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La Montée du nazisme réunit neuf textes que Joseph Roth a écrits entre 1924 et 1939 pour des journaux allemands (Der Drache, Das Neue Tage-Buchs, Pariser Tageblatt) parmi ceux, nombreux, auxquels il a collaboré jusqu'à sa mort. Car le grand romancier autrichien était aussi un grand journaliste.
Dès les années Vingt, Roth fut attentif aux signes d'un bouleversement en marche dans la mentalité du peuple allemand. Ce dernier était gagné comme sous l'effet d'une infection proliférante par le nationalisme. Roth le dénonça au moyen d'une très fine observation du changement des moeurs et dans un style ironique souvent caustique. Quelques exemples : il s'intéresse au vote des femmes nationalistes dont il fustige la bêtise autant que la laideur. Roth s'inquiète également du comportement brutal d'une horde de «?nationaux?» en goguette le jour de Pâques, la matraque à la main, onanistes autant qu'antisémites. C'est dire ! Il dénonce aussi le meurtre par un brigadier de police de deux des trois ouvriers sur lesquels il a tiré parce qu'ils chantaient un lied écrit par l'écrivain juif Heinrich Heine, et non un chant patriotique.
Après avoir annoncé la mort de la littérature allemande devenue, avec le nazisme et sur le modèle soviétique, exclusivement officielle?; après avoir dénoncé la mascarade wagnérienne qui masqua théâtralement l'hitlérisme et par laquelle le snobisme européen s'est laissé séduire?; après avoir évoqué le chêne de Goethe à Buchenwald, seul arbre de la forêt auquel on n'a pas pendu les déportés, Roth s'intéresse, dans la deuxième partie du livre, à la Chanson des Niebelungen, récit mythologique auquel s'est abreuvé le national-socialisme. Y sont glorifiés sournoiserie, trahison, perfidie et assassinat. Joseph Roth en relate les grandes lignes puis en dénonce, avec Goethe, le fondamental et radical paganisme. Comment l'Autrichien Roth aurait-il pu faire d'un pays se réclamant de telles valeurs, sa patrie?? En 1933, il s'exila à Paris où il mourut avant la déclaration de la Seconde Guerre mondiale. -
L'humain étranger au monde : écrits d'anthropologie philosophique
Günther Anders
- Fario
- 17 Novembre 2023
- 9791091902892
Si l'un des gestes les plus significatifs de Günther Anders fut d'accepter de sortir du langage technique de la philosophie académique en raison de l'urgence qu'il y avait à penser et à intervenir devant la destruction à l'oeuvre dans le siècle, on aurait tort d'oublier que sa conception de l'obsolescence de l'homme repose d'abord sur une tentative de discernement de ce qu'est cet humain qui n'a plus cours.
Le présent volume se présente donc comme prolégomènes et socle de ce qui deviendra la critique impitoyable de son époque, qui est aussi la nôtre.
L'anthropologie philosophique dont il est question ici, dans le sillage de Max Scheler et de Helmut Plessner est une façon d'échapper à l'analytique existentiale de Heidegger. À la différence de l'animal, immergé dans un monde qui lui est donné comme un matériau a priori, l'homme, d'abord sans monde, « libre de monde », n'accède à un monde qu'après coup, en devenant homo faber et en construisant a posteriori le monde qui lui manque.
Absolument libre, cet homme fait en même temps l'expérience d'une absence irréductible de liberté. S'il peut disposer librement de son moi, le fait d'être ce moi le dépasse. Il est irrévocablement lui-même et personne d'autre, mais cette existence en tant que moi est en même temps hautement contingente. D'où un problème d'identification avec soi.
Chez l'athée qu'est Günther Anders, l'homme ne se sauve pas de ces tentatives d'identification ratées par un saut dans la foi, à la manière de Kierkegaard, mais par un saut dans l'action. Penser l'homme comme étranger au monde, comme a posteriori, l'oblige à envisager la relation a priori du vivant au monde et à thématiser un « a priori matérial » qu'il explore à travers des objets comme l'instinct, le besoin, la veille et le sommeil.
