que les autres ne lisent que dans les journaux. Mais s'y mêlent aussi des références à Kafka et Vermeer, pour dire que la vie et l'art sont plus grands que les Cape Flats.
Milla est clouée sur son lit, paralysée. Seule sa domestique noire prend soin de cette femme abandonnée de tous. Quarante ans plus tôt, Milla régnait pourtant en maîtresse sur cette grande ferme près du Cap, et sa vie était pleine de promesses. Maintenant, la mort est proche, et sa mémoire passe en revue les souvenirs éparpillés d'une vie en morceaux : la décision d'adopter Agaat - une petite fille noire - quand son mariage avec Jak ne lui donne pas les enfants espérés, puis la naissance tardive d'un fils qui transforme Agaat en servante, et les conflits incessants avec son mari.
Milla est condamnée au silence, mais en clignant des yeux, elle espère encore communiquer avec Agaat qui veille sur elle, malgré tout. Entre loyauté et vengeance, fierté et tendresse, un combat silencieux s'engage entre les deux femmes, pendant qu'à l'extérieur le monde de l'apartheid vit ses toutes dernières heures.
Agaat impressionne par sa puissance, à la fois épique et polyphonique, et plonge le lecteur dans un drame intime et familial d'une rare densité.
Né en Afrique du Sud au temps de l'apartheid et du national christianisme, Conrad Botes a dû s'accommoder d'un pays schizophrène où s'affrontent deux peuples, deux cultures, deux histoires, où la violence et l'oppression font partie du quotidien. Refusant de choisir entre Caïn et Abel, l'artiste réclame le droit, non à la différence, mais à l'indifférence. Quand ses compatriotes préfèrent la culpabilité au désespoir, il moque l'idée d'un métissage rédempteur, d'une fraternité utopique. Ici s'invente un nouveau pop art qui mêle Goya et Disney, Borges et Hergé, Warhol et Posada, les comics et le vaudou, et retrouve la poésie surréaliste du Livre de l'Apocalypse. Dieu est haine, Dieu est meurtre, Dieu est vengeance. Loin de la vulgarité, de la mauvaise conscience et de la pitié, Botes nous apprend à rire de la mort et à répondre à son rictus osseux par notre plus beau sourire dentu.
Parti sur les traces d'un berger du début du dix-neu- vième siècle devenu poète à la suite de l'apparition d'un ange, un producteur de télévision de Johannes- burg, revient dans la petite ville de son enfance.
Perdu au coeur du veld sud-africain, il cherche éga- lement une échappatoire à son existence vaniteuse et mondaine, à ses déceptions, à une récente rupture.
Lui aussi aimerait la visite d'un ange, trouver du sens, croire encore. Cependant, dès ses premières conversations, il se rend compte rapidement que le portrait du jeune berger se brouille et lui échappe.
Car le passé est un pays étranger, presqu'hostile.
George Neethling, la trentaine, retourne en Afrique du Sud, pays qu'il avait quitté enfant. Sa mère vient de mourir. Il quitte la Suisse, où il réside, afin de vendre Rietvlei, la propriété où sa mère est née. Rietvlei se trouve loin de toute ville. Neethling sera hébergé par un couple de fermiers, les Hattingh et leurs enfants ( trois garçons : Johannes, Hendrik et Paul, et une fille : Clara ). Pendant quelques jours Neethling va vivre à leur rythme, les écoutant évoquer sa mère, le passé, l'histoire de l'Afrique du Sud, mais aussi exprimer la terreur que leur inspirent les sempiternelles rondes des militaires, tous des pilleurs et des assassins. Nous sommes encore au temps de l'Apartheid. Clara, tour à tour hostile et amicale à son égard, le mènera là où autrefois s'élevait Rietvlei, aujourd'hui un tas de ruines, conséquence d'affrontements entre l'armée et des opposants au régime. Neethling comprendra soudain qu'il ne trouvera jamais sa place dans son pays d'origine voué désormais au chaos.
Livre puissant, qui fait songer à un grand fleuve plein de remous et de tourbillons, Retour au pays bien aimé est sans aucun doute le roman de Karel Schoeman où les sentiments de peur et de colère sont les plus omniprésents. Comme nul autre, Schoeman parle aussi du silence avec une douceur toute musicale et infiniment poétique, mais cette douceur-là, nous nous apercevons peu à peu, qu'elle est terriblement trompeuse.
