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Isabelle Sauvage
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Il y a une famille, ordinaire : inscrite dans son époque, avec ses habitudes, ses qu'en-dira-t-on, son entre-soi ennuyeux. Chacun à sa place. La figure centrale est le père, et pourtant si peu là ; chacun s'appréhende en fonction de lui, sauf le « dernier » (le narrateur), décalé, hostile.
Le suicide du père vient ébranler la distribution des charges et démentir les certitudes. Le « on ne dit rien à personne » s'entrouvre : refoulés pendant des années, les souvenirs de l'« enfantprêté » refont surface. Les flous qui perduraient, déplacés sur le père et faisant de lui « un monstre », s'élucident.
C'est avec une écriture boitillante, un récit désarticulé aux conjugaisons mélangées que l'auteur sature la fracture, puis la « concorde » possible entre père et fils, mais du côté d'une balafre commune : « je / tu / fondus / Nos démolis » - dans l'ambivalence de la honte et de la culpabilité partagées. -
Je rêve que je vis ? liberée de Bergen-Belsen
Ceija Stojka
- Isabelle Sauvage
- 1 Mars 2016
- 9782917751664
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Aïeule sauvage est la confrontation décapante entre une vieille femme de 92 ans, Marcelle, en maison de retraite, et Anne-Rock, la quarantaine, aide-soignante, aussi décalées l'une que l'autre, aussi lucides et rebelles. Rencontre inattendue, entre jeunesse et vieillesse, entre un corps plein et désirable et un autre effondré, dans le tutoiement de la mort de part et d'autre. Les deux femmes interviennent tour à tour, le plus souvent dans un dialogue intérieur, chacune vivant dans son monde tout en observant l'autre. Par ce jeu de passerelles et d'échos, une réalité se reconstitue. Se dessinent ainsi, sans fard, les lieux et les êtres qui les habitent.
Derrière la folle liberté qui se dégage de ces deux portraits, c'est « ce grand rien des jours » que Fleur Cormier livre à petites touches d'humour féroce, mais avec beaucoup de tendresse et d'humanité, qui sont peut-être le vrai gage d'évasion offert à ces deux femmes. -
Le nom d'un fou s'écrit partout
Sandrine Bourguignon
- Isabelle Sauvage
- Singuliers Pluriel
- 20 Octobre 2021
- 9782490385232
C'est le corps-à-corps obstiné avec les mots et les images de Fernand Deligny (1913-1996), éducateur hors du commun, cinéaste, écrivain et poète, qui est au coeur de cette biographie romancée. Deligny s'est acharné à « creuser dans la langue » pour y « chercher l'interstice », à ramasser les « petits copeaux de langage » qui tombent parfois du silence des autistes ou autres adolescents jugés incurables par les institutions - plutôt que leur apprendre à parler, apprendre à se taire soi-même, les écouter, les regarder. Et les dessins, les feuilles volantes, les images filmées, les gestes, les silences, beaucoup de silences, et puis les fameuses « lignes d'erre » qui retracent le trajet des enfants dans les aires de séjour qu'il a inventées pour eux dans les Cévennes. Car au-delà, il est aussi et avant tout question d'interroger « l'homme-que-nous-sommes », et de créer ainsi de nouvelles façons d'être au monde.
Sandrine Bourguignon s'empare du sujet à bras-le-corps. C'est une adresse à Deligny, une longue lettre en quatre parties, une biographie en miettes, et exhaustive. Qui épouse ses convictions au plus près, se faisant elle-même « le scribe d'un langage qui n'existe pas », et peut-être d'autant plus qu'elle s'autorise, ici, à imaginer, à intervenir quelques fois, mais sans jamais forcer les portes.