Mais le parcours d'Anders ne s'arrêtera pas là, puisqu'il insiste finalement sur les limites d'une telle anthropologie, et remet en cause l'anthropocentrisme dont elle peut procéder. Il ne peut que constater la tension voire la dimension « schizophrénique » dont sera marqué sa pensée, entre une distance envers l' anthropocentrisme et son intérêt fervent pour une humanité parvenue au stade de la survie. -
L'obsolescence de l'homme Tome 2 : sur la destruction de la vie à l'époque de la troisième révolution industrielle
Günther Anders
- Fario
- 7 Mars 2012
- 9782953625820
Découvrez L'obsolescence de l'homme - Tome 2, Sur la destruction de la vie à l'époque de la troisième révolution industrielle, le livre de Günther Anders. "Il ne suffit pas de changer le monde. Nous le changeons de toute façon. Il change même considérablement sans notre intervention. Nous devons aussi interpréter ce changement pour pouvoir le changer à son tour. Afin que le monde ne continue pas ainsi à changer sans nous. Et que nous ne nous retrouvions pas à la fin dans un monde sans hommes." C.A.
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Le bois du chapitre : Verdun 1914-1918
Pierre Bergounioux
- Fario
- Theodore Balmoral
- 3 Février 2023
- 9791091902922
Le titre, amphibologique, dit tout. Précisons cependant que la scène a lieu, d'abord, dans les années soixante, à Brive-la-Gaillarde, devant le monument aux morts élevé, place Thiers, à la mémoire des soldats tombés pour la Patrie durant la Première Guerre mondiale. C'est là que se tiennent les cérémonies auxquelles l'enfant assiste, sans réaliser « ce qu'ils furent », tandis que les héros, un à un, disparaissent. Le jeune lecteur ouvre pourtant à la bibliothèque municipale les livres sur l'époque afin d'en apprendre davantage sur les circonstances et les modalités du désastre, pour trouver des explications sur ce qui a eu lieu, la présence des estropiés dont le nombre impressionne. Mais c'est l'incompréhension qui s'impose. Manquent aux livres noyés de gris « le relief, les détails, les finesses ». Et puis l'enfant, tout au présent, est trop jeune quand la réalité se dresse enfin devant lui : l'échelle réduite des reproductions qui est censée la représenter mais, en partie, la trahit.
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Un théâtre de l'être : L'aventure du psychodrame
Bernard Touati
- Fario
- Le Silence Des Sirenes
- 15 Janvier 2025
- 9782385730291
Qu'en serait-il de l'inconscient sans les mots ? Telle est la question que ce livre singulier permet d'aborder. Depuis plusieurs décennies, Bernard Touati travaille avec des enfants et des adolescents dont la pathologie est variable mais qui tous parlent peu, ne parlent pas, ou parlent autrement. Et pourtant, mettant à profit la technique du psychodrame psychanalytique, il parvient à établir avec eux un lien particulier qui leur permet de déployer la profondeur psychique de leur histoire. Avec ou sans mots. Car s'il y a les mots, il n'y a pas que les mots.
C'est de cette aventure qu'il s'agit dans ce livre ; comme des ébranlements qu'elle provoque dans nos opinions et convictions sur l'inconscient et sa relation au discours. Le psychodrame incite en effet à voir l'inconscient déployé comme un jeu, un échange, des fulgurances inattendues qui initient des partages et des méandres imprévus. Il incite aussi à un regard différent sur la présence des corps et la suspension de la motricité dans l'analyse classique.
La clinique dont il est question ici est exceptionnelle à bien des égards. Elle concerne des patients affectés de pathologies extrêmes, supposés peu enclins au jeu. Mais au fil des scènes, ce que cette pratique hors du commun révèle, c'est que traumatismes et douleurs, qui ne sauraient s'exprimer dans le seul champ du langage et de la verbalisation, affectent tout l'être, corps et âme, et demeurent, quel qu'en soit le caractère violent ou insolite, toujours ouverts au partage d'une expérience humaine. -
Hannah Arendt et Anders ont été brièvement mariés avant que de se séparer dans l'exil et les cheminements intellectuels distincts, séparés. Mais il semblait jusqu'ici que ces chemins ne s'étaient plus jamais croisés, et qu'une distance s'était instaurée. Ce livre, paru l'année dernière en Allemagne, constitue de ce certain point de vue une révélation : tout au long de plusieurs décennies, de 1933 à 1975 l'un et l'autre n'ont jamais cessé de s'écrire, d'évaluer mutuellement leurs avancées ou leurs difficultés à être, à écrire, à penser, et dans l'épreuve, de se soutenir.
