«Se révolter, c'est courir à sa perte, car la révolte, si elle se réalise en groupe, retrouve aussitôt une échelle hiérarchique de soumission à l'intérieur du groupe, et la révolte, seule, aboutit rapidement à la soumission du révolté... Il ne reste plus que la fuite.» Henri Laborit pose, à la lumière des découvertes biologiques, la question de notre libre arbitre, de notre personnalité même. La politique, la société, tout prend dès lors une autre dimension.
"L'air du temps, en accusant la science de n'être qu'un récit parmi d'autres, l'invite à davantage de modestie. On la prie de bien vouloir gentiment "rentrer dans le rang" en acceptant de se mettre sous la coupe de l'opinion". Etienne Klein - La philosophie des Lumières défendait l'idée que la souveraineté d'un peuple libre se heurte à une limite, celle de la vérité, sur laquelle elle ne saurait avoir de prise : les "vérités scientifiques", en particulier, ne relèvent pas d'un vote.
La crise sanitaire a toutefois montré avec éclat que nous n'avons guère retenu la leçon, révélant l'ambivalence de notre rapport à la science et le peu de crédit que nous accordons à la rationalité qu'il lui revient d'établir. Lorsque, d'un côté, l'inculture prend le pouvoir, que, de l'autre, l'argument d'autorité écrase tout sur son passage, lorsque la crédibilité de la recherche ploie sous la force de l'événement et de l'opinion, comment garder le goût du vrai - celui de découvrir, d'apprendre, de comprendre ? Quand prendrons-nous enfin sereinement acte de nos connaissances, ne serait-ce que pour mieux vivre dans cette nature dont rien d'absolu ne nous sépare ?
À l'heure où le naturalisme (thèse selon laquelle tout ce qui existe - objets et événements - ne comporte de cause, d'explication et de fin que naturelles) exerce une force philosophique et scientifique grandissante, l'oeuvre de Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) suscite un regain d'intérêt en raison de son mot d'ordre : le retour aux choses mêmes. Merleau-Ponty pose comme originaire l'étude de la perception : le corps n'est pas seulement une chose, qui serait un objet potentiel d'étude pour les sciences ; il est une condition permanente de l'expérience, parce qu'il constitue l'ouverture perceptive au monde et à son investissement. Il y a une coappartenance de la conscience et du corps dont l'analyse de la perception doit rendre compte. Merleau-Ponty rompt avec l'ontologie dualiste de Descartes et l'opposition entre les catégories de corps et d'esprit qui est si prégnante dans certaines sciences aujourd'hui : «C'est dans l'épreuve que je fais d'un corps explorateur voué aux choses et au monde, d'un sensible qui m'investit jusqu'au plus individuel de moi-même et m'attire aussitôt de la qualité à l'espace, de l'espace à la chose et de la chose à l'horizon des choses, c'est-à-dire à un monde déjà là, que se noue ma relation avec l'être.»
Que pourrait être une éthique démocratique ? Telle est l'interrogation qui donne son relief à la réflexion développée dans cette Éthique de John Dewey et James Hayden Tufts. L'édition de 1932 traduite ici conserve la clarté pédagogique d'un ouvrage conçu, dans sa version originelle de 1908, comme un manuel universitaire, mais elle est enrichie par la prise en compte des questions sociales et politiques surgies au cours des années terribles qui séparent les deux textes, de la Première Guerre mondiale à la crise de 1929. De l'échec des tentatives de moralisation des relations internationales aux défis d'une société livrée aux forces du marché et en proie à l'individualisme, l'actualité des thèmes imposés, de la sorte, par les événements reste la nôtre sous de nouveaux visages.La contribution de Tufts explore la façon dont chaque société sécrète son dispositif éthique. Dewey rappelle les traits des grandes philosophies morales avant de proposer leur dépassement, qui va de pair avec le dépassement du dualisme entre individu et société. La démocratie, fait-il valoir, a besoin d'une éthique en mesure de répondre aux revendications d'autonomie d'acteurs confrontés à des forces économiques et politiques aveugles.Une nécessité qui se trouve plus que jamais au coeur de l'espace public.
De 1944, date de sa mort héroïque, au début des années soixante-dix, marc bloch est surtout apparu comme le cofondateur (avec lucien febvre) de la revue annales, qui renouvela la méthode historique, et l'auteur d'une grande synthèse, la société féodale (1939-1940).