« Vous comparez l'écrivain à un alpiniste qui s'encorderait au lecteur. [...] Alors je tourne les pages une à une. / Et nous voilà désormais encordés. » -
Dans le contexte actuel d'un monde rétréci, d'un repliement aussi bien politique qu'intime, Marie Audran s'interroge ici sur la nécessité de « fracasser le réel », à la recherche d'un geste vrai de réappropriation de soi. Proposant de « s'inadapter », de garder les « yeux grands ouverts » pour rencontrer « d'autres yeux grands ouverts ». De voir à perdre la vue, de laisser advenir le vertige du voir et du vouloir.
S'approchant de l'expérience des mystiques, qui n'a jamais été admise que sous couvert de « l'idée chrétienne de la hauteur, de la pureté, de la séparation d'avec la chair », cherchant à lire « en deçà et au-delà du sens » que l'on s'autorise et qu'on nous autorise, à voir et toucher ce qui est juste « là », « dans l'oeil » et « entre les bras », toutes images inscrites dans le corps, tous sens confondus, c'est une appréhension charnelle, sensuelle - désirante - du monde qu'elle propose de mettre en jeu.
Ce récit semble avancer au fur et à mesure qu'il s'écrit, à partir de la scène inaugurale d'une rencontre cryptique qui se compose, se recompose, se dévoile peu à peu. Faite de réminiscences, de digressions littéraires ou artistiques, l'écriture dit cette quête d'un autre savoir, intuitif, d'une forme d'immanence qui laisse toute sa place à l'encore inconnu, l'insu - à la vie vivante, contre la pétrification du savoir et de la norme. -
Nous vivons cachés : récits d'une Romni à travers le siècle
Ceija Stojka
- Isabelle Sauvage
- Chaos
- 20 Février 2018
- 9782917751923
Suivi de deux entretiens et un essai par Karin Berger Traduit de l'allemand (Autriche) par Sabine Macher Paru en Autriche en 2013, pour les quatre-vingts ans de son auteure, ce volume rassemble les récits écrits par Ceija Stojka et originellement publiés en 1988 et 1992, revus et enrichis par Karin Berger (documentariste qui a accompagné Ceija Stojka tout au long de son travail de mémoire) de deux entretiens menés avec Ceija en 1987 et 1992 et d'un témoignage sur l'importance de cette rencontre.
Tout au long de ces pages, Ceija Stojka, revenant sur sa vie entière, se souvient, avec une fraîcheur et une précision saisissantes. Présent et passé ne cessent de se télescoper, tantôt portés par la fillette tantôt par l'adulte, naïveté et lucidité mêlées - une voix éminemment libre et singulière, que la traduction de Sabine Macher rend avec une grande justesse de ton. Loin de n'évoquer que la douleur et l'âpreté du passé, elle est portée, et nous porte avec elle, par un amour inconditionnel de la vie. Comme l'a noté Der Spiegel à la sortie du livre en Autriche, Ceija, « sans sentimentalisme, imperturbable et terriblement juste », est « une femme fière, et forte ; ses livres s'érigent contre l'oppression et le silence ». -
Alors qu'elle est exposée à une « panne d'écrire », un rêve s'impose à l'autrice, dans lequel quelque chose s'énonce sans se dire. Elle se laisse entraîner par les images oniriques gravitant autour de Marie Depussé, son amie disparue, et les déplie au fil du livre : le silence, la solitude, le soleil, le rouge à lèvres, une voiture blanche...
Angela Lugrin vagabonde dans cette arborescence d'images et y découvre peu à peu les linéaments de son désir d'écrire. À la confluence des « chemins d'errance » que le rêve autorise, se dessine progressivement un lieu depuis lequel écrire est possible. Dans ce lieu, la réalité tremble, les équilibres sont fragiles et les murs sans cesse à repousser pour maintenir le vivant dans l'air vigoureux du dehors, dans un « état de veille et d'éveil », une conscience aiguë.