Cette correspondance s'étend sur deux périodes distinctes :
1939-1941 : années d'exil avec des lettres d'Arendt depuis le Sud de la France puis les Etats-Unis, témoignant de son errance avant de pouvoir embarquer, via le Portugal, vers New-York, puis de son installation dans cette ville avec son mari et sa mère, de la reprise de l'écriture pour l'un et l'autre, des multiples engagements et démarches pour sauver ou accueillir les proches fuyant le nazisme.
1955-1975 : années du retour en Europe pour Anders et de l'installation définitive aux États-Unis pour Arendt, les derniers échanges se poursuivant jusqu'à la mort de celle-ci en décembre 1975. L'un des fils rouges de ces lettres est la question des retrouvailles impossibles : maints plans pour se retrouver dans une ville européenne à l'occasion d'une conférence ou d'un voyage sont ainsi échafaudés et finalement échouent. Mais l'un et l'autre demeurent très attentifs à leurs travaux et livres respectifs et les lettres laissent entrevoir des échanges téléphoniques. Hannah Arendt meurt avant que le projet de rencontre puisse aboutir, cette « impossible rencontre » venant peut-être métaphoriser l'écart maintenu de part et d'autre, au delà d'une reconnaissance mutuelle et d'une sorte de familière et évidente disputatio entre leurs oeuvres.
Ce volume contient également des textes écrits en commun ou que l'on pourrait dire «croisés» :
Un texte sur les Élégies de Duino de Rilke signé conjointement; deux textes écrits séparément mais simultanément et en écho l'un à l'autre sur un ouvrage de Karl Mannheim, Idéologie et Utopie, ainsi que deux poèmes sur Walter Benjamin.
Après un robuste appareil de notes qui constitue une source d'informations très riche sur le milieu des émigrés allemands ou les cercles intellectuels proches des deux correspondants, l'ouvrage est conclu par une remarquable étude de Kerstin Putz.
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Ce volume est constitué de textes, réunis par Anders en 1984, portant sur l'art et la littérature. Ce sont des textes de différentes époques (le plus ancien, l'étude consacrée à Berlin Alexanderplatz, date de 1931, le plus récent, une étude des 87 paraboles de Brecht regroupées sous le titre Les Histoires de Monsieur Keuner, date de 1979) mais renvoyant tous à des écrivains et artistes représentant une certaine modernité littéraire et artistique. Cette modernité, Anders ne se contente pas de souligner les ruptures formelles qui la caractérisent. Ces oeuvres ne sont pas pour lui des objets contingents. L'étude consacrée à Berlin Alexanderplatz est autant une contribution à l'anthropologie philosophique qu'une étude littéraire et contient déjà des éléments du premier tome de L'Obsolescence de l'homme ; l'étude consacrée aux paraboles de Brecht - sur lesquelles s'était déjà penché Walter Benjamin - est menée par le fabuliste auquel on doit tant de « paraboles » molussiennes.
Que l'homme soit « sans monde » renvoie pour Anders à plusieurs niveaux d'approche : les « Hommes sans monde » sont d'une part les pauvres, les précaires et les chômeurs dans la société capitaliste, mais ce sont aussi tous les hommes en tant que par essence, ils sont « non fixés» et devant « à chaque époque, en chaque lieu, voire jour après jour » se donner un monde. La perspective historique de cette anthropologie philosophique, dont Anders rappelle ce qu'elle doit à Marx et en quoi elle s'inscrit en faux contre l'être-au-monde heideggérien, donne son style singulier à la critique andersienne et s'inscrit dans le sillage des travaux de Max Scheler et Helmuth Plessner. Enfin, la problématique de l'Homme sans monde prend un nouveau sens à l'époque du multiculturalisme, où intériorisant tant de mondes différents, l'homme n'a finalement plus de monde propre.