Depuis une dizaine d'années les historiens et les chercheurs en sciences humaines et sociales pensent de plus en plus que le grand livre de marc bloch, c'est son premier vrai livre : les rois thaumaturges (1924).
Il est consacré à l'étude d'un rite curieux : la guérison miraculause, par simple toucher des mains, des écrouelles ou scrofules (adénite tuberculeuse). l'attribution de ce pouvoir aux rois de france et d'angleterre remonte probablement au xiiè siècle ; elle va durer en angleterre jusqu'au début du xviiiè siècle, en france jusqu'en 1825, date du sacre de charles x.
Comment se déroulait le rituel du toucher royal ? quelle était la vraie nature du pouvoir monarchique : les rois étaient-ils des personnages sacrés, des sorciers faiseurs de miracles ? pourquoi enfin a-t-on cru puis cessé de croire au miracle royal ? trois questions qui ont amené marc bloch à explorer les chemins de la psychologie collective, des rites et des mythes, des croyances populaires. pour éclairer le phénomène, il a eu recours à l'anthropologie et à son plus grand théoricien d'alors, frazer, au comparatisme avec les sociétés les plus diverses, aux arcanes de la médecine populaire traditionnelle.
C'est un jalon essentiel dans l'exploration des mentalités et l'invention d'une anthroplogie historique.
Dans son importante préface, jacque le goff s'efforce de préciser les raisons personnelles et les milieux intellectuels qui ont amené marc bloch a écrire ce livre exceptionnel, gros d'avenir, puis à abandonner cette voie, et fait le point sur la situation des rois thaumaturges dans la recherche historique et anthropologique aujourd'hui, dont ce livre est l'un des phares.
Ce volume comprend les cinq premiers des trente-quatre Cahiers rédigés par Heidegger depuis le début des années 1930 jusqu'à la fin de sa vie (la série commence en fait au deuxième de ces Cahiers, le premier ayant été perdu). Les «Cahiers noirs» ou «Cahiers de travail» (ainsi Heidegger les dénommait-il lui-même d'après leur fonction ou la couleur de leur reliure) occupent une place singulière dans l'ensemble de ce qu'a écrit l'auteur. Son souhait de les voir publiés après que fut achevée l'édition intégrale de ses oeuvres signifie qu'il a voulu laisser aux lecteurs soucieux de comprendre sa pensée un moyen d'en appréhender le travail au plus près de son élaboration. La publication de ces Cahiers permet-elle de mieux connaître Heidegger? Certainement pas, si l'on entend par «connaître» le fait d'entrer dans l'intimité d'une personne. On ne trouvera pas trace d'une quelconque confidence dans ces pages. En revanche, on y verra à l'oeuvre l'effort sans relâche d'un philosophe pour reprendre et préciser sa pensée. Les Cahiers commencent au moment où Heidegger entreprend d'approfondir la position conquise avec Être et Temps (1927). Ils permettent de suivre l'aventure intellectuelle qu'allait représenter pour lui la découverte déconcertante de ce qu'il finirait par appeler «l'histoire de l'être».
Les Cahiers repris dans ce volume, rédigés en 1938-1939, tournent principalement autour du thème de «l'autre commencement » que, selon Heidegger, la philosophie a pour tâche de préparer, à l'heure de «l'achèvement des Temps nouveaux», où le règne de la métaphysique de la subjectivité porte le «premier commencement», le commencement grec, à sa complète expression. Cela se manifeste en particulier dans «la réduction de l'homme à lui-même», à son animalité et à sa rationalité qui non seulement se conjuguent, mais se renforcent l'une l'autre. Les débordements politiques de l'âge des masses, à commencer par le national-socialisme, en procèdent en ligne directe. Là est l'enjeu «historial» de l'époque pour la pensée, enjeu que Heidegger s'emploie à faire ressortir contre l'aplatissement de «l'histoire historisante». Au-delà du déploiement de l'efficience généralisée, il y va de la «Décision» ouvrant sur la vérité de l'essence de l'homme dans sa relation à l'être.
Le livre I des Idées directrices pour une phénoménologie pure de Edmund Husserl est l'un des cinq ou six textes de philosophie les plus importants du XXe siècle - et de notre temps par conséquent.
