Pièce intermédiaire de cette autobiographie inavouée en forme de triptyque, dont deux volumes, Neiges d'antan et Sur mes traces ont déjà précédemment paru en français, Murmures d'un vieillard est le bilan d'une vie livré par un homme déjà âgé et malade qui observe le monde et ses contemporains avec lucidité et détachement depuis la tour de sa maison toscane. Mêlant des réflexions très intimes sur la mort et ses amis disparus - l'écrivain voyageur Bruce Chatwin ou le photographe Ugo Mulas -, aux récits de ses voyages en Roumanie après la chute de Ceausescu, à Pondichéry, dans l'ashram fondé par Sri Aurobindo, l'auteur fait retour sur sa vie mouvementée et sa carrière d'écrivain. Au coeur de ces souvenirs, leur servant de dénominateur commun, se trouve la lancinante question du pouvoir dans un monde en déliquescence. Longtemps apatride, le lecteur averti de Canetti qu'est Rezzori montre à partir des cinq entités politiques qui ont servi de cadre à son existence - la Double Monarchie, la Roumanie, le Troisième Reich, la République fédérale d'Allemagne et l'Italie -, comment l'individu aux prises avec l'Histoire est sans cesse menacé par la formation de la masse. Qu'il aborde ses débuts de journaliste et auteur à la radio allemande - pour laquelle il couvrira le Procès de Nuremberg -, ou la foule débridée du Carnaval de Cologne, le spectre du 12 mars 1938, jour de l'annexion de l'Autriche au Reich hitlérien, hante ces pages où l'auteur juge son immaturité politique d'alors sans concession. Un regard aiguisé sur le monde d'hier et d'aujourd'hui.