À une introduction succèdent cinq «chapitres» regroupant des études consacrées à trois écrivains (Alfred Döblin, Bertolt Brecht et Hermann Broch) et deux artistes (John Heartfield et Georg Grosz). À l'exception de Heartfield, Anders a connu ces écrivains et artistes ou au moins échangé avec eux.
Günther
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Le surmoi culturel : aux sources de la violence collective
Gilbert Diatkine
- Fario
- Le Silence Des Sirenes
- 7 Avril 2023
- 9791091902915
Comment comprendre ce paradoxe : la société qui contraint chacun de nous à restreindre ses appétits et à endiguer ses mouvements pulsionnels - tant ceux qui le portent à aimer que ceux qui le portent à détruire - s'avère si régulièrement fauteuse d'insondable destructivité ? Dans ce livre, l'auteur porte la réflexion aussi bien sur les affrontements entre Serbes et Croates et le rôle que peut y jouer le « narcissisme des petites différences », que sur la trajectoire singulière d'antisémites un temps saisis par le délire. Il interroge aussi son expérience de superviseur pour comprendre l'enjeu des cures menées auprès de victimes directes d'affrontement fratricides. Il souligne les ravages que les dénis sociaux qui suivent les guerres parviennent à causer dans le psychisme des descendants. En parallèle de ces réflexions il suit la pensée de Freud sur les mouvements des foules et des groupes, analyse la lente genèse de concepts majeurs comme ceux de « meurtre du père de la horde » ou de repas totémique et l'incidence des dialogues souvent conflictuels avec Jung sur le poids des mythes universels ou avec Adler sur la place qui revient à la destructivité.
Cet ouvrage, qui rassemble des études menées depuis de nombreuses années, a pour point de départ la réflexion clinique, mais il reprend l'histoire de la pensée freudienne sur le champ social pour finalement proposer une ressaisie analytique des effets de la destructivité qui sévit dans le monde que nous habitons.
Avec l'espoir d'y faire face. En analyste. -
Incertitudes en psychanalyse
Jean-yves Tamet
- Fario
- Le Silence Des Sirenes
- 3 Décembre 2021
- 9791091902809
Comme toujours dès qu'on décentre durablement l'humain de son apparente et naïve quiétude, dès qu'on sème le doute sur ses souvenirs et l'origine de ses passions, on le rend malade. Malade de la peste. Le dimanche 27 aout 1909, sur le pont du George Washington qui l'amenait à New-York, contemplant la découpe des gratte-ciels de Manhattan, Freud ne s'y était pas trompé. « Ils ne savent pas que nous leur apportons la peste... » avait-il confié pensivement à Ferenczi et Jung. La psychanalyse comme peste des certitudes. Vérité impossible à formuler en Europe ? Ironie d'un viennois ciblant la naïveté américaine ? En tout cas, la mesure de cette « peste » et la qualification de ses symptômes ne sont pas plus aisés aujourd'hui qu'en 1909. C'est pourtant cela que vise ce recueil.
Au demeurant, la véracité de la phrase citée fait débat. Elle ne figure ni dans les oeuvres de Freud, ni dans celles de Ferenczi ou de Jung. Pourtant, le 7 novembre 1955, à Vienne, lors d'une conférence prononcée sur le sens d'un "retour à Freud", Lacan affirme la tenir de Jung. Mais l'aurait-il finalement inventé pour propager, au nom de son fondateur, l'annonce des méfaits de la jeune science ? Comme pour le pangolin du XXIème siècle, un doute subsiste sur l'identité de l'agent infectieux.
Rendre à l'incertitude son bien, tel est donc l'enjeu. Mais encore faut-il pouvoir la défaire de l'irritation qu'engendre toute retenue, fût-elle celle du jugement. Séjourner « dans les incertitudes, les mystères et les doutes sans se laisser aller à la quête agacée de faits ou de raisons » exige une solide capacité négative. John Keats en faisait la source du génie de Shakespeare, et Bion en rappelle l'impérieuse nécessité dans l'exercice de l'analyse. C'est à ce prix que l'écoute s'affranchit de tout agrippement au savoir, qu'elle accueille l'angoisse et l'effondrement pour permettre, le moment venu, les salutaires mouvements de la curiosité.