Le silence qui a précédé ce livre n'avait rien d'inquiétant, il ouvrait la voie à l'acceptation d'un « je » fragmenté à la manière des visions magiques et sans cesse renouvelées des kaléidoscopes, un « je » énigmatique, pétri de tout ce qui l'entoure, depuis la moindre des choses jusqu'au soleil lui-même, ouvert à l'incandescence de toute vie. Un « je » qui n'a plus peur, enfin, de rester là. -
C'est une oeuvre totalement habitée que Christiane Veschambre signe ici en s'attelant à l'écriture, sa pratique, au point de faire de l'acte d'écrire un caractère : Écrire, un sujet à l'existence propre, un organisme vivant. Au long de textes d'une page la plupart du temps, on suit un être physiquement présent aux côtés de l'auteure, qui, enfant buté et sauvage, à l'image de l'Ernesto de Duras, « ne veut pas travailler », « aime ce qui surgit », « veut un certain sommeil », « tout à coup ne veut plus », « n'apprend rien », « parfois fait le mort », bref, « n'aime pas composer ».... Portrait d'Écrire, donc, d'une intransigeance extrême, qui ne cesse de travailler l'écrivant, de l'entraîner loin de la posture de « quelqu'un-qui-écrit », hors de tout confort. Christiane Veschambre rend ainsi avec justesse « l'accès de vie » la traversant par l'écriture, ce qui « passe » par elle pour la « déloger » de son moi, comme le grondement en elle de la basse langue (titre de son précédent livre), cette langue « souterraine », étrangère à toute légitimité extérieure, et par là impérative et fondamentale.
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En avril 2014 devant les caméras du monde entier, 250 lycéens périssaient lors du naufrage du ferry le Sewol au large de la Corée du Sud. Les autorités coréennes devaient rester étrangement impassibles face à ce qu'elles ont appelé un simple incident maritime, tout en affirmant aux familles des lycéens le contraire, que les secours étaient en place, que les passagers étaient saufs... Enquêtes, condamnations, démissions ou suicides, la société coréenne en son entier fut dévastée par le naufrage.
Si Danielle Lambert revient sur cet événement tragique, c'est en axant son récit sur le déni des autorités et la séculaire obéissance confucianiste (on a d'abord demandé aux lycéens de ne pas quitter leur cabine : aussi, ceux qui ont survécu sont-ils ceux qui ont désobéi) ; sur cette vérité noyée, disparue dans les profondeurs « d'un insondable inconscient marin ».
Surtout, c'est en établissant un parallèle avec le naufrage familial qui devait suivre la mort tragique du frère, en une interrogation sur l'effraction de l'événement qui submerge tout ; au-delà, sur le risque que la vérité ferait courir, et les raisons qui font que « rien n'est dit », « rien ne se passe », aussi bien pour le Sewol qui « emporte en silence les passagers » que pour la famille, « impassible une nuit opaque, noire ».
Ainsi, Danielle Lambert, en une quarantaine de petits chapitres alternant l'« enquête » du Sewol et l'histoire familiale, les mêlant parfois, dit la déréliction, l'indifférence assassines, pendant lesquelles s'écoule le golden time, ce moment où l'on peut encore agir. Dit la « remontée lourde, accouchement inversé qui consiste à rendre le défunt aux siens à défaut de lui rendre la vie ». Dans ce récit pudique mais accablant, à l'écriture tenue, serrée, allant à l'essentiel, où l'émotion est gardée sur le fil, résonnent ces paroles, plusieurs fois répétées : « Il y a quelqu'un, ici ? » pour dire la douleur de l'absence, des vivants comme des morts. -
La première nuit est toujours blanche
Anne Desplantez
- Isabelle Sauvage
- 11 Septembre 2021
- 9782490385249
Invitée en résidence à Plounéour-Ménez à l'été 2020, Anne Desplantez, dont le travail n'est qu'échange, est allée vers les habitants des monts d'Arrée, carnets, appareil photo et dictaphone en main, ne s'imposant jamais et suscitant la confiance, permettant ce qu'elle aime appeler de la création partagée, chacun participant à sa façon, donnant ce qui lui semble important, un souvenir, une image, une voix.