C'est, en effet, le texte fondateur de la phénoménologie : Pour la première fois depuis « l'ouvrage de percée » qu'avaient été ses Recherches logiques (1901), Husserl établit ici, au terme d'une évolution décisive, les principes et les méthodes qui rendent possible une science nouvelle, la science descriptive pure des structures de la conscience, la phénoménologie transcendantale.
En révélant les lois implicites de la vie intentionnelle et le pouvoir constituant de l'intentionnalité, ce tome I des Idées directrices pour une phénoménologie pure... inaugurait un nouveau style de philosophie - l'analyse de l'expérience vécue. Ce chemin conduisit Husserl à concevoir l'interprétation de l'expérience - ou la « philosophie phénoménologique » - dans les termes d'un nouvel idéalisme transcendantal.
C'est de l'analyse critique et de la contestation systématique de cette position radicale que sont issues la plupart des philosophies phénoménologiques ultérieures, depuis Ingarden et Heidegger jusqu'à nos jours.
La présente édition française a été établie sur la base de l'édition critique de référence due à Karl Schuhmann (Husserliana III, 1974). Elle bénéficie des nombreux progrès réalisés par les études husserliennes depuis la traduction pionnière de Paul Ricoeur en 1950.
Outre une nouvelle version française, plus précise, du traité réédité par Husserl en 1928, le lecteur trouvera ici un riche ensemble de textes, jusqu'ici inédits en français, qui forment le contexte historique des « Ideen... I » : Les esquisses préparatoires de 1912 ; de nombreux textes complémentaires ou correctifs, préparés par Husserl en vue d'une réédition ultérieure ; et surtout, les annotations marginales de l'auteur sur ses exemplaires personnels, marque explicite d'une relecture critique de son oeuvre par le fondateur de la phénoménologie lui-même.
Un récit de la tradition juive affirme que les soixante-dix nations de la terre ont chacune un ange appelé auusi Prince qui les représente devant le trône divin. Seuls les enfants d'Israël auraient réclamé d'être placés directement sous l'autorité de Dieu.Martin Buber rapporte cette légende pour mettre en garde son peuple, au moment même où il retourne vers la Terre promise, contre la tentation de se doter d'un Prince et de s'adorer à travers lui. Militant infatigable de la renaissance juive, il pourchasse la complaisance; ardent sioniste, il dénonce l'idolâtrie inhérente à tout nationalisme; homme profondément religieux, il rejette aussi bien l'assimilation que le formalisme de l'orthodoxie. Autant de paradoxes qui font de ce recueil de conférences prononcées entre 1909 et 1951 l'un des textes essentiels du judaïsme contemporain.
Parue en 1929, l'oeuvre philosophique majeure de Whitehead (1861-1947), Process and Reality, compte parmi les entreprises spéculatives les plus originales du XX? siècle. Elle est contemporaine de la nomination de son auteur à Harvard. La liste de ses publications est impressionnante, surtout en philosophie des sciences.Procès et réalité associe une réflexion épistémologique informée et subtile à une imagination métaphysique audacieuse, en dialogue avec Platon, Descartes, Hume et Kant. L'ouvrage offre une vision totale, organique et cosmologique de la réalité, ressaisie dans son devenir ou «procès», depuis le plus négligeable grain d'énergie jusqu'à Dieu.Abordés dans des ouvrages antérieurs, notamment dans La science et le monde moderne (1925), les problèmes métaphysiques relatifs à la détermination de la «réalité» en général - à partir de l'expérience immédiate ou des théories scientifiques - y sont traités systématiquement, dans le cadre d'un vaste «schème» de notions fondamentales. Par la suite, des textes comme La fonction de la raison ou Aventures d'idées trouveront dans Procès et réalité leur centre de gravité théorique.Cette oeuvre a déjà exercé une profonde influence aux États-Unis, où la «Process Philosophy» féconde la recherche en épistémologie, en théologie, en écologie et en esthétique.