Seule dans l'obscurité de sa chambre, une vieille femme se meurt et resonge à sa vie discrète, passée à écouter et observer les autres. Au crépuscule de son existence, elle lève enfin le voile sur les secrets inavoués de son clan et recompose un puzzle intime, pétri de rancoeurs et de douleurs. Sur fond de paysage tissé par le vent, la poussière et le silence, c'est un monde fantôme qui se déploie sous ses yeux, celui des Afrikaners, austères et secrètement ardents, débarqués au début du XIXème siècle, sur les terres arides d'Afrique du Sud. Là " où le pardon n'existe pas ".
" Son oeuvre est des plus subtile, toutes en nuances et clair-obscur, comme une musique de violoncelle déposée sur les blessures d'une nation fratricide. " André Clavel, Le Temps
1966, Hendrik Verwoerd, premier ministre sud-africain, celui qu'on appelle "l'architecte de l'apartheid", est poignardé dans l'enceinte du parlement du Cap.
Son assassin, Démétrios Tsafendas, est un étrange personnage, né à Lourenço-Marques d'un père crétois et d'une mère mozambicaine. Métis illégitime et très vite indésirable dans la vie de son père, il sera élevé par sa grand-mère à Alexandrie. Nié par ses proches, toujours en porte à faux dans ce monde dont il paraît absent, Démétrios va connaître une vie d'exclusion et d'errance et parfois d'internement psychiatrique.
Fasciné par l'Afrique du Sud, où il a vécu son adolescence, et séduit par l'énigme de cette personnalité hors du commun, Henk Van Woerden fera plusieurs voyages afin de retrouver et de faire parler le vieux métis. Par un jeu de miroir éblouissant, en équilibre permanent entre le réel et la fiction, il retrace le fabuleux itinéraire de cet homme tout en livrant les relations singulières que lui-même entretient avec ce pays dont il met en lumière l'histoire et l'ampleur des utopies.
Adriaan, un poète de langue afrikaans qui vit au Cap, se sent à un tournant de sa vie. Nous sommes dans l'Afrique du Sud des années 70, à demi ruinée par l'intolérance et par la répression, et la plupart des amis d'Adriaan ne songent plus qu'à quitter le pays. Quant à lui, proche de la dérive, incertain de lui-même et de tout, il refuse contre toute raison de déserter. Il sait que la difficulté d'être est partout, que la vie en société n'est qu'un masque destiné à camoufler la solitude de chacun. La Saison des adieux est un roman intimiste et crépusculaire, qui met en scène des fantômes sur une terre recouverte d'ombres menaçantes.
Des voix parmi les ombres est le deuxième volet d'une trilogie magistralement inaugurée par Cette vie (Phébus, 2009 ; Prix du Meilleur Livre étranger) explorant le passé de l'Afrique du Sud.
Le roman relate l'invasion en 1901 par un commando boer d'une petite ville de la colonie du Cap, alors sous domination anglaise. Trois voix s'élèvent, fantomatiques, obsesionnelles, boulversantes pour raconter un événement qui dressera les communautés les unes contre les autres et fera retentir dans une bourgade apparemment paisible le tumulte d'une guerre. Celle d'Alice, fille d'un magistrat anglais, voix d'un jeune clerc boiteux, Kallie, et celle de Mademoiselle Godby, soeur d'un médecin britannique. Tous sont témoins impuissants des haines raciales.
Leurs récits s'entremêlent aux regards que portent aujourd'hui sur Fouriesfontein un explorateur et un photographe professionnels, partis mener l'enquête sur le héros Adam Balie, métis battu à mort. Voici deux hommes confrontés à une ville spectrale d'^ù ils ne reviendront pas.
Sous la plume de KArel Schoeman, auteur majeur de la littérature contemporaine, c'est le destin de l'Afrique du Sud qui nous est restitué dans sa violence, sa complexité et sa beauté pour atteindre l'universalité.
C'était inévitable.