Certes on pourra regretter que depuis plus d'un siècle "la jeune science" ait pris quelques rides et qu'elle puisse parfois s'essouffler sous le poids de trop généreux commentaires. Pourtant l'incertitude demeure l'ordinaire du psychanalyste. A condition, bien sûr qu'il accepte de suivre les chemins du scandaleux et de l'inouï en s'arrachant aux ornières du bien connu et du prédictible.
Comme on le verra, les textes ici assemblés partent souvent de "petits riens", rencontrés au fil du quotidien analytique. Dans la cure, dans l'échange entre collègues, en marge de lectures. Ils sont comme autant de pensées incidentes. Elles en disent souvent longs sur les vastes et complexes théories qui les sous-tendent et se sont constituées au cours d'un lent parcours. A l'écart de tout conformisme assuré, chaque auteur a voulu se laisser distraire par l'imprévu et l'incertain. Sans fausse pudeur. Sans naïveté ni complaisance non plus.
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À son retour d'exil, Günther Anders fait face à ce qu'il estime le plus urgent dans l'ordre des priorités : l'état du monde et la menace que représente la destructivité humaine sous les espèces de la technique et de l'atome. Mais s'il a renoncé à toute carrière universitaire, il n'en demeure pas moins tenté par les « démons de la philosophie ». Engagé dans son oeuvre d'anthropologie philosophique à l'ère technologique tout autant que dans son activité militante, il cherche néanmoins à leur faire place. À les tromper ; il leur destine des « feuilles volantes » : « Et à chaque fois qu'ils [les démons] regardent par-dessus notre épaule, il faut les prendre en notes. Alors ils deviennent supportables. Ils se laissent abuser par ces sténogrammes. » L'ouvrage, paru en 1965, se présente donc sous la forme d'un recueil d'aphorismes, ou sténogrammes, qui vont de la phrase à quelques pages, sans logique apparente dans leur classement et tous munis d'un titre. L'intérêt de l'ouvrage est d'être relativement facile d'approche, assez court, moins difficile que ses ouvrages théoriques, moins déroutant que ses autres textes littéraires.
Le génie d'Anders consiste à prélever dans son quotidien une scène, un détail apparemment anodin, pour le relier à un fait historique ou à une tendance lourde de l'évolution de la société. Le procédé rappelle par moment les aphorismes de Nietzsche, de Lichtenberg ou encore les moralistes français du dix-septième siècle.
Si le lecteur assidu de Anders reconnaît aisément certains de ses thèmes de prédilection et en quelque sorte y trouve leur confirmation sous une forme tantôt ludique tantôt ironique voire acerbe, pour le lecteur néophyte l'ouvrage est une introduction idéale à son oeuvre.
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Des indésirables : quatre manières de traiter un embarras
Jean-Michel Rey
- Fario
- Theodore Balmoral
- 21 Avril 2023
- 9791091902946
Sous le titre Des indésirables sont étudiées et confrontées des situations différentes mais présentant des points communs ou des analogies. C'est, d'abord, un détail de la législation de Vichy de 1940; l'«embarras», ici, ce sont les Juifs : il faut les faire tout simplement disparaître. Quelques mots paraissent suffire à cette opération. Il s'agit, ensuite, du rejet du protestantisme, au début du XIXe siècle, de la part de Joseph de Maistre avec son équivalent chez Novalis ; terrain propice au développement d'un certain théologico-politique «à la française». Le troisième chapitre évoque la réflexion d'Edgar Quinet (et, à sa suite, Simone Weil) sur la continuité entre les Grecs de l'époque classique et le christianisme ; le judaïsme est donc l'absent de la civilisation, les Grecs sont d'emblée déjà-chrétiens. Le dernier chapitre reprend une analyse de Péguy qui montre comment la pédagogie moderne réduit l'enfant pour le faire accéder à l'état adulte, le rendant proprement inexistant.