Il ne suffit plus aujourd'hui de prendre acte du fond religieux des pratiques politiques. Il suffit de savoir quelle nécessité soude la croyance au groupe. Clef de voûte logique articulant le clos à l'ouvert, le collectif au transcendant, le social au religieux (qui peut être athée et laïc) : la notion d'incomplétude, dérivée du théorème de Godel. On comprendrait alors pourquoi «l'histoire bégaye». Coagulation par la mort, clôture orthodoxe, rôle des serments et testaments, rites d'inscription, métaphores de la guerre, discours utopique : les procédures qui règlent toute prise de corps, qu'il s'agisse d'un État-nation, d'une école de pensée, d'un parti ou d'une église, circonscrivent un inconscient politique, ensemble de contraintes d'organisation compulsives et transversales à tous les types de société organisée.
Guide de lecture et gigantesque somme de textes - plus de mille extraits d'ouvrages essentiels - commentés et critiqués dans une perspective historique, philosophique et scientifique, l'ouvrage saisit la notion de vie à travers les écrits des plus grands théoriciens de la vie, de l'Antiquité à l'aube de la biologie moderne. Hippocrate, Platon, Aristote et Galien ouvrent une réflexion systématique sur la vie. Leurs théories subsisteront jusqu'au XVII? siècle où le mécanisme les remplace par une conception issue de la nouvelle physique (Van Helmont, Harvey, Descartes, Malebranche). Au siècle des Lumières, médecins et naturalistes (Boerhaave, Stahl, Bonnet, Bichat, entre autres) poursuivent la recherche en des voies diverses et parfois divergentes, mais sans parvenir à des résultats comparables à ceux qu'obtient la physique newtonienne à la même époque. Ce n'est qu'au XlX? siècle et au début du XX? que la biologie moderne trouve ses véritables pères fondateurs (Lamarck, Claude Bernard, Darwin, Mendel, Weismann, De Vries).
Le projet initial de l'auteur était de préparer la lecture du Paradoxe sur le comédien. Il lui apparut vite que pour l'entendre, il convenait de le replacer dans l'Esthétique générale de Diderot. Mais, pour préciser la doctrine esthétique de l'imitation de la nature, qui est celle, comme on sait, de Diderot, il fallait, de toute évidence, entrer dans sa philosophie. Comment voudrait-on que l'Esthétique fût à part de la philosophie, chez cet homme qui n'a cessé de se réclamer de la Philosophie, chez cet homme qu'on appelait et qui lui-même s'appelait le Philosophe ? Yvon Belaval le suit d'abord à l'école du théâtre, où son goût se forme et son idéal se précise - ce théâtre qui reste vraiment au centre de cette Esthétique pour laquelle, on le montrerait aisément, la beauté sous toutes ses formes littéraires ou artistiques, se définirait assez bien : un effet théâtral possible. Mais Diderot s'instruit aussi auprès des philosophes, et c'est par sa philosophie que, dans une deuxième partie, Yvon Belaval comprend la maxime fondamentale : il faut imiter la nature. C'est alors qu'on est prêt avec lui à aborder le Paradoxe sur le comédien et à nous demander s'il constitue «un paradoxe sur l'esthétique de Diderot».
Du génie effervescent de Kostas Papaioannou, mort à cinquante-six ans, en 1981, les historiens qui feront un jour l'histoire intellectuelle des années soixante retiendront en priorité, avant les beaux travaux sur la philosophie et l'art grec, sur la peinture byzantine, sur Hegel, sur Baudelaire et la modernité, la grande série d'essais régulièrement publiés pendant dix ans dans Le Contrat social, la revue de Boris Souvarine, et qui ont fait de lui l'un des savants les plus avertis de Marx et du marxisme et l'un des philosophes de premier plan engagé dans la critique du phénomène totalitaire.
C'est cette série qu'en cette année du centenaire de la mort de Marx on trouvera ici réunie, précédée d'une importante présentation de Raymond Aron, et classée dans un ordre qui lui donne toute son actualité. Un premier groupe concerne le Marx philosophe des célèbres écrits de jeunesse. Un second porte sur les classes et la lutte des classes, coeur de la sociologie de Marx, qui constitue, aux yeux de l'auteur, la part centrale de son oeuvre, l'histoire et la logique conduisent ensuite aux relations entre léninisme au pouvoir.
Les articles sue la politique étrangère, qui tournent autour de la russophobie de Marx et de l'expansion planétaire du capitalisme, apportent une sorte de conclusion. Le Marx qui se dégage de ces études ne se laisse pas enfermer dans une formule ou un slogan - et c'est là leur vertu. Sous leur apparence scientifique, elles sont inspirées, comme le souligne Raymond Aron, par la conscience angoissée de notre époque et l'inlassable dénonciation de la transfiguration de Prométhée en dieu protecteur de la société du mensonge, " transfiguration dont Marx ne fut ni tout à fait innocent ni le seul responsable.