Il était écrit qu'un jour silos rencontrerait par hasard quelqu'un qui surgirait du passé, quelqu'un qui s'était trouvé en situation de pouvoir et en avait abusé. ii regarda l'homme, les mèches de cheveux clairsemés, le début d'embonpoint. tiens, le salopard avait perdu ses dents. il s'approcha. du bois ? lieutenant du bois ? oui, répondit celui-ci en toisant silos de la tête aux pieds. vous vous souvenez de moi ? je devrais ? " dix-neuf ans plus tôt, le lieutenant du bois, de la police sud-africaine, a violé en prison la très jeune lydia, une métisse, pratiquement sous les yeux de silas, son mari, militant anti-apartheid.
De ce crime est né mikey, à qui on a toujours caché le secret de ses origines - mais il va le découvrir. et à partir de la rencontre inopinée de silas et du violeur, tout s'emballe, tout est peu à peu mis au jour dans la douleur et la violence. car nul ne peut faire le deuil d'un si lourd passé et nul ne peut sortir intact des souffrances d'autrefois.
Ce qui persiste tout au long de l'écriture de Schaffer c'est le désir terrible de dresser le portrait d'un personnage historique partiellement raconté. À cette fin l'auteur fait recours à notre modernité en replaçant Chaka - roi zoulou du XIXème siècle - dans des décors improbables, sur les plateaux télé, à la préfecture de police, en rêve, en bateau, dans un fleuve enchanté, dans un appartement ayant une vue sur la ville. Chaka est partout.
Le procédé descriptif s'avère beaucoup trop minutieux et digressif pour s'accorder fidèlement aux contours des choses, il les déborde y compris l'image colonialiste du héros, Chaka nous est proche car il n'est plus un personnage historique. Il incarne à la fois tous et personne. C'est un archétype impossible, un homme qui prend en main sa cruauté démesurée aussi bien que ses abandons les plus humains : l'état amoureux, la mélancolie, etc.
Que veulent dire ces lambeaux de récits enchevêtrés parmi une série de rêves (éveillés) dûment numérotés? Le dédoublement est à l'ordre du jour, l'auteur prête à Chaka sa vie intérieure, mais ce transfert la rend étrangère, menaçante. S'élever en bête et s'anéantir en chose est loin d'être un chemin souhaitable, c'est dans cette métamorphose que nous voyons scintiller de temps en temps l'homme.
Impossible de ne pas être dans l'attractivité du livre de Ronelda Kamfer, jeune poétesse du Cap Sud. Dès le titre, elle annonce la couleur - la sienne - par la langue choisie : l'afrikaans, cette langue ainsi désignée dans le temps de l'apartheid. La jeune Ronelda Kamfer la revendique relatant le présent et évoquant la vie de ses grands-parents. Dans une langue simple, courte, percutante nous sommes plongés dans le quotidien de ces lieux clos où règnent pauvreté, délinquance, drogue... de ces quartiers fermés et réservés aux populations à la couleur de peau qui n'est pas blanche. Poésie forte par sa spontanéité, sa relation aux petits faits du quotidien si significatifs. Vous ne ressortirez pas indemne dans votre émotion, votre réflexion sur les chemins de l'histoire de l'homme blanc, occidental, dans sa domination du monde et des hommes. Un livre fort et plein de tendresse.
Nous sommes à la fin de l'Apartheid, à Voorspoed, petite ville de Free Estate, en Afrique du Sud. Karolina Ferreira, entomologiste, recense et observe certaines espèces rares de phalènes. Ses deux pôles d'ancrage sont le veld et le café du Rendez-vous. Où l'on joue au billard jusqu'à l'hébétude. Karolina y danse le tango des heures durant avec le même homme sans que le moindre sentiment ne les réunisse. Et si les jours passent, des êtres inquiétants surgissent, parfois disparaissent, souvent s'incrustent, et des évènements surviennent :
Un fermier jaloux, un lieutenant de police obsédé sexuel, un acteur amant de l'épouse d'un notable ; un accident de voiture qui n'en est pas un, une famille entière massacrée. Et puis, il y a Jess Jankowitz, enveloppé de mystère et de séduction, avec lequel, de page en page, l'amour se construit et le temps s'oublie.
Voici une merveille venue d'Afrique du Sud. Tout y est d'une densité rare, tout y est inquiétant et fascinant. Avec une économie de mots stupéfiants, Ingrid Winterbach rend palpable l'indicible, vivants des êtres fantomatiques, charnel et bouleversant tout ce qui anime les hommes et les femmes : l'amour, la haine et la peur.