" L'analyse que j'ai suivie chez Freud m'est apparue comme un dialogue de cette sorte : réussi, spontané. Que cet unique dialogue ait duré 8 mois ne surprendra que celui qui mesure le temps. Sans la direction de Freud, il m'aurait été impossible de m'abstraire ainsi des évènements présents et d'y réfléchir. Ce fut comme si, dès la première séance, un anathème, ou plutôt une mise au ban, avait été suspendu, et que j'avais été saisi par la véhémence d'une émotion, qui aurait percé et se serait frayé un chemin, guidée par la présence de celui qui m'écoute tranquillement.
Oui, mais quel est cet auditeur ? Quels liens ai-je avec lui? Comment est-il devenu ce qu'il est : auditeur, compagnon d'écoute, celui qui guide le fil du dialogue sans le diriger. Partenaire silencieux qui vous laisse parler, donne libre cours à ma parole, m'incite à parler et qui, de façon inattendue, dit beaucoup, parce qu'il dit la chose juste au bon moment, si bien qu'il vous déconcerte et vous délivre.
La porte s'ouvre. Freud est là, debout, il n'en impose pas, il attend. Il ne tend pas la main pour saluer. Inclinée perpendiculairement vers le bas, la main, en guise de salut, s'offre et partant n'offre qu'une seule possibilité : celle d'y introduire la mienne. Et ça y est, me voilà déjà sur le divan, conduit par cette main tendue vers le bas pour saluer. Il n'y a pas d'autre issue possible. Il reste en retrait et l'on sait : il est assis et moi, je suis allongé. À part ça, il n'y a rien à dire, mais moi j'ai beaucoup à dire. " Le 29 mars 1922, Ernst Blum commence son analyse qu'il terminera le 28 juin. Blum avait trente ans, Freud en avait alors 65. Sur les 75 séances de son analyse, Blum dressera le compte-rendu sténographique de 55 séances. En 1972, il rédige des notes et commentaires à partir de ces comptes-rendus, qu'il remettra à son ami Manfred Pohlen. A la même période, Manfred Pohlen l'interroge sur l'analyse de 1922 et enregistre l'interview.
À travers ces procès-verbaux et ces entretiens, cet ouvrage aborde donc tant la question de Freud en tant qu'analyste que l'expérience de Blum telle qu'il l'a vécue.
Comment un otage traverse-t-il cette parenthèse atroce ? Comment gère- t-il la situation pendant et après ? La société reconnait-elle vraiment le traumatisme vécu ? Spécialiste dans la gestion du stress extrême, Marie-Claude Dentan donne les clefs pour permettre le retour des otages à la vie.
Le Yémen, le Mali, l'Afghanistan, le Sahel, le Niger, une banque à Toulouse, une bijouterie. Au-delà de l'hystérie médiatique qu'elle déclenche, comment une prise d'otages est-elle vécue par les principaux intéressés ? La libération, vue comme un achèvement oblitère trop souvent ce que les otages ont traversé, subissant la violence, la soumission et le sentiment d'abandon.
L'auteur a réuni de nombreux témoignages d'otages qui illustrent les phases de la capture, de la séquestration, de l'éventuelle libération et du retour à la vie avec la nécessité d'apaiser des souffrances. A travers ces récits qu'elle analyse et dont elle extrait les caractéristiques comportementales communes à toutes les victimes, elle dresse l'état des lieux des bouleversements psychologiques, sociologiques, philosophiques et historiques qui naissent de la violence d'une telle situation. Fondatrice du centre antistress d'Air France, l'auteur a participé à la simulation de crash d'avions ou de prises d'avions par le GIGN, elle a également managé la prise en charge de victimes de hold-up et de prises d'otages Les difficultés à se réintégrer dans une vie " ordinaire " sont aussi largement évoquées et les responsabilités de la société qui trop souvent ignore les blessures psychologiques engendrées par la condition d'otages. Devenu un objet soumis lors de sa détention, placé face au mal de façon brutale, l'otage inaugure la nécessité de travailler à son retour le chemin de l'apaisement.
En 1946, le docteur David Boder, enseignant de psychologie à l'Illinois Institute of Technology, effectue un long voyage d'étude en Europe afin d'y interroger les survivants de la Shoah dans les camps de personnes déplacés. Ils sont alors un million de réfugiés - hors les Allemands expulsés - à sillonner les refuges et les routes d'Europe occidentale, cherchant à reconstruire leur vie.
Juif d'origine lettone, Boder est habité par une évidente empathie pour ceux qu'il interroge. Mais surtout, il est convaincu qu'il est impératif d'interroger les victimes « à chaud », tant qu'elles ont la mémoire fraîche et de les laisser parler « dans leur langue » : allemand, polonais, yiddish, judéoespagnol, etc. Ces hommes et ces femmes racontent leur vie avant la guerre, la montée - insidieuse ou brutale - de la répression antisémite, l'arrestation ou l'entrée au ghetto, la survie au camp, la libération. Boder mène ainsi à bien en quelques mois, avec un enregistreur à fil (l'ancêtre du magnétophone) 109 entretiens, représentant une somme de 31 000 pages. Il en tire en 1948 un volume regroupant ses huit entretiens les plus marquants : I Did Not Interview the Dead.
Cette oeuvre marquante a fondé l'histoire orale et constitue le témoignage le plus fort jamais produit sur la solution finale. Sa lecture engendre un choc réel : Jörn Gastfreund, Abe Mohnblum ou Julius Braun sont comme hébétés devant l'expérience inhumaine qui leur a été infligée. Ils ignorent souvent le sort de leur proche, et n'ont pour l'avenir que de vagues projets. Leur témoignage n'est pas passé, contrairement à ce qui sera le cas dans les projets ultérieurs, par le filtre de la réflexion ou des informations extérieures. Ils livrent leur expérience brute de la Shoah :
La rafle soudaine dans une rue de Berlin, l'enfant abandonnée à une voisine chrétienne, l'entreprise de déshumanisation du camp (Boder invente le terme de « déculturation »), les flammes du crématoire de Birkenau dans le ciel d'Auschwitz, les ruses au moment de la sélection, les larmes du GI qui les a libérés.
Dans Plaidoyer pour les morts, Elie Wiesel s'en prend aux ouvrages historiques sur l'Holocauste, qui interrogent sans pudeur jusqu'aux morts eux-mêmes : « Alors, comment c'était ? Qu'avez-vous ressenti lorsque, à Minsk et à Kiev et à Kolomea, la terre, en s'ouvrant devant vos yeux, engloutissait vos fils et vos prières ? [...] Racontez, parlez, nous tenons à savoir. » Boder, comme il le répétait sans cesse, n'a pas interrogé les morts. Il a recueilli, avec un infini respect, le récit de vies disloquées par la catastrophe, mais encore vibrantes. Elles forment le plus puissant des témoignages sur la Shoah et des hymnes à la vie.