" C'est cette tension qui donne aujourd'hui encore tout son à-propos à cette vie de travail : la confrontation savante et passionnelle au " noir gaillard de Trèves ", comme l'appelait Engels, de celui dont Octavio Paz, dans le poème qu'il lui a consacré, célébrait " la conversation de grand fleuve et le rire de réconciliation ".
À quoi, pour la pensée, la science, qui demeure notre idéal de connaissance, peut-elle aujourd'hui servir?Le temps est venu d'une réflexion sur les rapports entre théories scientifiques et pensée commune, analysant et critiquant le transfert inconsidéré de concepts (ou, plus souvent, de simples formules) des unes vers l'autre. Plutôt que de fournir des idées toutes faites, ne peut-on demander à la science - et particulièrement à la physique - de nous montrer la difficulté d'une pensée ferme?La plupart des efforts aujourd'hui déployés afin de partager les savoirs émergents sont d'ailleurs peu efficaces, tant leurs soubassements classiques demeurent mal assurés:comment expliquer au profane la nature des quarks quand l'organisation du noyau atomique reste mystérieuse, celle des quasars quand la constitution des galaxies est méconnue? Au lieu d'estomper par une pédagogie simplificatrice les difficultés conceptuelles des avancées modernes, il convient de les affronter.Ce plaidoyer pour la pensée dans la science se construit sur quelques grands couples antinomiques du langage naturel - droit/courbe, continu/discontinu, absolu/relatif, certain/incertain, etc. - à partir desquels la physique structure sa réflexion, mais, par le même mouvement, ébranle ces vieilles oppositions et brouille leur polarité.Ainsi la science pourra-t-elle répondre au souhait qu'exprimait Merleau-Ponty:par ses «découvertes philosophiques négatives», elle détruira certains préjugés de la pensée, elle ouvrira de nouveaux espace à l'intelligence du monde.
À une époque où la science n'a pas seulement bouleversé notre représentation du monde mais présidé à une véritable subversion du monde, rares sont les philosophes qui n'ont pas succombé à la tentation de rejeter la science comme métaphysique ou de rejeter la métaphysique hors de la science. Koyré est de ceux-là. De la révolution copernicienne à la synthèse newtonienne et à la réaction romantique allemande, il a mis au jour l'enjeu philosophique de la science moderne : la disparition de l'homme du champ de la vérité. Phénoménologue, il ne dut qu'à un demi-exil aux États-Unis et à la mort au début des années soixante de ne pas être compté parmi les structuralistes. À partir de ses Études, il était possible de construire un modèle qui rende compte de l'ordre chronologique dans l'histoire de la pensée d'une époque où s'entrecroisaient physique, métaphysique et théologie. Cette époque n'est plus tout à fait la nôtre, mais nous en sommes issus par retrait du divin qui nous laisse seuls au monde avec les moyens du bord : un savoir qui donne un prodigieux savoir-faire. Oeuvre majeure, que les meilleurs esprits se plaisent à reconnaître comme l'une des plus importantes de notre temps : Gérard Jorland en restitue l'itinéraire et en analyse les concepts, qui, par-delà la monographie, engagent toute l'histoire et la pensée scientifiques contemporaines.
L'époque paraît bien lointaine où un célèbre rapport demandé au lendemain de la guerre par le président Roosevelt à de grandes personnalités du monde scientifique promettait «une vie mieux remplie et plus productive» si la société favorisait le développement de la recherche et l'épanouissement de la science.Cette fin de siècle connaît, au contraire, une réduction drastique des dépenses de recherche de la part de tous les grands laboratoires industriels, une baisse de prestige et d'autorité de la pensée scientifique dans le grand public, une atmosphère générale de révolte rampante et d'indifférence officielle. Des scientifiques eux-mêmes se mettent à douter des vertus de la raison en dehors du laboratoire et la communauté scientifique dans son ensemble se révèle incapable de réaffirmer collectivement le sens propre de son activité.C'est de cette inconfiance que s'inquiète Gerald Holton, physicien de Harvard et historien de la physique de réputation mondiale. Toujours préoccupé de la place de la science dans la culture, il analyse ici les multiples aspects de ce rejet, il en éclaire les racines historiques et le rapproche de l'influence profonde et durable qu'a eue Albert Einstein sur notre vision du monde et notre civilisation. Que nous apprend, aujourd'hui encore, cette haute figure de savant, jusque dans sa manière d'inventer, de vivre, d'aimer et de croire dans le pouvoir civilisateur de la pensée scientifique?