Ici c'est la force de la nature renvoyant à la fragilité humaine qu'elle a reconnue, et les liens invisibles qui unissent les uns aux autres. « Je recherche les tensions qui nous font sentir que l'équilibre que nous trouvons pour vivre ensemble est fragile, incertain mais précieux. » Et ce qu'elle sent ici, c'est ce qui précède peut-être cet équilibre, quelque chose de l'ordre de la bascule, un choix ou une décision, un geste, un acte volontaire ou juste évident, ou encore quelque chose d'indicible, plus diffus, mais qui fait l'histoire de chacun. Qui commencerait par une nuit blanche, parce que quelque chose a lieu, là, de profond et déterminant, absolu même si familier.
Entre photographies et « confidences » des uns et des autres, adolescents, couples, exilés, femmes et hommes de tous horizons, de toutes générations, des histoires intimes sont révélées, et aussitôt suspendues : on n'en saura pas plus que quelques bribes, juste assez pour sentir ces basculements plus ou moins francs, douloureux ou heureux, un déménagement subit, un soir d'été entre deux âges, une nuit, un jour... Des allers-retours se créent entre les pages, par les mots et par les images, un arbre penché dans la lande, des volets aux fenêtres... Il y a des visages, des corps dont la banalité ou la posture interroge. Des enlacements, beaucoup de tendresse. Des routes, des arbres, des maisons, quelques bêtes, des ciels, des ombres, un clocher, de l'eau, un trampoline, une robe de mariée. La voix de la photographe se mêle aux paroles retranscrites, à même hauteur - quelquefois on ne sait pas trop qui parle, quelquefois on ne sait pas trop d'où vient telle photo, tel détail, tel angle de vue.
À mi-chemin entre mise en scène et documentaire, c'est à une exploration en forme de fiction à laquelle nous convie Anne Desplantez, une fiction ordinaire, du vivant. -
Une enfant apparaît au seuil d'une pièce où se tient une femme. Elle reste à la lisière de cet « autre monde ». « D'où viens-tu » est la première phrase du texte, question que la femme pose à l'enfant. Un échange commence entre elles, oscillant entre le monologue intérieur et le dialogue. Les voix alternent et se répondent, chaque fois ponctuées de « dit la femme », « dit l'enfant ».
La femme parle parfois au futur : elle sait, mais pas l'enfant. Si la femme reconnaît l'enfant (« Tu es mon intime autant que mon étrangère »), a peur de l'effrayer, si l'enfant hésite à franchir le seuil de l'inconnu, s'en protège en même temps qu'il l'attire, bientôt leurs deux mondes se révèlent davantage poreux. C'est que le temps n'est pas linéaire ici : présent, passé, futur se croisent, se superposent - comme les deux voix qui peu à peu n'en feront qu'une.
Sans doute Christiane Veschambre ne se sera-t-elle encore jamais autant livrée, bien que toujours tout en pudeur, sur les origines intimes de son écriture, se retournant sur ses chemins, ré-arpentant ses traverses, maintenant de toutes ses forces ce surgissement en elle, cette émotion jamais éteinte, « poing serré, resserré autour de la langue qui file alors comme la lanière du fouet lorsqu'elle est libérée ». -
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Frédérique Germanaud livre ici le récit-journal de sa rencontre avec le fascinant MoMo BasTa, grand brûlé dans son enfance, « lapin écorché » devenu artiste performeur évoluant notamment au sein de squats et collectifs d'artistes tels que l'Art-Cloche.
Marqué à vie suite à un accident domestique resté trouble, MoMo, « gueule cassée au verbe haut », cherche aujourd'hui quelqu'un qui recueillera son histoire. C'est d'abord un refus, presque un rejet, que Frédérique Germanaud oppose à cette entreprise. C'était sans compter sur la force du sujet, « chimère » au « visage illisible » qui travaille clandestinement dans son esprit et finit par s'imposer. Au fur et à mesure de ses recherches, l'autrice s'attache à celui qui, sans jamais se poser en victime, « a retourné sa peau deux fois : brûlé puis exposé », et tente de comprendre ce qui la lie à cet homme.