Dans ces quatre cas, c'est un objet indésirable qui est effectivement façonné, qui est désigné en tant qu'embarras. On croit donner ainsi toutes les raisons de le faire disparaître, et ce, définitivement. Ce sont là des façons de fabriquer du non-être pour pouvoir rapidement s'en défaire. Le paradoxe est, ici, que la haine s'en prend à des formes imaginaires qu'elle contribue à former continuellement. Quatre institutions sont évoquées par ce biais, en vue de cerner cette logique singulière d'exclusion et de destitution : l'État, l'Église, l'Histoire, l'Éducation.
Accommoder le temps et réduire la langue à quelques vocables ou à des mots d'ordre, ce sont, aux yeux de l'Institution, des manières de faire qui doivent permettre une éviction réussie de ce qui gêne foncièrement, voire une épuration rassurante, et qui fournissent, également, en quelques phrases, un surcroît de narcissisme à un « nous » fabriqué de toutes pièces. -
Libre cours : à l'épreuve de l'oisiveté
Marion Milner
- Fario
- Le Silence Des Sirenes
- 7 Juillet 2023
- 9791091902953
Par son originalité et la simplicité apparente de son style alerte Marion Milner occupe une place à part dans le panthéon de la pensée psychanalytique. Sa réflexion sur la créativité dans la séance comme à l'extérieur de ce cadre sont une source constante de renouvellement pour la réflexion. Sa perspective s'inscrit dans le sillon tracé par Winnicott : il s'agit pour elle de souligner les mouvements susceptibles de favoriser l'authenticité d'un sujet - en s'affranchissant de la pression que peuvent exercer sur lui ceux qu'il aime ou qu'il redoute. Dans ce livre, la réflexion emprunte le chemin de l'analyse des états d'âme qui accompagnent les variations du quotidien dans les situations les moins bien balisées. C'est ainsi que l'auteur est amenée à poser la question de la vacance : que faire de son temps libre ? Si l'on a des certitudes sur le monde, une telle interrogation disparait. Mais si l'on est moins affirmatif, plus conscient de l'identité des autres que de la sienne propre, le problème devient réel. Le risque de vivre par raccroc, à la remorque de l'autre, de ses désirs et de son bien être, s'accroit. En l'occurrence, malgré leur émancipation, la question reste cruciale pour bien des femmes. Faisant recours à une méthode tient de l'enquête, de la psychanalyse et de l'observation de soi, l'auteur, qui a mené constamment une double activité de peintre et de psychanalyste, s'efforce de recenser et d'analyser les mouvements intimes de la vie quotidienne pour parvenir à cerner ce qui nous rend créatif et peut arracher notre pensée aux ornières du conformisme, de la routine et de la complaisance. Pour y parvenir, Marion Milner part de l'analyse de son journal intime.
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La psychanalyse, son invention toujours requise, son partage, ont une chambre d'écho :
L'écriture. Elle est parfois le lieu privilégié des stéréotypies et du jargon mais heureusement aussi celui de l'ouverture, de la pure exploration par un auteur qui ne sait pas d'avance où cela va, qui découvre ce qu'il ne connaissait pas et ce faisant l'invente. Freud constatait que ses récits de cure pouvaient se lire comme des nouvelles ou des romans. C'est dans un tel sillage que s'inscrit ce petit livre qui s'adresse d'une façon si singulière à la psychanalyse, mais pas que.
Sa vertu première serait de ne rien vouloir démontrer, ou presque pas, mais de montrer, en acte, c'est-à-dire dans le mouvement d'une langue et d'une pensée qui se découvrent mutuellement, un processus analytique possible, vivant.
Les souvenirs de deux cures délicates, mystérieuses, forcément insatisfaisantes en sont le mobile apparent. S'y entretissent des lectures, des questionnements, des doutes, des éclairs.
On y croise Karl Kraus et Bartleby, Giandomenico Tiepolo et D.W. Winnicott. On essaie de deviner ce qui ne peut se voir, comme la scène d'un tableau, de comprendre de quelle sorte est cette indifférence qui protège du chaos, soude les foules, nourrit l'opinion et prépare les dictatures. Il y a des silences, on essaie de les entendre, de ne pas les faire parler trop haut.