L'unité de ce recueil d'études vient de ce qu'Annie Kriegel met toujours en rapport des phénomènes - événements, cultures, groupes - jusque-là extérieurs l'un à l'autre : depuis la manière dont la révolution de 1917 a été perçue par l'opinion française, jusqu'aux rapports du Parti communiste et du gaullisme sous la V? République. Certains essais sur la personnalité charismatique de Thorez ou les liens particuliers du judaïsme avec le communisme et le gauchisme sont appelés à devenir classiques.
«Le but du Colloque organisé par l'Unesco [pour le 10? anniversaire de la mort d'Einstein et de Teilhard de Chardin] est de confronter les démarches et les conquêtes de la Science - c'est-à-dire les méthodes et les connaissances - avec les exigences de synthèse intellectuelle que posent, par définition, les notions d'homme et d'univers. Y a-t-il un total objet de pensée valable ? Et face à la totalité postulée, quell est la réalité de l'homme, lui qui est à la fois partie de la nature et mesure de l'univers, relais de l'évolution et conscience de l'histoire ? Est-ce un objet ? un processus ? une limite ?» René Maheu.
En 1936, une vente publique ramena au jour le contenu d'une malle où Newton avait enfermé ses manuscrits. Ô surprise, les travaux du savant y voisinaient avec les spéculations de l'exégète et de l'alchimiste. Ce n'est pas seulement la face cachée d'un exceptionnel génie scientifique qui nous était ainsi révélée, mais, au-delà du mystère d'un homme, le secret partage qui gouverne notre univers, comme le montre cette lecture originale de la naissance de la physique moderne.Dans quel monde suis-je tombé ? Pourquoi les choses sont-elles ainsi ? Comment faire avec ? Questions lancinantes de l'enfant quand la mère fait défaut, du chercheur face à la nature qui se dérobe. La réponse, Newton sait où la trouver : Dieu le Père, à jamais insaisissable, est présent «partout et toujours», Il se révèle par la bouche des prophètes, se devine dans les arcanes de l'alchimie, se manifeste par les lois admirables qui règlent le cours ordinaire des choses. Ses écrits de l'ombre l'attestent, Newton est constamment inspiré par la vision globale d'un monde animé par l'invisible, mais cette vision, il la sacrifie pour écrire mathématiquement sa théorie de la gravitation universelle.Par son prodigieux succès, cette théorie a longtemps paru trancher le paradoxe du physicien qui cherche à décrire de l'extérieur le monde où il est plongé. Profondes mutations du cadre de pensée, les révolutions scientifiques de notre temps ont relancé ce paradoxe et avivé le mystère de l'incarnation du logos mathématique dans le monde physique.
C'est dans son dernier roman, La Fosse de Babel, qu'Abellio parle pour la première fois de la structure absolue où l'un de ses héros veut voir «la clef universelle de l'être et du devenir, des situations et des mutations». Dès sa préface, l'auteur remet en cause la notion de «structure» qui jouit d'une si grande vogue dans la plupart des disciplines actuelles et qui ne semble devoir l'essentiel de son crédit qu'à une complaisante souplesse de sens. Comment les sciences pourraient-elles, en effet, justifier l'emploi d'un concept qui implique une interdépendance globale des parties alors qu'elles ne peuvent jamais rendre compte de celles-ci que de façon elle-même partielle ? C'est en partant, au contraire, d'une vision universelle de l'interdépendance et d'une étude initiale de l'intuition et de la perception qu'Abellio s'efforce de dégager une dialectique entièrement nouvelle. Il fonde ainsi une ontologie, une théologie et une anthropologie dont la lecture demeure difficile sans doute mais qui, constamment éclairée d'aperçus nouveaux, d'analyses brillantes et profondes, demeure la première tentative pour maîtriser et systématiser la complexité croissante des sciences dites humaines._