Pacte ambivalent parsemé de doutes, MoMo BasTa interroge l'écriture et le récit de soi, mettant en scène un double « je », biographique et autobiographique, l'un et l'autre marqués par la douleur, l'âpreté à vivre et la solitude. -
Le domaine du Grand Dhuy, l'étang de la Fermière ou la douane de la Gruerie sont lieux écartés, isolés. D'entrée, les noms résonnent et le décor est planté pour dire un pays, les Ardennes, un écart à la frontière de la France et de la Belgique. Mais, des écarts, de langage, de conduite, de jeunesse, des déplacements, des pertes, le texte en dira d'autres.
Dans ce récit en trois parties où l'on retrouve la narratrice à trois périodes de sa vie, fillette, adolescente puis femme mûre (à son troisième cheval, pour reprendre la belle expression d'Erri De Luca que l'auteure avait déjà empruntée dans son livre précédent, Rouilles), c'est l'histoire, la grande et la petite, qui se déroule, les possibles et les impossibles d'une enfance qui prend fin soudain, et sur laquelle on s'arrête, se retourne ; les émois plus ou moins dérisoires mais fondateurs et les « événements d'Algérie » dévastateurs, le dictionnaire, les pères, minuscule et majuscule, pour tenter de comprendre ou définitivement rejeter. Tissage de « l'oeuvre au noir » du temps qui passe, voix fanées qui se ravivent et rendent parallèlement tout l'écart creusé, toute l'étrangeté devenue des noms, des lieux, des arbres et de l'enfance. -
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Françoise Louise Demorgny, comme dans Rouilles et Un écart, ses précédents livres, retrouve les Ardennes, ce pays d'enfance qui la « tourmente fidèlement » et ses « voix urgentes » qui « montent des marges de l'oubli ». Se dessine peu à peu la figure de la mystérieuse tante Pierrette, placée chez les Filles du Coeur miséricordieux de Marie où naîtra Roland, l'enfant illégitime.
Si les pointillés du titre sont bien sûr ceux de la frontière entre la France et la Belgique, figure centrale du récit, « lieu de tous les possibles », ils sont également ces lignes entières que Rimbaud sème sur ses manuscrits et qui restituent « un geste, un élan, une rage » et disent « des choses entre les lignes ».
Une suite émouvante de courts textes formant récit, chaque fois précédés des mots des poètes pour tresser une guirlande à toutes ces ombres, iriser leurs pauvres histoires. Comme dans ce jeu d'enfant où une fois tracée une ligne le long des pointillés apparaît un dessin. Ici, un portrait en creux destiné à réunir enfin Pierrette et Roland dans son « exil ». -
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Entre Montreuil, Croix-de-Chavaux, et Paris, boulevard Saint-Marcel, gravitent les personnages qui entourent la petite fille, alias l'oiseau : Nora, Aïsha, Nounou, tonton Georges, tata Mireille, le Loume... et Mer. Tous ces « ploucs », qui parlent fort et font parfois voler les assiettes, évoluent dans le décor typique des années 1970 : la cité, le bac à sable, le bar-tabac PMU, les gitanes maïs, les meubles en formica, le mange-disque orange, la grenadine, les chansons populaires... Dans ce récit construit comme un palindrome, Nadia Porcar restitue avec force et humour les traces vives d'une époque et tous les moments de vie qui fabriquent une enfance. Et si les « mots n'ont pas l'air de se rendre compte du sens qu'ils véhiculent », on devine, entre les lignes, puis révélé au centre du récit, le drame vécu par cette petite fille. Mais il y a la vie, les mots, les livres, les oiseaux... et les papillons.