C'est évidemment entre les lignes, comme on dit, que ça se passe. On tente de comprendre comment se forme un récit de cure, dans la rigueur et dans l'oubli, entre logique et hallucination :
« La clinique demeure curieusement inconnue : on ne saura jamais ce qui s'y passe en vérité. » Il y a bien un plan, discret, mais pas de fin, pas de conclusion solennelle, avec trompettes de la résolution, buccins de la guérison et tambours de la théorie. Il y a ces choses vagues, au milieu de quoi on retrouve un peu de tremblement, un peu d'incertitude, un peu de joie aussi - juste entre néant et chagrin -, ces choses vagues dont Paul Valéry disait que leur lieu est l'Esprit.
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On ne subsiste guère que de se confronter au monde et à sa propre histoire, mêlant souvenirs et méditations sans cesse renouvelées auxquelles contraignent la vie personnelle non moins que les développements parfois exténuants des sociétés où elle se tient. Dès lors, « y être, y être toujours », c'est bien dire, au-delà de toute lassitude, le refus d'accepter l'ordre nauséeux des choses. On n'hésiterait pas à nommer, ainsi que le réclamait André Breton, celles et ceux avec qui l'on partage, ou ne partage pas, l'élan charnel d'exister. Ce livre n'a d'autre objet. Il n'a d'autre nécessité, que l'exigence de se tenir ainsi à hauteur d'homme, de caresser, du coup, quelques espérances & quelques songes, au fil heureusement sinueux d'une prose qui se satisferait volontiers d'unir en un même souffle le réel et ce qui, en lui, demeure la trace de son imaginaire.
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L'apport remarquable de cet ouvrage tient également à un regroupement non chronologique du corpus freudien, remplacé par un classement thématique en quatre parties qui redessine les grandes lignes de force de la théorie et de la clinique freudienne. Et de ce fait permet à des textes de dialoguer ou de résonner à travers les décennies.
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[...] S'il existe une communauté entre la marche et la littérature, c'est assurément la modestie des moyens.
Il ne serait pas ici et là, possible de quitter un certain sol, et de trouver passage sans en expérimenter les duretés, les courbes, les inégalités de pente, les risques, d'en négliger l'orientation.
A la profusion des véhicules, à l'accroissement constant et comme sans but des vitesses qu'ils atteignent, on associerait volontiers l'arsenal démesuré des savoirs positifs et même le génie propre aux longues visées de la philosophie, les moyens réglés qu'ils requièrent, l'aptitude à la hauteur faramineuse, aux raccourcis, ou aux forages multipliés qu'ils procurent, en nous privant le plus souvent de l'appréhension hasardeuse, du tâtonnement plus ou moins familier, du trésor insoupçonné que recèlent un détour imprévu ou un obstacle agaçant.
Les aléas, les détails, le pas à pas sur les pierres des sentiers, le frayage obstiné dans les bruyères et les réminiscences, la marée des hautes herbes à nos genoux sont la chair de nos routes. Ce sont eux qui, pour partie, ouvrent au monde, à l'au-delà de nos pâtures, donnent présence aux constellations de nos ciels, décelant s'il se peut la seule clarté qui vaille, la pauvre lueur de l'intime et des naissances. [...] -
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[...] Nous ne parlons au nom d'aucune expertise. Nous regardons en nous et autour de nous.
Le sacrifice de la vie à des logiques inflexibles que seul l'univers marchand au stade industriel puis son fanatisme technologique pouvaient exciter à cette démesure, la destructivité relayée par des moyens sans précédent,?-?des moyens d'une ampleur et d'un caractère inédits, l'exigence de rentabilité absorbant uniformément et abîmant tout ce qu'elle touche, voilà ce que nous constatons. Parlant d'un sacrifice de la vie , nous usons de ce mot, la vie, dans tout ce qu'il a d'indéterminé et d'indéfinissable, comme peut en user celui qui en est agité et non comme le savant spécialiste penché sur ses débris.