Née en 1962, Nadia Porcar, outre des ouvrages jeunesse, a publié Tatami Pop (Pierre Mainard, 2004) et a participé à deux ouvrages écrits par trois auteures réunies sous le pseudonyme d'Elena Janvier : Au Japon ceux qui s'aiment ne disent pas je t'aime et Ce que tout le monde sait et que je ne sais pas (Arléa, 2011 et 2013). -
« Bien chères soeurs, » : si l'adresse de cette Lettre d'un frère à ses soeurs (moins une) sonne comme une prière, l'incipit résonne comme un coup de poing : « La soeur deuze est bien morte. » À la suite de l'incinération de sa soeur, le temps d'une journée entamée au petit matin sous le signe de l'alcool, un frère, unique garçon de la fratrie, prend la parole et déverse dans un flot de mots hostiles et triviaux la violence des liens familiaux, un amour pour le moins ambigu transformé en devoir d'aimer. Ne s'excluant pas de la folie de ce cercle familial fait de clôtures, véritable zone d'enfermement, c'est un homme obsédé par sa propre déchéance et au bord du gouffre qui se livre, chargé de cette « besogne d'être pour vous jusqu'après ma vie votre frère ».
D'une écriture nerveuse et incisive, puissante et terriblement imagée, Claire Le Cam fait entendre la voix comme infestée du frère, sa parole « objectivement insupportable et tragique », et dépeint ainsi sans filtre une famille engluée, déboîtée. -
« Le mot "infractus", ce mot des pauvres, des illettrés, des apeurés, je veux qu'il soit un mot puissant et vigoureux comme un chevalier, désignant le sentiment d'être brisé du dedans, d'être vaporeux et en lambeaux, sans base distincte. » Ce mot qui surgit à l'annonce de l'infarctus de son frère, Angela Lugrin s'en empare comme d'un « lieu-caverne » sur les parois duquel se profile l'ombre de leur lien de frère et soeur.
Si son frère se méfie des mots, Angela Lugrin sent au contraire qu'en ce moment de fracas elle doit de toute urgence écrire, faire battre le coeur de leur « amour indéfectible », pulser leur « langue commune » et réanimer... les vacances, les voyages, les fous rires, les parents, leur groupe punk, leur tendresse pour les bas-côtés et ceux qui y trouvent refuge. Ce recours à l'écriture est bercé par les livres témoins, par les mots de Racine, Duras, Quignard, Rousseau ou Bonnefoy qui, l'auteure le sait, portent et tiennent debout celui qui chancelle.
Angela Lugrin nous fait entendre ici une nouvelle fois la puissance de l'écriture et de la littérature qui savent, parfois, border l'innommable quand il fait effraction dans notre réalité quotidienne. -
Après avoir trouvé dans la poubelle du vieil About, son père, une enveloppe déchirée et vide ne comportant que ces quelques mots : trouvé après perte de la perte de tout d, la narratrice entreprend son récit et s'accroche à ce d qui défait.
Et ce qui se défait, là-bas, à Péricourt, c'est la figure du père, son corps, sa mémoire et sa dignité... devant ses cinq enfants, inquiets et désemparés.
Avec un humour caustique, Nathalie de Courson nous présente cette fratrie soudée, dans laquelle chacun/chacune joue un rôle différent : Primus, Triolette, Quartette, Quintette et Benjamin. À coup de plannings colorés, tous se relaient auprès du père pour assurer les tours de garde et se débrouillent comme ils peuvent pour ne pas le haïr.
Les réticences envers le vieil About - de la pitié à l'exaspération - sont variables selon l'histoire de chacun, mais tous ont du mal à assumer cette lignée d'hommes depuis des siècles pris dans l'Histoire, une vieille famille française, une dynastie de militaires et de diplomates, où même les adultères ont un air légitime.
Dans une alternance de passages narratifs et de dialogues par mails interposés, ce récit de filiation porte sur l'étrangeté des origines, la difficulté d'hériter et de se frayer un chemin de vérité avec toutes ces voix qui parlent autour et à l'intérieur de soi.